Les images féeriques, étranges ou effrayantes, du cinéma d’animation japonais font partie de la mémoire de tous ceux qui ont grandi en France au cours des dernières quarante années, notamment par le biais des séries.
Des films pour enfants ? L’un des malentendus qui a le plus entravé la reconnaissance du cinéma d’animation japonais comme une forme artistique à part entière a été de croire qu’il s’agissait de dessins animés uniquement destinés aux plus jeunes publics, tels qu’ils apparaissaient à la télévision. Depuis Goldorak, diffusé en 1978 en France, jusqu’à Dragon Ball, en 1991, en passant par Candy en 1978, Princesse Sarah en 1984 ou Les Chevaliers du Zodiaque en 1986, les séries japonaises avaient tout pour plaire aux enfants. Des films peuplés de super-héros, princesses, robots et personnages possédant des pouvoirs magiques, des scénarios de fantaisie et de science-fiction… Des divertissements sans réelle valeur culturelle, d’une part. Et, d’autre part, qui dit cinéma pour enfants dit nécessairement diffusion restreinte, par rapport aux horaires et aussi par rapport aux contenus. C’est ainsi que des séries diffusées dans l’émission Club Dorothée ont été critiquées en raison de scènes supposées violentes. C’était oublier que l’animation japonaise est multiforme et s’adresse à tous les publics, mais ces légendes ont longtemps nourri la polémique concernant les «japaniaiseries», et ce n’est que dans les années 2000 que les films d’animation ont commencé à bénéficier d’un regard à la fois plus objectif et plus bienveillant de la part de la presse généraliste.
Bien qu’elles aient été extrêmement populaires à la télévision, les séries d’animation japonaises ont peu à peu disparu des grilles de programmation, surtout à partir des années 90, où l’on assiste à une transformation du divertissement télévisuel régulier en produit culturel que l’on achète par lui-même. Cette évolution coïncide avec la mise sur le marché de supports comme la cassette vidéo, le dvd ensuite, avant de parveir au téléchargement sur internet. Dans ce cas, le support matériel nous renseigne sur la nouvelle place de l’anime dans la culture. Ce marché dissocié de la télévision pourrait nous faire oublier l’une des causes de l’arrivée en France de l’animation japonaise : si, à partir des années 70, les séries américaines et les dessins animés japonais envahissent la télévision française, c’est que leurs prix défiaient toute concurrence, car ils arrivaient avec quelques années de retard et avaient déjà été rentabilisés dans leurs pays d’origine. Mais avec la disparition des séries d’animation des programmes pour enfants, d’autres possibilités se sont ouvertes pour les anime, notamment les sorties en salle, avec des films comme Le Tombeau des lucioles, d’Isao Takahata, (1996), Le voyage de Chihiro, de Hayao Miyazaki (2003), ou Paprika, de Satoshi Kon (2006), qui ont conquis une place en tant que films d’auteur, avec des scénarios et des choix esthétiques qui peuvent s’avérer d’une grande complexité; certains deviennent des franchises médiatiques qui existent également en jeu vidéo comme Ghost in the Shell. D’autres, comme Naruto, mettent en évidence la perméabilité entre l’animation et le manga. Et c’est probablement cette diversité des supports médiatiques qui a sorti, au bout de trente ans, le cinéma d’animation des clichés anciens et lui ont donné un nouvel essor auprès de différents publics.
Divers auteurs, sous la direction de Marie Pruvost-Delaspre, préface de Julien Bouvard, éditions de l’Harmattan, 2016