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MASSACRE A LA TRONÇONNEUSE 2 ; CHANGEMENT DE REGISTRE

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« Massacre à la tronçonneuse 2 » intensifie et place en son centre les éléments comiques et grotesques que l’on apercevait déjà dans le premier film, en oubliant alors l’horreur, mais pas les tronçonneuses, qui se comptent au pluriel ! En résulte une comédie noire insensée et immodérée.


Le film raconte l’histoire de Strech, une présentatrice-radio qui, après avoir enregistré la bande-son d’un meurtre en direct, se voit assaillie par les membres de la famille Sawyer, responsables du meurtre. Cette famille cannibale et dérangée finit par capturer ce témoin gênant et l’enferme dans son repère. Lefty, oncle de Sally et Franklin (personnages du premier film), y voit alors l’occasion tant attendue pour venger de la mort de ses neveux et, armé de tronçonneuses, s’en va rendre justice et sauver Stretch des mains des Sawyer.

Sortie 12 ans après le premier film, la suite du cultissime Massacre à la tronçonneuse prend radicalement ses distances avec le registre du premier opus. Au style documentaire ordinaire et naturaliste angoissant succède désormais une approche comédique exubérante purement exceptionnelle. Le style nerveux est décidément révolu ; lui succède en contraste une hystérie artificielle remarquable.

« Au style documentaire ordinaire et angoissant succède une approche comédique exubérante « 

C’est notamment dans son état de débauche que se démarque l’œuvre, à l’image d’un carnaval de l’enfer. Elle débute haut en couleurs par la conduite hilare de deux jeunes ivres en voiture qui expriment leur hystérie en occupant la ligne téléphonique d’une station-radio, avant d’être interceptés et tués par Leatherface, armé d’une tronçonneuse. (le tout sous l’oreille de Stretch et son collègue L.G.), rythmé par une musique très dynamique, qui donne un tout autre ton comique à l’horreur qui les frappe. (en plus du jeu d’acteur des deux conducteurs et des giclées de sang hyperborées)

L’esthétique générale du film démontre ainsi un attrait marqué (et très soigné à sa manière) pour le désordre et la ruine, appuyée par une mise en scène spectaculaire visuellement très chargée et saturée, notamment au niveau des éclairages. On y trouve là le caractère stylistique et l’identité artistique de l’oeuvre. Au sein du film, les sources de lumière artificielle abondent, de toutes sortes et couleurs. Dans le repère de la famille Sawyer, qui se trouve être un parc d’attraction sous-terrain désaffecté, les ampoules ou spots divers se comptent par centaines, blancs, rouges ou verts, suspendus au plafond ou accrochés au mur, ils s’opposent et se mélangent à l’écran à l’image d’une boutique en bazar. Mais aussi dans la station-radio, les nombreux boutons ou voyants lumineux se juxtaposant. La mise en scène profite ainsi de cet éclairage pour projeter de nombreux jeux de lumière virtuoses et surprenants sur le visage des spectateurs, jouant avec les ombres pour créer des atmosphères spectaculaires.

Ajouté à la disposition chaotique des objets et accessoires, les décors regorgeant d’éléments et de couleurs, l’effet est quasiment cathartique. Dans le studio de radio, un grand nombre de câbles, papiers et outils jonchent les bureaux, de même que dans le parc d’attraction abandonné, le désordre est omniprésent, jonchant le sol, les parois ou les meubles. Même si la nature des objets occupant les deux lieux est de nature bien différente et que le ton n’est pas le même (on trouve plus d’objets dont la présence est compréhensible au studio de radio que dans le repère des Sawyer, qui abrite littéralement tout et n’importe quoi), cette palette esthétique donne une certaine valeur au film, ainsi qu’une patte identitaire. En résulte un cadre ambiant proche d’une exposition d’art moderne dans lequel peut évoluer à sa guise la folie du film, appuyé par une série de mélodies orchestrales fuyantes et légèrement dissonantes, au tempo et dynamiques très marquées. (la musique est d’ailleurs composée par le réalisateur lui-même ainsi que Jerry Lambert, ce qui témoigne d’un grand contrôle artistique du réalisateur sur le ton de son œuvre). Ce style prend une dimension d’avantage symbolique et illustrative dans le repère de la famille Sawyer, pour mettre en lumière l’aspect dérangé et délirant des personnages, le lieu reprenant l’état d’esprit de ses occupants. Il en va de même pour les étranges costumes délabrés et abîmés que portent ses membres (ou ceux des deux conducteurs ivres en début de film), affublés d’accessoires divers (lunettes de soleil colorées, chapeaux, cheveux en désordre) et de vêtements multicolores. Ce véritable bordel visuel et psychologique est mis en contraste avec la figure particulièrement ordonnée, presque « carrée » de Lefty, sorte de cow-boy justicier venu remettre de l’ordre dans cette anarchie.

The Texas Chain Saw Massacre 2 Lefty, figure de chevalier moderne, s’apprêtant à faire justice

Le réalisateur profite du personnage, auquel il confère une stature de chevalier moderne, pour créer une facette comique à son film à travers diverses oppositions parodiques dans la posture et l’esprit de ses personnages. Le contraste est évident avec l’état d’esprit de la famille Sawyer, mais, à une échelle plus anodine, même dans son quotidien, il est montré comme marginal et incompris. Contrairement à ses collègues, il ne croit pas à l’hypothèse de l’accident de voiture en début du film, et, reconnaissant les marques de la tronçonneuse, remet la faute aux meurtriers du Texas, ne croyant pas à l’hypothèse de la légende urbaine. Même dans son appartement, il semble vivre en âme solitaire, préférant la solitude silencieuse de son appartement à la grande fête bruyante qu’abrite son immeuble lorsque Stretch vient lui rendre visite.

Ces différentes astuces, ajouté au jeu d’acteur fabuleux et à la physionomie de Dennis Hopper et à des dialogues géniaux, contribuent à créer une aura particulière autour de ce personnage, lui conférant une touche comique. En plus d’être amusant, le personnage en devient même touchant dans son esprit de désabusement, reflet d’une Amérique dépassée (il rappelle d’une certaine façon le shérif de No Country For Old Men), mais aussi en tant qu’oncle endeuillé. (« They live on fear, thrive on it. I got no fear left »), d’autant plus qu’il mourra pour sa cause.

On verra donc Lefty évoluer tout au long du film dans le repère de la famille Sawyer et détruire tout sur son passage à grand bruits de tronçonneuse et de hurlements guerriers au fur et à mesure de son avancée. (« It’s the devil’s playground, I’m bringing it down ! To hell ! »), des scènes que, à titre personnel, je trouve extrêmement drôles et mémorables. On suivra sa progression parallèlement à celle de Stretch (parfois même conjointement), un double arc narratif, alternant entre cette dernière empêtrée dans un cauchemar sans fin et un cow-boy en progression, avançant dans le chemin de la justice. Le film  repousse constamment la jonction des deux arcs, qu’il rapproche parfois à l’extrême, jusqu’à la fin du film, créant par le geste une attente comique interminable à la manière d’un running gag, et mettant en valeur la tant attendue rencontre finale.

Au long du film, chacun des membres de la famille Sawyer semble immergé dans son propre monde, insaisissable et obnubilé. En plus du travail sur les costumes évoqué plus haut, le maquillage et la mise en scène, le jeu d’acteur génial et dérangé de chacun d’entre eux, les dialogues remarquablement écrits et étudiés confèrent une personnalité unique à chacun des personnages, et une alchimie fascinante entre eux. Au sujet du grand-père infirme, Drayton dira « He’s 107 years old, but still as fast as Jesse James », et Chop Top se montrera espiègle et moqueur envers Leatherface.

« He’s 107 years old, but still as fast as Jesse James »

Chop-Top est hystérique tout au long du film, dangereux et incompréhensible, et le père, Drayton, sorte de chef de famille, apparaît comme obsédé par la boucherie et la viande, qui constitue le point de gravité de son monde. Il gardera l’esprit d’entreprise en toute circonstance, même à l’aube de la mort (« The small businessman… always, always, always gets it in the ass (…) time to shutdown the show »)

Le contraste de charactère entre Lefty et les Sawyer est d’autant plus amusant. Les interactions qu’il a avec le père boucher sont des plus absurdes, comme un dialogue de sourds, où chacun parle pour lui-même, immergé dans son propre monde, incapable de pénétrer celui de l’autre. Drayton, lorsque Lefty s’introduira chez eux après avoir tout détruit sur son passage et préparé son arrivée par une chanson, s’exclamera alors (et en résultera ma réplique préférée de tout le film) « What the hell’s going on here? Is that the American way of entering a man’s home? Singing like that ? Oh, I get it, the old pressure game ! ». Ou encore, lorsque Lefty s’exlamera, trimophant, « I’m the Lord of the Harvest!”, Drayton répondra, incrédule « What’s that…some new health food bunch ? »

« -I’m the Lord of the Harvest!

-What’s that…some new health-food bunch ?  »

Un des nombreux dialogues mémorables du film (ici, échange entre Lefty et Drayton Sawyer), dont l’absurde marque extrêmement bien le comique des décalages qui s’opèrent entre les personnages

S’en donnant à cœur joie, Tobe Hooper en profite pour mettre en scène les inventions cinématographiques dignes des plus grands nanars, n’hésitant pas à parodier le film précédent, faisant alors preuve d’une amusante autodérision. Leatherface est réduit à un stade bestial et primitif, ne semble pas capable de parler, mais également un être doué d’empathie et de sentiments . Il est pris en étau entre son devoir familial de tueur et l’amour qu’il éprouve pour Stretch, une romance inversée assez amusante, où la lame de la tronçonneuse remplace le symbole phallique, l’attirance sexuelle.

Le burlesque héroïque n’est pas en reste, puisque cette fois-ci, les tronçonneuses sont au pluriel!!! Des petites, des grandes, des longues, des courtes, tronçonneuses « de poche » ou modèles plus grandioses, on trouve de tout! Armes des méchants, mais aussi des gentils, la saga tourne au grotesque ce qui formait l’identité et le caractère de son prédécesseur dans l’imaginaire collectif ; le massacre et la tronçonneuse. Ainsi, Tobe Hooper filme un duel de tronçonneuses absolument épique qui oppose The Lord of the Harvest, comme il s’appelle lui-même, au fameux Leatherface, pour un spectacle immortel. Parades, évitements, sauts, tout y est ! Préférant l’hyperbole comédique au réalisme, Leatherface, malgré ses terribles blessures, transpercé par une tronçonneuse qui reste coincée dans son ventre, poursuit le combat, n’abandonnant rien. En résulte un duel monumental qui plaira à tous les amateurs de grotesque assumé. Dans le même esprit, L.G. malgré ses très nombreuses blessures et son aspect monstrueux, la peau du visage arrachée (Leatherface en ayant fait un masque humain pour Stretch), parviendra tout de même à libérer sa collègue de ses cordes avant de mourir après avoir exprimé son dernier mot (« shit ») sur un ton exaspéré. Les scènes les plus tragiques deviennent carnavalières, tandis que l’horreur est risible.

Il s’amuse également avec le personnage du grand père, qu’il rapproche à un vieux vampire infirme et carnassier, éveillé par les souvenirs du sang et du massacre, mais l’apothéose grotesque du film culminera avec le fabuleux personnage de la grand-mère, que tous les membres de la famille vénèrent à l’image d’une entité divine (Drayton l’invoque avant d’amener Stretch au grand-père, comme s’il s’agissait de l’ange gardien de la famille). Perchée dans les hauts du parc d’attraction, métaphoriquement comme géographiquement, son aura plane au-dessus des spectateurs.

THE TEXAS CHAINSAW MASSACRE 2 Le personnage iconique de la grand-mère

Et enfin, sur une ligne d’avantage métaphorique, là où le premier film s’attardait sur le caractère primitif et retardé du Texas, avec de nombreux plans de paysages désertiques ou sauvages, son moulin, symbole d’un temps passé, ses problèmes d’approvisionnement et sa boucherie désaffectée, le second traite d’avantage de la caricature exubérante et débordant des Etats-Unis modernes.  Les fêtes sont nombreuses, les gros plans sur les doigts gras et les bières abondent, la musique est bruyante, les gens boivent et dansent (dehors comme dans les immeubles) dans une ambiance hautement patriotique et décadente.

Le film va plus loin que son prédécesseur dans son discours sur la consommation de viande, qu’il condamne avec virulence et ironie. La population apparaît comme obsédée par la viande, allant jusqu’à créer la fête du meilleur chili con carne, qui se célèbre à côté d’un drapeau américain (symbole très présent dans le film). Ladite viande s’avère être d’origine humaine, produit des violences cruelles de la famille Sawyer. Une façon comique pour Tobe Hooper de rapprocher une fois encore l’acte carnivore à une boucherie cannibale et d’imager la cruauté du geste. 

On pourra reprocher au film de reprendre plusieurs des scènes du film précédent à l’identique (notamment le repas de famille, ou la scène du marteau), sans réellement leur ajouter une valeur supplémentaire, la patte grotesque qu’on y trouve étant déjà présente dans le film précédent, même si contiguë à une impression terrifiante que masque l’esprit grotesque du second, ce qui ne gâche pas forcément le plaisir pour autant, mais peut simplement créer un effet de répétition légèrement dommage pour un spectateur ayant déjà vu le film précédent. (par ailleurs, il n’est pas nécessaire d’avoir vu le premier film pour comprendre ou apprécier le second)

Ainsi, Massacre à la tronçonneuse 2 est une œuvre remarquablement créative, artistiquement très  affirmée et hautement amusante, et me semble être une expérience cinématographique stimulante. Le film ne plaira certainement pas à tous les publics, son expressivité tonitruante et son énergie hystérique saura en fatiguer beaucoup tandis que d’autres déprécieront certainement son humour noir brûlant ou son sens du grotesque débordant et son ton radical ; avis aux amateurs !


Fiche IMDB du film
Fiche Senscritique du film


THE TEXAS CHAINSAW MASSACRE 2

Réalisé par Tobe Hooper
Avec Dennis Hopper, Caroline Williams, Jim Siedow
Durée : 100 minutes
Sorti en 1986
Société de distribution : UCG Distribution

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