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Stéphanie Chuat : « J’ai appris à ne rien remettre à plus tard »

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Les deux grandes amies du cinéma suisse se retrouvent avec « Petite Soeur » (« Schwesterlein »), un film qui traite d’un frère atteint de leucémie et de sa soeur en phase de renouer avec ses racines et aspirations profondes. Les réalisatrices vaudoises Stéphanie Chuat et Véronique Reymond qui ont perdu père et mère pendant l’écriture du scénario, ont chacune pu compter sur la force de l’autre. Chargé en émotion, le long-métrage représentera la Suisse aux prochains Oscars. 


Depuis que son frère jumeau Sven sait qu’il est atteint de leucémie, Lisa s’en occupe comme une mère. Mariée à un directeur d’internat à Leysin, cette Berlinoise a abandonné son rêve de devenir dramaturge pour suivre son époux dans les montagnes helvétiques et y fonder une famille. Mais avec le déclin de Sven, acteur qui ferait n’importe quoi pour pouvoir remonter sur scène, Lisa remet en question sa propre vie et ses aspirations profondes afin de renouer avec celle qu’elle était. Un chemin sur lequel frère et soeur se retrouvent et guident l’autre. 

Bonjour Véronique ! Bonjour Stéphanie ! Vous voilà de retour avec « Petite Soeur ». Depuis le temps qu’on voit passer vos noms accolés sur une même affiche, avec cette nouvelle collaboration, on en arrive à combien ?
Stéphanie Chuat : Ça dépend si vous comptez les numéros de clown à nos débuts ! (rires) (Elles énumèrent tous les courts-métrages, films et pièces de théâtre qu’elles ont déjà créés ensemble) Euh… À peu près à la vingtième !

Dans « Petite Soeur », vous racontez l’histoire de Sven, atteint de leucémie. Un sujet complexe à traiter. Quel est votre rapport à cette maladie ?
Véronique Reymond : L’idée du film est partie de la meilleure amie de la maman de Stéphanie, qui en est décédée quatre jours après son hospitalisation. Et puis on aimait l’idée qu’entre frère et soeur, il faille donner une partie de sa moelle osseuse pour sauver l’autre. Ce que fait Lisa pour Sven. On tenait à cette ambivalence entre les liens du sang qui sont si puissants, alors que pourtant, dans le cas de la leucémie, c’est justement le sang qui est malade. 

Vous êtes-vous beaucoup renseignées sur le sujet ?
S.C. : On a effectivement fait beaucoup de recherches, et notamment rencontré le chef de service d’hématologie du CHUV et le scénario final a été relu par une connaissance médecin. Pour nous, adeptes de documentaires, c’était un souci de ne pas être dans le vrai. On tient à la réalité, même dans nos fictions. 

Thomas Ostermeier, qui joue le rôle de David, metteur en scène dans le film, estime qu’« exhiber un acteur à l’agonie, c’est obscène ». Pourtant vous, vous ne cachez rien de la maladie de Sven. Sa peau est détruite par l’eczéma, il a perdu ses cheveux, il est amaigri…
S.C. : Là vous mettez le doigt sur un point essentiel. En tant que comédiennes, on a vu jouer des acteurs en fin de vie, c’est quelque chose d’extraordinaire. Pour son rôle dans le film, Thomas Ostermeier tenait à ce que ses mots correspondent au metteur en scène qu’il est aussi dans la réalité. Car dire que c’est obscène de montrer un acteur à l’agonie sur scène, c’est réellement ce qu’il pense lui. Après beaucoup de discussions, on a donc accepté sa proposition, ce qui rend le scénario encore plus cruel pour le personnage de Sven, qui rêve de remonter sur scène malgré sa maladie.

« On tient à la réalité, même dans nos fictions »

Il change d’ailleurs beaucoup d’apparence, notamment de coupe de cheveux. Il est toujours cet acteur qui se déguise, qui est lui-même tout en étant quelqu’un d’autre. On lui fait d’ailleurs remarquer que sa perruque ressemble à celle du Petit Prince. Le public doit y voir un message ? 
V.R. : Oui, c’est vrai, il a quelque chose du Petit Prince. Une grâce… Quelque chose de l’imaginaire. Sven véhicule une magie avec sa façon d’être entre deux eaux. Car il sait qu’il va vers sa fin. Et il reste aussi un enfant materné par sa soeur.

Vous misez d’emblée sur la musique classique qui amène, je trouve, un côté très dramatique. Qu’est-ce qu’elle vous évoque, personnellement? 
V.R. : La musique classique fait partie de nos vies. On en écoute beaucoup quand on écrit et plusieurs de ces morceaux ont été ajoutés au film. C’est le cas de « Schwesterlein » que l’on a choisi comme titre parce que les paroles correspondaient si bien à l’histoire. Et au contraire, plutôt que d’appuyer l’émotion en insistant sur le côté dramatique, la musique classique amène une respiration au spectateur, qui peut se laisser aller, prendre de la distance.

Qu’est-ce que vous écoutez pour que ça soit aussi favorable à l’écriture?
S.C. : Beaucoup de Bach ! 

V.R. : Oui, beaucoup de piano classique. Ça apaise…

S.C. : et transporte… Etant les premières spectatrices de notre film au moment du montage, on regarde d’abord l’effet que nous procure tel ou tel morceau avant de décider de l’intégrer dans l’histoire.

Il faut vraiment bien s’entendre pour co-réaliser. Ça ne doit pas toujours être facile de se coordonner…
V.R. : Si, c’est facile, au contraire ! D’ailleurs, sur un tournage, les acteurs acceptent tout de suite cette entité que l’on forme toutes les deux. Et puis on est assez claires dans ce qu’on veut parce qu’on travaille beaucoup au préalable. 

Mais chacune n’a-t-elle pas son propre rôle pour ne pas empiéter sur le terrain de l’autre ?
S.C. : On est dans l’instant présent, donc on ne définit par des rôles au préalable. On reste disponibles selon la situation. Et quand on a un doute, on appelle l’autre ! Il y a un dialogue permanent entre nous. 

« En tant que comédiennes, on a vu jouer des acteurs en fin de vie, c’est quelque chose d’extraordinaire »

Vous dites beaucoup travailler l’écriture, mais est-ce que ça ne laisse pas moins de place à la spontanéité sur un tournage ? 
V.R. : Etant également comédiennes, on fait en sorte de laisser toujours de la place pour le jeu dans les dialogues. A l’écriture, on pense à l’émotion et à ce qui pourra se dire au-delà des mots. Et pour cela, il faut laisser la place à l’intention de l’acteur. 

C’est aussi ce à quoi participent vos plans-séquence… 
V.R. : Il faut dire que les acteurs de « Petite Soeur » sont avant tout d’excellents acteurs de théâtre qui n’ont pas peur des longues scènes, même si elles sont précises et très écrites.

S.C. : C’est-à-dire qu’on leur donne des points de chute, ce qui les aide dans l’évolution de leur jeu au cours de la séquence.

V.R. : Car paradoxalement, l’acteur se sent libre dans la contrainte, donc lorsqu’on lui donne des actions précises à effectuer au cours de la scène.

En parlant de « Petite Soeur », impossible de ne pas évoquer le rôle de la femme. Lisa est une épouse et une mère de famille qui s’est oubliée au fil des années pour laisser son mari faire carrière… Quel regard portez-vous là-dessus ?
V.R. : C’est une problématique en effet très contemporaine. Beaucoup de femmes ont aujourd’hui une très bonne formation professionnelle et une saine ambition. Puis au moment d’avoir des enfants, la question financière est mise sur le tapis. Et tout à coup, on trouve normal que la femme réduise son temps de travail pour être plus proche des enfants et s’en occuper. Elle peut avoir certes un bon emploi, mais peut-être pas celui dont elle a toujours rêvé et qui ne sera pas forcément en adéquation avec ses aspirations professionnelles. On a plein d’exemples du genre dans notre entourage… 

« Il y a un dialogue permanent entre nous deux » 

Même si vous n’êtes pas mères de famille, on sait que votre métier demande un total investissement… L’équilibre entre vie privée et vie professionnelle est aussi difficile à trouver pour vous ?  
S.C. : Oui tout à fait. Nos compagnons ne font pas le même métier que nous, ils n’ont pas les mêmes horaires, ni le même rythme de vie. Et lorsqu’on est dans le processus de création d’un film, on est parfois peu disponibles à la vie de couple. Et eux ne comprennent pas toujours. Mais on a appris à gérer notre stress professionnel.  C’est un jeu d’équilibriste. On prend beaucoup sur nous.

V.R. : Même si eux diront le contraire ! (rires) Et puis c’est un métier encore très masculin. Pour s’affirmer en tant que femme dans ce milieu, ce n’est pas facile non plus. Il faut de la ténacité, de l’endurance et un esprit de conviction. Il faut y croire !

Étant jumeaux, les personnages de Lisa et Sven sont en symbiose. C’est un peu le même lien qui vous unit toutes les deux ? Comme un lien du sang ? 
S.C. : Oui, on se connaît depuis l’âge de 10 ans, on a grandi ensemble, été à l’école ensemble. Notre amitié est indéfectible.

V.R. : On a traversé les montagnes russes de l’adolescence en binôme ! L’amitié nous a aidées. Et en ce qui nous concerne, ce lien très fort s’est développé sur le plan professionnel. 

« Ce n’est pas facile de s’affirmer en tant que femme dans ce métier »

Mais à force de réaliser ensemble, vous n’avez pas peur de devenir indissociables dans le métier ?
S.C. : Non, car si on partage énormément, on sait aussi laisser de l’espace à l’autre sur le plan privé comme artistique. Quand on est jeune adulte, on a tendance à vouloir être l’autre, alors qu’aujourd’hui, on s’appuie sur les forces et compétences de chacune. 

V.R. : Plutôt que les jalouser finalement. 

S.C. : Et je pense qu’on a aussi une admiration l’une pour l’autre. 

V.R. : C’est vrai, parce que quand j’étais enfant, j’étais d’une timidité absolue. C’était une angoisse de m’exprimer en classe, et Stéphanie, elle, avait une aisance, une énergie et une joie de vivre que j’admirais. Et que tu as toujours d’ailleurs ! (rires) (à elle) Je pense que j’ai appris grâce à ta générosité et à ta spontanéité, à mieux m’exprimer et à mieux extérioriser. 

« On s’appuie sur les forces et compétences de chacune » 

Tout est né là… 
S.C. : Oui !Et le rire nous a tout de suite réunies. En classe, on avait le rire beaucoup plus facile que maintenant. Il y avait une insouciance…. Un côté ludique et farceur, mais toujours bon enfant. La base de notre métier, c’est aussi le plaisir, le désir, l’envie et l’enthousiasme. On a de la chance partager encore tout ça et que ça dure. 

Sven et Lisa font une liste de ce qu’ils aimeraient faire avant de mourir. Rencontrer un dauphin, aller en Islande, fumer un joint, etc. Y a quoi sur votre bucket list à vous ? 
S.C. : J’ai perdu ma mère pendant le processus d’écriture. Elle est décédée en dix mois. Et Véronique a perdu son père. Les deuils sont cristallisés dans ce film. Alors j’ai appris à ne pas remettre à plus tard, de façon à ne pas avoir de bucket list justement. Je vis le présent. Si j’ai envie de faire quelque chose, je le fais. Et c’est finalement des choses tout à fait banales comme « Allez viens Véronique, on se fait un resto à midi plutôt que de se faire à manger dans notre bureau ! » 

V.R. : …. Cela dit, j’ai quand même quelque chose avec les dauphins moi ! (rires) Ils me fascinent ! J’aimerais bien ne serait-ce qu’en voir… 

S.C. : Oui, parce qu’il faut dire qu’on va depuis des années à Santa Monica pour en apercevoir, que tout le monde autour de nous les voit, sauf nous ! (rires) De mon côté, j’ai toujours eu le rêve de voir des icebergs tout en étant moi-même immergée dans un bain chaud ! (rires) 

Les dauphins, les icebergs… On n’y verrait pas une idée à creuser pour votre prochain film ?
V.R. : Non, là je crois c’est totalement personnel… (sourire)

S.C. : Mais on travaille sur une série, « Toxic ». Elle raconte une contamination mystérieuse du Lac Léman en période caniculaire… 

V.R. : On en est encore à l’écriture pour l’instant. Si tout va bien, on tourne dans une année.Mais avec le Covid, on ne sait jamais ! 

Petite Soeur (Schwesterlein) (My Little Sister)
CH – 2020 – 99min / Fiction
de Stéphanie Chuat, Véronique Reymond
Avec Nina Hoss, Lars Eidinger, Marthe Keller, Jens Albinus, Thomas Ostermeier
Vega Film
16.09.2020 au cinéma

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Amoureux du film «American Gigolo», ses parents la prénomme en hommage à l'actrice américaine Lauren Hutton. Ainsi marquée dans le berceau, comment aurait-elle pu, en grandissant, rester indifférente au 7ème art ? S'enivrant des classiques comme des films d'auteur, cette inconditionnelle de Meryl Streep a prolongé sa culture en menant des études universitaires en théories et histoire du cinéma. Omniprésent dans sa vie, c'est encore et toujours le cinéma qui l'a guidée vers le journalisme, dont elle a fait son métier. Celle qui se rend dans les salles pour s'évader et prolonger ses rêves, ne passe pas un jour sans glisser une réplique de film dans les conversations. Une preuve indélébile de sa passion. Et à tous ceux qui n'épellent pas son prénom correctement ou qui le prononcent au masculin, la Vaudoise leur répond fièrement, non sans une pointe de revanche : «L-A-U-R-E-N, comme Lauren Bacall !». Ça fait classe !

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