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jeudi, avril 18, 2024
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Séance de rattrapage : Tsui Hark

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[dropcap size=small]C[/dropcap]omme les lecteurs ont dû le remarquer depuis des années à présent, les rédacteurs du Daily Movies partagent une certaine affinité avec le cinéma asiatique. Nous profitons de la sortie en DVD et Blu-ray de La Bataille de la Montagne du Tigre pour dédier cette sixième « Séance de rattrapage » à son réalisateur, Tsui Hark, éminent cinéaste hongkongais à la carrière protéiforme.

Souvent cité comme le « Spielberg d’Asie », Tsui Hark s’est non seulement imposé comme un auteur à la patte unique, mais aussi comme un producteur prépondérant (John Woo lui doit tout), fondant sa propre compagnie – la Film Workshop – en 1984 avec sa femme et productrice Nansun Shi.

Dès 1979, avec son premier film The Butterfly Murders, Tsui Hark ne cesse de revisiter et de moderniser la culture chinoise. Qu’il s’agisse du genre du wuxia pian (film de sabre chinois) dans le film susnommé, de l’opéra cantonais dans Peking Opera Blues (1986), du personnage historique et cinématographique de Wong Fei-hung dans la saga Once Upon a Time in China (1991-1994), des traditions littéraires de « La Légende du Serpent Blanc » et des « Amants papillon » dans, respectivement, Green Snake (1993) et The Lovers (1994), rien n’échappe à la dynamique d’innovation de ce génie en quête de surpassement. Quitte à devoir mettre à l’amende les réalisateurs ayant occidentalisé son genre fétiche du wuxia pian en accouchant de Seven Swords en 2005, quelques années après Tigre et Dragon (Ang Lee, 2000), Hero (Zhang Yimou, 2002) et Le Secret des poignards volants (Zhang Yimou, 2004).

Si l’idée prime parfois sur tout le reste, il y a toujours quelque chose d’intéressant dans le cinéma de Tsui Hark, même dans les films les moins réussis du cinéaste. L’auteur de ces lignes n’est certes pas le plus objectif quand il s’agit d’aborder la carrière de ce réalisateur, pas uniquement parce qu’il a pu le rencontrer lors du festival de Berlin, mais parce que lorsqu’une filmographie compte, en plus des œuvres mentionnées ci-dessus, des titres comme les nihilistes The Blade (1995) et Dangerous Encounter – 1st Kind (1980), l’émouvant et hilarant Shanghai Blues (1984) ou encore le furieux et aérien Time and Tide (2000), on serait fou de passer à côté de ce maître du cinéma, que Tarantino lui-même a présenté comme étant « le plus grand réalisateur de tous les temps ».

Emphase à part, sept rédacteurs se sont prêtés au jeu de cette rubrique, à savoir de découvrir un film de la carrière du cinéaste retenu et d’écrire à ce sujet. Sept films seront donc l’objet de notre attention et laisseront entrevoir les genres et les possibilités offertes par la carrière de Tsui Hark, immense nom du 7ème art et pourtant peu connu du grand public. La balle est désormais dans votre camp!

[Loïc Valceschini]


Peking Opera Blues, 1986


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C’est avec le film Once Upon A Time in China que je pénétrai pour la première fois dans l’univers de Tsui Hark, à l’âge de 11 ans. J’ai su dès ce moment que ce réalisateur allait m’accompagner toute ma vie tant je me sentais proche de sa sensibilité et de sa patte visuelle. Par la suite, je me ruais sur le reste de son œuvre. Time and Tide fut une autre révélation alors que je me heurtais à la relative médiocrité de certains de ses films comme Double Team ou Legend of Zu. Puis la découverte de Shanghai Blues balaya toutes mes réserves tant il allait devenir dans ma tête l’un des films les plus importants jamais tournés. Un véritable chef-d’œuvre qui passe d’un genre à l’autre avec une aisance rare, porté par des acteurs au diapason. C’est donc tout naturellement que je me suis tourné vers sa suite spirituelle Peking Opera Blues sorti deux ans plus tard en 1986 pour cette « Séance de rattrapage ».

Même si la portée émotionnelle de cette fausse séquelle est moindre, le film vaut surtout pour son magnifique trio d’actrices : Brigitte Lin, Cherry Chung et Sally Yeh. Elles incarnent trois jeunes femmes qui vont se retrouver liées malgré elles et qui vont nouer une amitié solide et indéfectible. Dès la première scène, on sent directement que Tsui Hark décide de laisser la place forte aux femmes. Elles occuperont le devant de la scène durant tout le film, si bien que Peking Opera Blues peut être vu comme un film féministe à travers la trajectoire de ses trois héroïnes. Les hommes sont quant à eux clairement en retrait et ont tous des rôles ingrats, du général qui possède un harem à l’homme qui torture une des trois jeunes femmes. On retrouve la folie si singulière de Tsui Hark à travers des décors bariolés et colorés. Mais cette fois cette patte visuelle particulière est au service d’une histoire d’amitié féminine touchante et profonde où l’humour passe légèrement au second plan.

Tout comme dans Shanghai Blues, la toile de fond de l’histoire est politique. Cet aspect est moins présent ici, mais on notera tout de même que le personnage incarné par la sublime Brigitte Lin (au style garçonne qui lui sied à merveille) est une révolutionnaire qui doit s’opposer à son propre père. Cet antagonisme familial donnera des séquences bouleversantes ainsi qu’une scène de torture traumatisante et très violente. On ne peut également que saluer l’exceptionnelle chorégraphie de la séquence de théâtre traditionnel chinois commençant à 1h35. Les sept personnages principaux décident de jouer la pièce pour rester incognito face à leurs ennemis. Ils usent alors de toute l’architecture du bâtiment pour pouvoir s’enfuir et finissent sur le toit dans une magnifique scène de poursuite. On reconnaît bien là le style inimitable de Tsui Hark qui se rapproche presque de l’expressionnisme lors certains plans. Il fait un usage justifié du ralenti qui amplifie la dramaturgie de la séquence.

Au final, je retiendrai principalement de Peking Opera Blues ses qualités visuelles indiscutables qui en font le digne héritier de Shanghai Blues. Les deux films forment un diptyque incontournable et doivent être découverts ensemble. Tsui Hark réussit encore une fois à mélanger les styles avec brio tout en teintant son film d’un féminisme bienvenu.

[Nathanaël Stoeri]


Once Upon A Time in China, 1991


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En tant que novice du cinéma asiatique, cette « Séance de rattrapage » était l’occasion idéale pour faire mon premier pas dans une culture et un univers m’étant étrangers. « Qui de mieux que Tsui Hark pour découvrir le cinéma hongkongais ? » diraient certains. Il est vrai que le réalisateur comporte une filmographie hallucinante ainsi qu’une forte réputation dans le milieu cinématographique. Encore inconnu chez certains, à commencer par moi, Tsui Hark semble adoré des connaisseurs du cinéma asiatique, et plus particulièrement des amateurs de films d’arts martiaux. C’est donc avec plaisir et confiance que j’ai suivi les conseils de mes très chers collègues, en m’attaquant à son classique – et peut être son plus abordable pour un Occidental comme moi – Il était une fois en Chine.

Véritable fresque aventurière sur fond de kung-fu, grande roue du divertissement à en faire pâlir Steven Spielberg, Il était une fois en Chine s’impose comme un classique instantané. Un classique qui aura le droit à 5 suites, dont trois qui seront également dirigées par le Monsieur.

Chine du Sud, fin du XIXème siècle à Fa Shan. Les empires colonialistes américains et européens se disputent le contrôle maritime et tentent d’imposer leur culture au peuple chinois. Wong Fei-hung, médecin et maître vénéré du kung-fu, tente de résister à la destruction imminente par l’argent et les armes de la culture de son pays. Tout en essayant de préserver son école d’arts martiaux, l’homme s’imposera comme gardien de la paix dans les batailles qui opposent les colonialistes au gouvernement. Comment tenir face à une telle pression et de tels enjeux, quand les groupes de rebelles s’en mêlent et profitent de l’armement du peuple pour affronter et désacraliser le kung-fu ?

Tsui Hark livre une épopée époustouflante sur le personnage historique de Wong Fei-hung, incarné avec brio par un Jet Li survolté, au début de sa carrière. Avec ce film d’aventure sur fond politique, le réalisateur éblouit et passionne. Visuellement irréprochable, la lumière fascine autant que les scènes de combat mémorables et parfaitement lisibles. Un Jet Li impressionnant, des chorégraphies soignées et inventives mettent parfaitement la pratique du kung-fu en valeur. Jamais exagérés, les affrontements montent en puissance jusqu’à un final dantesque où Wong Fei-hung affronte son rival sur des échelles.

Ce côté épique de l’action ne ternit pas pour autant le développement du film et son propos. Tsui Hark apporte un regard critique et bienvenu sur la colonisation, la conquête d’un territoire pour des raisons principalement économiques, et l’emprise sur la culture d’un pays afin de rallier un peuple à notre nation. Le réalisateur symbolise cette critique à travers un questionnement prédominent : comment le kung-fu peut-il rivaliser face aux armes ? Un propos qui en dit beaucoup sur la toute puissance des colonisateurs occidentaux et sur leurs conquêtes territoriales. Tsui développe également l’appât de l’argent et les promesses déchues du commerce maritime à travers la présence de personnages secondaires travaillés. Chaque psychologie et réaction face aux enjeux est proposée à travers des acolytes attachants qui servent efficacement les propos du film. Également par la présence d’un humour efficace, l’histoire jouit d’un rythme haletant.

Idéal pour découvrir le cinéma hongkongais, le cinéma d’arts martiaux ainsi que son réalisateur renommé, Il était une fois en Chine ouvre une porte, chez moi fermée depuis trop longtemps, à une autre vision du 7ème art.

[Alexandre Caporal]


The Raid, 1991


The Raid (Tsui Hark, 1991)

J’ai le souvenir d’avoir découvert, coup sur coup, The Blade (1995) et Once Upon a Time in China (1991). Je devais avoir dans les 15 ans. L’intensité du premier et la virtuosité du second m’avaient complètement subjugué. Dans un coin de ma tête, j’avais alors précieusement noté « Tsui Hark » en me réjouissant de ma prochaine incursion dans la filmographie de ce cinéaste dont je n’ai appris à prononcer le nom correctement que bien ultérieurement (« choï » et non « tsoui »).

Avec les années j’ai tenté de combler mes lacunes, autant en visionnant les productions de Tsui Hark (la fantastique trilogie Chinese Ghost Stories) que ses propres réalisations. De ses furieux débuts à ses derniers wuxia pians sériels et lyriques, je rattrapai mon retard. Tout ne me plaît pas forcément, comme ses deux Zu (1983 et 2001), plus difficiles d’accès, où je me perds dans des strates de codes culturels et d’effets spéciaux. D’autres m’émeuvent considérablement, à l’instar de Shanghai Blues (1984) et de The Lovers (1995) évidemment, puissante ode à l’amour. Et comment ne pas vibrer devant le ballet surréaliste qu’est Time & Tide (2000), un film d’action aussi baroque que révolutionnaire? Vous l’aurez compris, Tsui Hark est devenu un auteur incontournable dans ma cinéphilie.

Dans la perspective de cette rubrique, j’ai récemment découvert The Raid, une production de 1991 qu’il ne faut pas confondre avec le diptyque d’action indonésien réalisé par Gareth Ewans. Pourtant il s’agit ici aussi d’un film d’action, The Raid narrant l’opposition d’une troupe de Chinois contre le régime Mandchou à la fin des années 1930. Adapté d’un manga local très populaire dans les années 1950 et 1960 (Uncle Choi créé par l’inégalable Michael Hui) et co-réalisé par Ching Siu-tung, fidèle collaborateur de Tsui Hark, The Raid affiche son héritage graphique dès le générique d’ouverture, où une fresque dessinée présente les différents personnages. En connaissant la passion du cinéaste pour les BDs et les mangas, on n’est guère surpris de le voir opter pour des transitions similaires à celles des comic books ou pour des superpositions dessinées.

Un autre héritage que Tsui affiche clairement, c’est celui du wuxia pian. Il présente en effet son protagoniste, Oncle Choi, comme un modèle vieilli du chevalier des récits d’arts martiaux. À ce propos, Choi ne s’affiche pas tant comme un personnage mais plutôt comme un symbole auquel certaines valeurs sont rattachées. Celles-ci appartenant à une autre époque, un contraste adapté aux enjeux du récit naît avec le contexte de guerre du film où les méchants, des mégalomanes adeptes de trahison, n’hésitent pas à gazer des civils et à fomenter des coups d’état. Oncle Choi, lui, est prêt à sacrifier sa famille en l’abandonnant afin de rétablir l’ordre. « Un jour vous comprendrez que la justice est la chose la plus importante au monde » dit-il en quittant sa nièce, la seule famille qui lui reste. The Raid ne s’avère pas tant nostalgique d’une autre époque mais illustre une situation idéale où tradition et modernité – les deux axes structurant tout le cinéma de Tsui Hark – pourraient cohabiter. Une réflexion que Tsui Hark développe par ailleurs dans le troisième volume de sa trilogie Once Upon a Time in China. Les jeunes sidekicks de Choi illustrent ce paradigme utopique : tous deux sont adeptes d’arts martiaux et, au détriment de leur vie, reproduisent les codes chevaleresques avant toute forme d’intérêt.

The Raid représente un fragment prototypique de ce que le cinéma hongkongais produisait à cette époque. Le film alterne les scènes d’action avec les scènes de comédie sans forcément se soucier de maintenir de véritable ligne rouge. Deux immenses scènes de quiproquos viennent ainsi ponctuer le film : la première, une séquence d’adultère multipliée, rappelle directement les précédents exploits vaudevillesques de Tsui Hark dans Shanghai Blues avec ces personnages qui se cachent, roulent sous le lit et sautent dans les meubles ; la seconde se construit autour d’une lettre qui ne cesse d’être adressée au mauvais destinataire, ce qui finit par prendre une proportion inouïe (tous les personnages principaux sont bientôt concernés). On ne peut s’empêcher de rire devant ces scènes drôlement efficaces qui, tout en rappelant l’humour du muet, offrent ici des digressions teintées d’une touchante naïveté.

Malgré certains de ses décors et accessoires faits de carton et de papier-mâché, The Raid dégage un plaisir sincère dans sa fabrication et dans les sentiments qu’il procure. On le doit certes au rythme entraînant du long-métrage ainsi qu’au dynamise de la mise en scène de Tsui Hark – chez qui une idée en cache souvent une autre –, mais aussi à ses acteurs, tels qu’à la vénéneuse Joyce Godenzi, splendide dans son numéro de cabaret militaire (voir photo ci-dessus), mais aussi au délicieux duo opposant Jacky Cheung et Corey Yuen (!), ou encore à Tony Leung Ka-fai dans l’un de ses rares rôles d’antagoniste (avec celui de La Bataille de la Montagne du Tigre, où il s’avère méconnaissable). Au final, on peut comprendre pourquoi The Raid est relégué aux rangs des œuvres mineures de son réalisateur, mais ne pas aimer ce film serait refouler en bloc le cinéma hongkongais.

[Loïc Valceschini]


Green Snake, 1993


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Tsui Hark : voilà un nom qui fait fantasmer. Surtout pour le cinéphile suisse qui aura pu lire dans les magazines français ou sur des sites spécialisés de dithyrambiques critiques de ses œuvres. Des éloges à prendre comme dues tant le cinéaste semble être considéré, sur les terres helvétiques, comme une sorte de secret bien gardé. Je prends pour preuve la première fois que j’ai entendu son nom… pour Double Team. Une daube qui avait trouvé le chemin des écrans romands grâce à J.C. Van Damme et Dennis Rodmann. Indubitablement, cette incursion dans le cinéma américain n’était pas la preuve la plus probante du talent supposé du metteur en scène hongkongais.

Dubitatif et la curiosité pourtant toujours bien affûtée, je me promis de lui laisser une seconde chance. Chose faite avec la découverte de Time and Tide. D’accord. Enfin je comprenais l’engouement de certaines critiques. Puis vinrent, pour moi, dans un désordre chronologique, la série des Il Était Une Fois En Chine ainsi que Le Festin Chinois. Petites claques cette-fois. Enfin ça prenait sens, Tsui Hark était effectivement une valeur à défendre. Ensuite, je n’ai revu son nom qu’en tête de mes « listes de films à voir mais difficiles à trouver ».

Du coup, j’acceptai cette « Séance de rattrapage » avec enthousiasme et le cœur léger. J’allais enfin pouvoir combler 2-3 de mes lacunes cinématographiques. C’était sans me rappeler que le bougre avait enfanté près de 50 œuvres de tous genres. Galvanisé par la petite phrase d’un collègue (« Les plus belles actrices du monde dans un film sensuel et poétique ») mais limité dans mes choix par la difficile accessibilité de ces perles cinématographiques, j’optai pour Green Snake. L’histoire, si j’ai bien tout compris, de deux sœurs serpents, réincarnées en humaines pour :
1) – inviter les humains à l’art de la luxure
2) – découvrir l’amour et les sentiments humains
3) – assurer le spectacle…

Il m’a fallu d’emblée essayer de m’adapter à une culture qui n’est pas la mienne. La magie noire mêlée à la religion ou les moines bouddhistes volants et belliqueux… ce n’est pas trop mon rayon. Passons, comme nous passerons sur le jeu excessif des acteurs qui sont au moins au diapason du style général où pour ne rien montrer de choquant, tout est appuyé avec excès. Quand est-il de la mise en scène, là où j’attendais le meilleur ?

On dit souvent de Tsui Hark qu’il est le « Spielberg asiatique » et pourtant, la comparaison n’est pas très évidente. Là où le père de Jaws aurait choisi de réfréner ses ambitions, notamment en termes d’effets spéciaux, notre artiste du mois ne s’impose aucune limite. À une époque où le numérique n’existait pas, il aligne les astuces de montage et les trucages mécaniques pour faire voler, disparaître, se transformer et même scintiller ses personnages. Côté lumière et décors, le cinéaste choisit le baroque et les filtres de lumières. Ainsi l’on passe d’un décor urbain à celui d’une falaise pour revenir très vite à des intérieurs violets, roses ou verts, toujours saturés de draperies.

Parfois ça marche… mais pas toujours. Du coup, le film a un vieux côté « cheap ». Plutôt poétique et spectaculaire dans ses bons moments, d’autres fois kitsch (attention les oreilles !) et surtout outrancier. Il part dans tous les sens, ne s’effraie pas du ridicule mais s’assume. Au final, il vaut mieux le considérer comme un exercice de style. Un beau moyen de mettre un prudent pied de plus dans la filmographie éclectique et étonnante  du vénéré Tsui Hark.

[Etienne Rey]


The Lovers, 1994


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Pour moi, Tsui Hark c’est d’abord un DVD crasseux d’occasion, coincé entre plusieurs blockbusters américains, chez Cash Converter. La couverture est différente, le prix défie toute concurrence et surtout le cinéma asiatique me fait, à cette période de mon adolescence, de plus en plus de l’œil. Puis, quelques heures plus tard, je n’ose plus bouger de mon canapé. Je viens d’assister à la scène de fusillade la plus démente de mon parcours cinéphilique déjà bien garni. Le film s’appelle Time and Tide. Puis, grâce à HK Films, je découvre doucement le reste de la filmographie de Tsui Hark, à commencer par L’Enfer des Armes et Shanghai Blues, qui me scotchent tout autant que Time and Tide.

Une bonne douzaine de films plus tard (juste un tiers de la filmographie du Monsieur), on m’annonce que la prochaine « Séance de rattrapage » sera consacrée à Tsui Hark. Oh, quel bonheur ! Je choisis donc The Lovers, un film qui m’intrigue depuis plusieurs années, et dont un ami me parle depuis déjà trop longtemps.

Basé sur un quiproquo (une fille de fonctionnaire intègre un collège masculin pour y apprendre l’art et être ainsi mariable), le récit de The Lovers n’est en fait qu’une énième réécriture de Roméo & Juliette, puisque très rapidement la jeune fille va tomber amoureuse d’un jeune homme non-digne de son rang et dont l’amour semble impossible, car elle est déjà promise à un noble héritier.

La force de The Lovers ne réside donc pas dans son histoire, mais dans sa narration qui, malgré un classicisme assumé, fait preuve d’une efficacité ahurissante. Mêlant humour, drame, amour et critique sociale, le récit s’autorise ainsi des changements de tons osés et parfaitement rythmés, tout en nous offrant une ligne claire et un développement des personnages sans faille. Mais tout cela n’est que chose normale quand on regarde un film de Tsui Hark. Car s’il ne fallait qu’un adjectif pour qualifier son style, ce serait celui-ci : généreux. Et c’est d’ailleurs la principale raison pour laquelle ses films sont autant aimés.

Tsui Hark est un artisan, avant d’être un artiste (même s’il en est évidemment un aussi). Il a une conscience aigüe de l’effet de ses films sur le public et les travaille dans ce sens. Le résultat est donc toujours jouissif pour le spectateur, qu’il soit cinéphile ou néophyte du genre, que ce soit un film d’action, un drame ou une romance. Là est la principale force du style harkien. The Lovers n’échappe donc pas à cette règle et Tsui Hark nous offre ainsi une des plus belles histoires d’amour du cinéma, et probablement la plus honnête.

Il est toujours difficile de critiquer ou d’analyser une œuvre qui nous touche, et dans ce cas-là encore plus que les autres. Car j’avoue sans honte avoir pleuré à la fin du film. Ça faisait si longtemps que je n’avais pas vu un final si tragique et si beau à la fois, et aussi d’une telle puissance visuelle. Ça faisait si longtemps que je n’avais pas vu un film si rafraîchissant, si simple et si passionnant. Chaque nouveau film de Tsui Hark que je découvre me pousse toujours à en voir un autre. The Lovers, lui, m’a donné envie de dévorer tout le reste de la filmographie harkienne. Et heureusement, il m’en reste encore 29 à voir… !

[Florian Poupelin]


The Chinese Feast, 1995


chinese feast

J’ai découvert Tsui Hark un peu par hasard, avec la vision de Seven Swords un samedi après-midi pluvieux sur RTL9, soit dans une version française déplorable et entrecoupé à outrance de pubs. Ces conditions ne m’ont pourtant pas empêché d’être ébloui par les combats virevoltants et leur mise en images renversante. Depuis, si je n’ai pas encore eu le temps de visionner l’ensemble de cette filmographie aussi foisonnante que conséquente, j’ai tâché d’en explorer un peu chaque aspect. Des grands wuxia pians flamboyants aux films fantastiques envoûtants, en passant par les OFNI complètement détraqués (les deux incongruités avec Van Damme ou l’improbable Black Mask 2), je découvrais un cinéaste capable de tout et inventif comme jamais.

Parmi ses œuvres qu’il me restait à voir, The Chinese Feast m’intriguait depuis longtemps. L’idée d’une comédie culinaire filmée par le réalisateur d’Il était une fois en Chine consistait en soit une énorme promesse. Et je n’ai pas été déçu !

Le film met en scène Sun, le neveu d’un caïd de la pègre hongkongaise qui décide, plutôt que de suivre les traces de ses aînés, de devenir cuisinier. Il trouve miraculeusement une place dans le restaurant Qing Han. Tandis que son patron, Au Siu-fung, le prend immédiatement en grippe, Sun ne tarde pas à tomber sous le charme de la fille de ce dernier, l’excentrique Au Ka-wai. Un jour, Maître Wan, un concurrent de Au Siu-fung déterminé à racheter le Qing Han, lance un défi à son rival : l’affronter lors du Festin Chinois, un ancien tournoi impliquant la préparation de trois plats extrêmement compliqués. Siu-fung accepte et met son restaurant en jeu, mais suite à un accident se retrouve incapable de cuisiner. Pour sauver le Qing Han, Sun et Ka-wai vont alors partir à la recherche de Liu Kit, un ancien grand chef devenu clochard qui serait le seul capable de battre Wan.

Comme ce résumé le laisse présager, The Chinese Feast adopte donc la structure type du film de tournois, avec ses passages obligés (la composition de l’équipe, l’entraînement, les épreuves) et ses figures récurrentes (le jeune rookie, la star déchue, le rival sans scrupules). Là où le long-métrage se démarque, c’est évidemment dans sa forme de comédie complètement barrée. Mettant en scène l’art culinaire à la manière de celui du kung-fu, Tsui Hark nous donne à voir des recettes aussi improbables qu’exécutées avec une virtuosité qui confine à l’absurde. Les aliments sont coupés à la vitesse de l’éclair, les assiettes et ustensiles virevoltent à un rythme effréné, jusqu’à arriver à un plat final tout bonnement gargantuesque. En bref, du food porn à son apogée qui renvoie direct au bac-à-sable l’ensemble des émissions culinaires qui pullulent actuellement sur nos petits écrans.

The Chinese Feast, c’est un délire implacable (la lutte contre le poisson géant ou le karaoké sur l’air de Carmen se posent là), mais c’est également une véritable histoire d’amour et de rédemption, habitée de vrais beaux personnages. De fait, on a beau rire de long en large, le récit comporte tout de même une base dramatique solide qui ne rend l’expérience que plus intense. Un vrai film de Tsui Hark, qui nous balance mille idées à la seconde et qui ne nous laisse qu’avec une seule idée en tête : repartir pour un tour !

[Thibaud Ducret]


Seven Swords, 2005


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Mon tout premier contact avec le cinéma de Tsui Hark fut une bande-annonce pour Zu, les guerriers de la montagne magique lors de la location d’un DVD. Après une prise de sang pour m’assurer de ne pas avoir été drogué à mon insu, j’ai regardé le film loué, qui n’était autre que Time and Tide, du même réalisateur. Beaucoup moins psychédélique, le film n’en était pas moins efficace. C’est par lui d’ailleurs que j’ai commencé à m’intéresser au cinéma asiatique. S’il est vrai que Tsui Hark fut mon initiateur, je dois bien avouer souffrir de nombreuses lacunes quant à sa filmographie. Cette « Séance de rattrapage » tombait alors à pic pour combler ce manque.

Il est donc question ici de Seven Swords et le moins que l’on puisse dire est qu’il transpire le style hongkongais que Tsui Hark a tant contribué à établir. Mais reprenons depuis le début.

Dans la Chine du XVIIème siècle, la Mandchourie envahit la Chine sous la dynastie Ching. Le gouvernement interdit les arts martiaux afin de maintenir la paix et d’étouffer toute révolte. Un général profite alors de l’opportunité de faire fortune qui s’offre à lui en aidant le gouvernement à faire appliquer cette loi, massacrant tout pratiquant d’art martial. Il s’attaque alors à un petit village dont la réputation en cette matière est bien établie. Ceux-ci, forcément, résiste et cherche de l’aide auprès d’un grand sage qui leur fourni sept épées magique et l’assistance de quatre guerriers.

Le style hongkongais est donc reconnaissable entre tous, un montage nerveux (voire parfois épileptique), des mouvements de caméra amples et rapides (voire parfois… épileptiques) et des cascades ultra chorégraphiées avec moult assistances de câbles. De câbles ? Et bien pas cette fois. En effet, Tsui Hark s’affranchit de cet artifice pour un retour aux sources. Ses batailles sont certes chorégraphiées selon le style et les standards du genre, mais elles n’en gardent pas moins une dimension humaine sans les personnages « volants » auxquels on est habitué dans le cinéma asiatique. Le tout fonctionne cependant parfaitement et le spectacle ne manque pas d’éléments épiques.

Réduire Seven Swords à un enchaînement de combats soutenus par un fil scénaristique fragile serait néanmoins injuste. Le film nous propose souvent des pauses (tant pour les yeux que pour le cerveau) avec de longs et magnifiques plans contemplatifs saupoudrés de quelques scènes bien plus intimistes. L’œuvre durant plus de deux heures, celles-ci sont bienvenues.

Au final, s’il n’est pas, à mon humble avis (et au vu de ma connaissance de sa filmographie bien évidemment), son meilleur film, Seven Swords et un très bon divertissement. Voire même un peu plus que ça.

[Grégory Maillard]

La Bataille de la Montagne du Tigre est désormais disponible en DVD et en Blu-ray, au même titre que d’autres films antérieurs de Tsui Hark.

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