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Le Procès : le vrai chef-d’oeuvre d’Orson Welles ?

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Le Procès - K. courtOrson Welles est sans doute le cinéaste le plus maudit et le plus déterminé que le cinéma n’ai jamais connu. Célébré pour son premier film, Citizen Kane, Welles continua sa carrière sous l’ombre de ce classique, qui écrasa le reste de sa filmographie, et même le film qu’il jugea comme son plus abouti et son plus personnel : Le Procès. Et si Citizen Kane n’était pas le meilleur film d’Orson Welles ?


La redécouverte du monstre sacré
Orson Welles aurait eu 100 ans cette année. Tout le monde en profite donc pour redécouvrir ce monstre sacré du cinéma : l’homme, ses films et son héritage. Au programme (entre autres) : Magician, un documentaire biographique ; la sortie en Blu-Ray luxe de Citizen Kane et le combat financier et légal que mène Frank Marshall pour pouvoir finir le dernier chef-d’œuvre du cinéaste : The Other Side of the Wind, pour une sortie souhaitée cette année.

Mais c’est plutôt du côté d’un film plus discret de Welles, Le Procès, qu’il faut regarder aujourd’hui pour mieux comprendre toute l’essence du génie de Welles et de sa carrière maudite.

L’absurde kafkaïen
Adapté du roman éponyme de Franz Kafka, Le Procès début lorsque trois inspecteurs de police annoncent à Josef K. qu’il est en état d’arrestation. Mais quand ce dernier cherche à savoir pourquoi on l’arrête, il n’obtient aucune réponse. Puis, emmené dans un gigantesque bâtiment de justice, il n’y obtient toujours pas de réponse, malgré sa détermination. Il finira par se perdre dans les labyrinthes de la peur et de la paranoïa et finira par abdiquer, se persuadant lui-même de sa culpabilité, pourtant non-fondée.

Découvert un an après la mort de Kafka, ce roman fait l’effet d’une bombe dans le paysage littéraire européen. L’absurde de nos sociétés n’a jamais été aussi bien dépeinte et ne le sera plus jamais (excepté avec Camus). Kafka se sert d’un personnage normal, banal, pour exacerber la toute-puissance des systèmes démocratiques occidentaux. Il place Josef K. face à l’incompréhensible manipulation et à l’invisible pouvoir de ces dernières jusqu’à ce qu’il se déshumanise et accepte le sort qu’on lui a arbitrairement assigné, sans montrer plus aucune résistance.

Josef K. = Orson W.
Lorsqu’Orson Welles choisi Le Procès dans une liste de 82 titres du domaine public proposés par le producteur Alexander Salkind, ce n’est pas vraiment innocent de sa part, du moins inconsciemment. L’histoire de Josef K. est si proche de la carrière d’Orson Welles qu’il est impossible de ne pas mettre les deux en parallèle. « Le Procès est le meilleur film que j’ai fait. Il exprime, plus que tout autre, ce que je pense et ressens personnellement. »

Car, en effet, là où Kafka dénonce les systèmes sociétales, Welles lui dénonce les systèmes commerciaux des studios, ceux-là mêmes qui ont plusieurs fois défigurés ses films (The Magnificient Ambersons, Touch of Evil). Welles se retrouve donc parfaitement dans ce personnage de Josef K., qui refuse l’absurde et se bat pour comprendre et prouver aux gens qu’il est innocent, tout comme Welles passa toute sa vie à vouloir prouver que les studios avaient tort, qu’en étant devenu purement commerciaux, ils sonnerai tôt ou tard le glas du septième art. Et difficile, aujourd’hui, de ne pas lui donner raison.

Mais de manière plus intime, Le Procès exprime aussi le sentiment de culpabilité que Welles ressent depuis la mort de son père et qui hante toute son œuvre, notamment Citizen Kane et The Magnificient Ambersons. « J’ai toujours pensé que je l’avais tué… Et je pense que quand on est coupable de quelque chose, on doit vivre avec. » Comme Josef doit vivre avec ça culpabilité jusqu’à la fin, même si elle est absurde.

Mettre le sens en lumière
Mais en dehors de ces parallèles évidents, Welles ne signe pas qu’un film personnel, mais aussi et surtout un film incroyablement abouti, et ce à tous les niveaux.

Ainsi, durant les 6 mois où il écrit l’adaptation du Procès, Welles s’autorise quelques modifications dans l’ordre des chapitres (qui de toute manière n’était pas définitif, car Kafka mourut avant d’assembler ces mêmes chapitres), afin de mieux rythmer la descente aux enfers de Josef K. Il modernise aussi plusieurs aspects du récit pour le rendre plus contemporain, mais surtout il change la fin. (SPOILS) Au lieu que K. meurt poignardé par ses bourreaux, comme dans le roman, il meurt ici dans un explosion de dynamite, formant un champignon nucléaire équivoque, ses bourreaux n’ayant pas eu le courage de le tuer eux-mêmes de leurs mains. « Kafka a écrit ce roman avant la Shoah et avant la Bombe A. J’ai fait ce film après. », déclare Welles.

Et pour mettre en images sa vision apocalyptique de l’absurde, Welles élabore lui-même les décors du film. Mais peu de temps après le début du tournage en Yougoslavie, ces décors sont volés. Welles en a vu d’autres et, de retour à Paris, on lui parle de la gare désaffectée d’Orsay. Il en tombe immédiatement amoureux et décide de tourner le reste du film de ce monumental hall de gare, dans ses couloirs souterrains sans fin et dans ses greniers craquants et effrayants. La lumière y est fantomatique et malléable. Tout ce que Welles aime.

Tout le film s’oriente alors autour des pièces, des angles, des perspectives, des lumières fuyantes et des ombres écrasantes. Welles crée une atmosphère étouffante, paranoïaque, mais aussi bluffante de beauté et de grandiose. Car son style s’applique parfaitement ici : des grands décors imposants, des plans aux multiples plans, des mouvements de caméra sublimes et des angles encore jamais exploités. Depuis Citizen Kane, il n’a rien perdu de sa maîtrise de la mise en scène, bien au contraire.

Après le jugement
Ce qu’il reste aujourd’hui du Procès est plutôt mince, si on le compare à l’héritage de Citizen Kane. Pourtant, depuis quelques années, notamment grâce à sa sortie en Blu-Ray et sa nouvelle copie 2K, Le Procès commence à être enfin jugé à sa juste valeur. Celle d’un film époustouflant et hypnotique, au sens profond et essentiel. Serait-il le meilleur film d’Orson Welles ?

 

1 COMMENT

  1. Votre analyse est parfaite ; votre article est à la hauteur du talent des deux brillants outsiders souvent incompris, qu’étaient Orson Welles et Anthony Perkins, sans oublier Franz Kafka, bien sûr ! Film culte (et livre) pour moi, que je vois et revois souvent et lis et relis souvent, avec le plaisir sans cesse renouvelé d’une première fois. bravo et merci !!

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