Une série fantastique suisse coproduite par la télé suisse ? Pincez-moi, je rêve ! Les décideurs de la RTS ont laissé tomber leurs préventions et porté le projet audacieux de la scénariste Pilar Anguita-MacKay, qui nous détaille la genèse de ce projet enthousiasmant. La série est visible tous les samedi à 20h40 sur la RTS Un jusqu’au 5 mars et rattrapable sur le replay de la RTS.
– Comment s’est monté ce projet ? Il est parti d’un scénario que tu portais ou c’était une commande ?
– Un peu des deux. Il y avait un appel à projet de la RTS, qui proposait des thématiques à traiter, avec entre autres « l’identité », et « femme fribourgeoise de 52 ans », qui m’ont intéressée (même si au final l’héroïne est sensiblement plus jeune). De mon côté j’avais l’envie de sortir de mes horizons habituels, qu’on pourrait rapidement résumer par les long-métrages intimistes, et d’aller résolument dans le genre, et le fantastique en particulier, un univers que j’aime beaucoup. La vision de « L’Hôpital et ses fantômes », la mini-série de Lars von Trier, m’avait touchée et j’avais eu envie de faire quelque chose dans ce style. Quant à la thématique des guérisseurs, c’est une amie qui m’en a parlé, ce qui m’a incitée à faire des recherches qui m’ont beaucoup surprise : 75% des Suisses ont ou feraient appel à un guérisseur, c’est une pratique qui fait partie intégrante de la culture et de l’histoire helvétique. La conjonction de tout cela a résulté dans le scénario d’ « Anomalia », qui a ensuite été porté par Jean-Marc Frohle de Point Prod.
– Comment as-tu travaillé avec le réalisateur Pierre Monnard, as-tu été impliquée dans les choix visuels, le casting, la musique, etc. ? As-tu été présente pendant le tournage ?
– Il était prévu contractuellement avec le producteur que je participe au choix du réalisateur et du casting principal, j’ai donc eu pleinement mon mot à dire là-dessus. Une fois que Pierre Monnard a été choisi pour réaliser, sa personnalité modeste et ouverte a permis de créer un échange intéressant. J’ai proposé quelques idées sur la musique, je lui ai explicité ma vision de la série. Après, sur l’aspect images, il y a beaucoup de lui, c’est Pierre qui a eu les nombreuses excellentes idées visuelles qui ponctuent la série. Par contre je n’ai pas été sur le tournage, sur les conseils avisés de la production qui voulait éviter d’éventuels problèmes de confusion d’autorité par rapport à l’équipe. Néanmoins, je recevais tous les jours des rushs et je pouvais transmettre mes observations, qui ont été prises en compte. Et je suis aussi intervenu en fin de montage pour donner mon avis. Mon seul petit regret, c’est de ne pas avoir pu échanger en temps réel avec Pierre pour expliquer mes choix de scénaristes et l’aider à comprendre mon point de vue sur certains personnages, ou certaines situations. On aurait peut-être ainsi pu affiner certaines choses.
– As-tu eu une façon particulière d’écrire le pilote pour accrocher le spectateur ?
– Pour « Anomalia », il n’y a pas eu de demande particulière de la production, donc je me suis surtout concentrée pour bien définir les enjeux et les personnages, afin que tout soit immédiatement clair pour le spectateur. Mais ça peut être différent pour d’autres projets. Par exemple, je travaille en ce moment sur une série pour la télé française, et ils me demandent spécifiquement d’être hyper accrocheuse dès les cinq premières minutes.
– Le choix du fantastique est risqué en Suisse, tu n’appréhendais pas la réception de ton scénario ?
– C’est marrant que tu me demandes ça, parce que tous mes collègues dans le milieu m’ont dit la même chose : « Mais tu es folle ! Personne ne veut de ce genre de scénarios ! ». Mais moi j’avais cette très forte envie de tenter l’expérience, alors je me suis lancée sans penser aux conséquences. Advienne que pourra ! Après tout, le genre en général, et le fantastique en particulier, ne sont que des outils narratifs qui te permettent de développer d’une manière différente des thématiques que tu as envie de creuser… J’espère vraiment que la série va marcher auprès du public suisse, pour qu’elle ouvre des portes à d’autres projets dans le genre, et qu’on sorte de cette frilosité.
– Quelles thématiques as-tu voulu traiter dans cette série ?
– D’abord le rapport à l’être humain dans la médecine moderne. Comment on veut être soigné, y’a-t-il une autre possibilité que le recours de plus en plus important aux machines, qui éloignent le praticien de son patient… L’héroïne, la brillante neurochirurgienne Valérie, va développer des dons de guérisseuse, qui lui viennent de ses ancêtres. Cela va changer son rapport à la médecine, mais aussi questionner son identité. Et c’est le deuxième grand thème de la série : l’acceptation de son héritage familial pour définir son identité et tracer sa propre voie.
– J’ai vu une certaine parenté avec la série de Canal + « Les Revenants », à cause du cadre montagneux (les Alpes fribourgeoises), du fantastique sans artifices et de cette photo un peu froide, dans les tons bleutés. Es-tu d’accord ? Penses-tu que son succès a aidé « Anomalia » à se faire ?
– Sur les similitudes je ne sais pas trop, peut-être que l’esthétique « froide » a à voir avec le fantastique… Par contre, je suis persuadée que le succès des « Revenants » a pu encourager la RTS à franchir le pas.
– Préfères-tu travailler sur des séries ou des long-métrages ?
– Les deux ont leur charme. Le long-métrage est plus ramassé, on est plus proche du réalisateur pour lequel on écrit. Ça permet de rentrer dans l’univers de quelqu’un d’autre, j’aime beaucoup faire ça. Pour les séries, le plaisir – et le défi ! – est d’avoir un immense terrain de jeu, avec beaucoup de personnages à définir, d’enjeux différents à développer et résoudre. Les possibilités sont infinies, mais il faut faire attention à garder une cohérence
– Quels sont tes projets en cours ?
– J’ai quelques concepts de série en écriture, dont une fantastique pour ARTE. Et aussi un long-métrage avec un réalisateur zurichois, Cihan Inan, un thriller. C’est amusant, parce que je suis quelqu’un de très peureuse, qui ferme toujours les portes à double-tour, et pourtant je me retrouve à écrire ce genre de projets. Finalement, j’aime bien m’aventurer dans le suspense et la peur (rires).
Réalisé par Pierre Monnard
Scénario de Pilar Anguita-MacKay
Série de 8 x 42 minutes
Première diffusion le 16/01 à 20h40 sur RTS Un.
Disponible en replay sur www.rts.ch
