Rubber

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Quentin Dupieux, alias Mr. Oizo pour les intimes, vient du milieu de la musique électronique dans lequel il développe un style insolite qui lui vaut sa notoriété.


En effet, selon ses dires, sa recette est d’articuler sa musique sur le concept du « Grand n’importe quoi » en utilisant le logiciel Ableton live de manière aléatoire. Selon l’artiste : « il n’y a rien de plus beau dans l’art que de ne pas réfléchir. » Sa filmographie n’échappe également pas à cette règle, et « Rubber » non plus.

En effet, le film raconte l’histoire d’un pneu prenant vie au milieu du désert américain et, à la manière de Bambi, Robert – le pneu – va difficilement faire ses premiers pas dans sa vie. Après s’être stabilisé, il se met en route et roule sur une bouteille en plastique. C’est le début de la fin car Robert va prendre goût à la destruction… puis au meurtre.

Le concept est étonnant et nous frisons, continuellement, avec ce grand n’importe quoi si cher à son réalisateur. Cependant, c’est en jouant sur ce concept plus qu’insolite et éloigné du cinéma mainstream que Dupieux attire un public curieux.

Toutefois, même si ce film au synopsis si particulier pourrait figurer en top liste des Nanars du XXIe siècle, « Rubber » cache au plus profond de lui un film extrêmement critique dont l’esthétique est, en outre, des plus intéressantes.

« Filmception » : un film dans un film
La mise en abîme n’est pas une figure de style inconnue de Quentin Dupieux. Son premier métrage, « Nonfilm », se passait au sein d’un tournage de film et était très déstabilisant pour le spectateur qui n’était ni prêt ni initié à ce qu’il allait voir.

Avec « Rubber », Dupieux continue de nous déstabiliser, cette fois cependant, en prenant en compte les erreurs de « Nonfilm » qui, comme un enjoliveur mal fixé se faisant la malle sur l’autoroute, avaient souvent perdu les spectateurs en cours de projection.

Après de jolis plans du désert américain, Dupieux prouve qu’il est également un très bon dialoguiste au travers d’un des prologues les plus intéressants du cinéma moderne. Des chaises placées sur un chemin, un homme qui attend avec des jumelles, une voiture de police qui arrive tranquillement en renversant les chaises une à une, un policier (interprété par Stephen Spinella) sortant du coffre pour nous livrer une merveille de monologue, face caméra, en s’adressant aux spectateurs pour nous expliquer que « Rubber » est un film hommage au « Aucune raison ».

« […] Tous les grands films, sans exception, contiennent une grande partie de « aucune raison. » Et vous savez pourquoi ? Parce que la vie elle-même est remplie de « aucune raison. » Pourquoi on ne peut pas voir l’air autour de nous ? Aucune raison. Pourquoi nous pensons tout le temps ? Aucune raison. Pourquoi certaines personnes aiment les saucisses et d’autre non ? Aucune putain de raison. »

A la fin de cette introduction, le policier nous dit que le film va bientôt commencer et que nous devons être attentifs à ce qui va suivre, car personne ne va nous expliquer les raisons de cette histoire. Nous découvrons, à ce moment-là une bande de touristes (symbolisant les spectateurs du film). Chacun d’entre eux a reçu une paire de jumelles et une direction vers laquelle regarder. La mise en abîme est posée, le film peut commencer.

Les Envahisseurs (attention spoilers)
Quentin Dupieux nous offre une fin plus symbolique que celle de son premier film. Le dernier touriste finit par prendre une ampleur considérable dans l’histoire, au point d’exiger diverses choses de la part des acteurs ainsi que de Robert, avec comme conséquence sa mort. Cependant, notre pneu va se réincarner en tricycle et faire exploser le dernier touriste vivant.

Robert, une fois la menace du touriste spectateur éliminé, reprend sa route dans le désert et soulève une armée de pneus qui se dirigent sur la ville de Los Angeles, et plus précisément sur Hollywood. L’image est saisissante : une armée de pneus se dirigeant vers la Mecque du 7ème Art. Une armée de films potentiels déferle telle une meute de bobines de pellicule n’attendant que d’envahir le cinéma mainstream. Que dire de plus ? Peut-être un « Rubber 2 » ?

Un pari réussi !
Avec « Rubber », Quentin Dupieux prend la décision de faire un numéro de funambule sur un fil de pêche, sans filet. Le résultat est bluffant, non seulement du point de vue visuel (le film a été tourné avec deux appareils photo reflex Canon EOS mark II), mais aussi pour le contenu, bien plus profond qu’on aurait pu l’attendre au vu du pitch loufoque. L’animation du pneu, qui est télécommandé, est surprenante et bien pensée, surtout quand il se met à vibrer (signe qu’il s’apprête à attaquer). Un gros travail sur le son a été effectué : tout a été re-bruité en post-production pour être certain d’entendre le moindre grain de sable se frottant au passage de Robert. Au niveau de la musique, celle-ci est composée par le fameux Mr. Oizo himself et Gaspard Augé (membre de Justice). Si on aime le genre électro, on est au paradis.

Néanmoins, le film peut décontenancer car il adopte un rythme assez lent, mais complètement assumé, pour que le spectateur ait les mêmes sensations que les touristes regardant à travers les jumelles, depuis la colline voisine. Regarder « Rubber » (ou tout autre film de Dupieux), est une vraie expérience de cinéma car il cherche à faire vivre aux spectateurs une expérience qu’ils n’ont jamais vécue auparavant. On peut ainsi le rapprocher de Gaspard Noé, autre faiseur de films sans concession qui vont jusqu’au bout de leurs idées. On peut ne pas aimer ce type de cinéma, mais on ne peut pas nier qu’il fasse réagir et, rien que pour cela : respect.

Rubber
De Quentin Dupieux
Avec Stephen Spinella, Roxane Mesquida, Jack Plotnick, Haley Ramm, Wings Hauser et Ethan Cohn
[Basile Manent]

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