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« Vice » : maître marionnettiste

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Réalisé et écrit par Adam McKay, « Vice » est un film audacieux qui tient ses promesses malgré un début quelque peu décousu et beaucoup de termes pouvant paraître compliqués. McKay nous montre là une partie de l’histoire que le grand public ne connaît pas forcément et le fait avec crudité et humour noir, tout en restant très honnête sur l’impossibilité de faire un film complètement véridique et impartial.


« On The Basis of Sex », « Green Book », « BLACKkKLANSMAN »…La saison des Oscars regorge de film biographiques basées sur des personnes aux vies remarquables, qui se sont démarquées à un moment donné pour délivrer des histoires dont les scénaristes raffolent.

En revanche, il y a suffisamment peu de films sur des figures historiques détestées pour que cela se remarque. « Vice » est l’un de ces films, alors si vous faites partie des quelques francophones ayant entendu parler de Cheney et que, on ne sait jamais, l’admirez pour ses choix politiques, je peux sans trop m’avancer, vous dire que ce film n’est pas fait pour vous. Si par contre vous admirez l’homme dans sa montée au pouvoir et dans sa manière de ne reculer devant rien pour atteindre ses objectifs (mais alors devant vraiment rien), ce film va probablement vous intéresser.

Après un commencement un peu chaotique et beaucoup d’informations qui peuvent éventuellement sembler être un peu trop pour nos pauvres cerveaux de profanes non-initiés au système politique et juridique américain, « Vice » a une réalisation étonnante qui a beaucoup divisé les critiques et le public. Mais avant de décrire plus en détails le mode narratif du film, il s’impose de dresser un mini portrait de l’homme au centre de ce film : Dick Cheney, après des années à la Maison Blanche à remplir diverses tâches, devint, de 2001 à 2009, le vice-président du président George W. Bush. Pour être un peu plus précis, Cheney était aux premières loges lors de divers conflits liées à la politique étrangère comme la guerre en Afghanistan, l’invasion en Irak, et plus généralement le début de la sempiternelle guerre contre le terrorisme dans laquelle l’administration Bush se lança suite aux événements du 11 septembre 2001. La façon avec laquelle Cheney devint un des hommes politiques les plus influents de son époque sans réellement se faire remarquer est absolument fascinante et terrifiante à la fois.

Côté casting, le talent de Christian Bale n’est plus à prouver, mais il n’a de cesse de nous étonner et son rôle dans « Vice » n’est qu’un des très nombreux exemples du dévouement de l’acteur. Du moins au plus extrême, voilà ce que Bale a fait pour se fondre dans la peau du 46ème vice-président des États-Unis : se raser la tête, se décolorer les sourcils, faire des exercices spéciaux pour épaissir son cou et prendre plus de 20 kilos. Et le résultat est plus que troublant, on est très loin de Batman, « American Psycho » et, le plus choquant de tous, « The Machinist ». Au-delà de ces considérations physiques, Bale incarne Cheney avec un naturel déconcertant, qui nous fait parfois oublier que l’on regarde un film. Sam Rockwell (« La Ligne Verte », « Three Billboards Outside Ebbing, Missouri ») incarne Bush, et nous montre encore une fois qu’il fait partie de ces acteurs discrets dont le talent rehausse des rôles secondaires mais à qui on ne fait pas plus attention que cela, jusqu’à ce qu’il soit récompensé par un Oscar un beau jour après une carrière de 30 ans (en l’occurrence pour son rôle dans « Three Billboards Outside Ebbing, Missouri »). Amy Adams (« Il était une fois », « The Fighter », « Premier Contact »), interprétant Lynne Cheney, est tout aussi remarquable que les deux hommes avec qui elle partage l’affiche et vient s’ajouter à eux pour la 91ème édition des Oscars avec une nomination. Steve Carell, un habitué des films de McKay, délivre une performance drôle et intense, faisant preuve encore une fois de toute sa versatilité.

Avec un sujet pareil, il aurait été très difficile pour McKay de ne pas montrer certaines atrocités dont le gouvernement américain est responsable ; c’est dans ce sens que le film est certes drôle mais extrêmement brutal. Sans ne rien trop révéler, le film est entrecoupé de quelques brèves reconstitutions de bombardements et des très regrettables (« regrettables » paraît être un mot incroyablement faible pour en parler, mais aucun mot n’est sans doute assez fort pour les qualifier justement) réelles images montrant des soldats américains torturant des prisonniers en Irak. Adam McKay a fait des choix très étonnants dans le montage, faisant de « Vice » un mélange entre un film biographique, un documentaire avec des arrêts sur image et un narrateur, et une complète fiction avec des scènes dotées d’un tel second degré et d’un humour si particulier que cela vous rappelle que vous regardez un film de McKay. Parce que oui, Adam McKay est surtout connu pour la réalisation et l’écriture de comédies telles que les deux films « Anchorman », certains épisodes de la série « Saturday Night Live » ou encore « Step Brothers ». En quelque sorte, « Vice » est une satire politique comme ils ont coutume d’en faire à SNL, mais avec beaucoup plus de moyens, d’engagement et d’ampleur, sans doute due à une subtile profondeur qui fait beaucoup réfléchir.

McKay a un parti pris évident (et a, il me semble, beaucoup de recul par rapport à cela d’ailleurs, il faudra rester pendant le générique pour voir à quoi je fais référence), mais met en scène certaines choses qui mettent très mal à l’aise et qui font énormément réfléchir sur l’histoire américaine, la responsabilité de ses citoyens, les médias extrêmement biaisés et notre tendance humaine à vouloir par-dessus tout trouver un coupable, un ennemi, qu’il soit un pays entier ou un homme en particulier. « Vice » fait réfléchir, c’est sûr, et Adam McKay, paraissant inoffensif avec ses autres films (à part « The Big Short », évidemment), se montre au contraire très mordant, intelligent et audacieux. Ce qui est probablement le plus étonnant, c’est que « Vice » parvient tout de même à rester drôle, mais sans négliger la gravité de la situation. On se blesse en mordant à l’hameçon que McKay nous lance, et on en redemande en rigolant.

Vice (Cheney)
USA   –   2018   –   Biographical
Réalisateur: Adam McKay
Acteur: Amy Adams, Christian Bale, Steve Carell, Jesse Plemons, Sam Rockwell, Tyler Perry, Shea Whigham, Lily Rabe, Alison Pill, Eddie Marsan
Ascot Elite
13.02.2019 au cinéma

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