Home Cinéma Critiques de films À quelques kilomètres de Disneyworld : enfance, pauvreté et magie

À quelques kilomètres de Disneyworld : enfance, pauvreté et magie

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Dans un univers de glaces à la vanille et de murs peints en violet, s’engage un voyage teinté d’ironie et de dureté, non loin de Disneyworld, à Orlando aux Etats-Unis. Avec The Florida Project, Sean Baker déverse toute sa poésie à l’image et réussi avec succès le pari de faire un film fort en partant du point de vue de l’enfance.


Habitants du motel coloré répondant au doux nom de « Magic Castle », non loin du concurrent « Futureland », Moonee (Brooklynn Prince) et son meilleur ami Scooty sont deux enfants qui vivent et grandissent, pleurent et jouent, et qui voient passer devant eux les touristes plus aisés ayant les moyens de se rendre à Disneyworld. Mais la créativité et l’imagination de Mooney sont inarrêtables et elle ne cesse de courir dans tous les sens, de crier de joie et de s’amuser avec ce qu’elle a à disposition. Ses jeux vont du crachat sur capot de voiture depuis le balcon du motel, à la mise à feu d’un coussin dans une cheminée de lotissement abandonné, qui donnera un incendie festif auquel tous les résidents des motels-palais délabrés du coin s’invitent joyeusement. La mère de Moonee (Bria Vinaite), Halley, une jeune femme plus adolescente rebelle rap et tatouages que maman jupe plissée et gâteaux au chocolat, tente de joindre les deux bouts pour rester dans l’établissement géré par le généreux Bobby (Willem Dafoe). Hally tente de vendre des contrefaçons de parfums de grandes marques des hôtels un peu plus chic des alentours, envoie sa fille et Scooty chercher des gaufres au sirop d’érable par la porte de derrière du fast-food où travaille la mère de ce dernier, et, en cas de fin de mois difficile, se voit obligée de recevoir des hommes dans sa chambre familiale, alors que Moonee joue dans le bain dans la chambre d’à côté. Une simple et pourtant magnifique tranche de vie, dont la joyeuseté et l’innocence initiales s’étiolent au fur et à mesure du film, qui passe de la comédie naïve à la réflexion amère.

Une douceur et une force folles se dégagent tout à la fois de cette histoire qui se base sur des faits absolument réels et qui, aux Etats-Unis, sont même un problème national : le co-scénariste du film Chris Bergoch visite sa famille qui habite dans la région d’Orlando et voit, à chaque passage, ces familles qui font du mieux qu’elles peuvent dans ces établissements de passage vétustes, au loyer plus abordable qu’un véritable appartement ou qu’une maison. Ces familles forcées de vivre dans ces conditions faute de mieux révèlent une situation insoupçonnée. Chris Bergoch en parle donc à Sean Baker, et tous deux décident de se lancer dans la narration de cette histoire qui a beaucoup de potentiel selon le réalisateur : « En s’intéressant à cet endroit particulier, nous nous sommes dit que cela aurait plus d’impact que de filmer la même situation au New Jersey par exemple, parce que c’est tellement inattendu. Ces familles vivent en fait à quelques kilomètres de l’endroit le plus magique sur la Terre pour les enfants. Et il y a tellement de personnes qui ont visité Orlando et le parc, certaines personnes disent même que c’est une des capitales touristiques du monde, avec des millions de visiteurs chaque année, ce qui, à mon avis, donne aussi plus de force et de réel à ce film ». (Interview complète disponible ici)

Et c’est avec autant de douceur et de force que Moonee soutient sa maman et occupe ses journées. Quelques-unes de ses répliques résonnent dans la tête du spectateur et sont vraiment surprenantes : « Je peux toujours prédire quand les adultes sont sur le point de pleurer », « On va aller tabasser le lutin qui garde l’or au bout de l’arc-en-ciel », « Mon arbre préféré, c’est celui qui est renversé, mais qui continue de grandir ». La naïveté propre aux enfants est ici empreinte d’une maturité étonnante de la part de la petite fille, qui explore le monde qui l’entoure et en découvre les bons – glaces à la vanille « gratuites » et heures devant la télé » comme les mauvais côtés. Sa maman préserve également cette innocence, mais seulement dans une certaine mesure, car elle n’hésite pas à embarquer Mooney avec elle pour faire vendre plus de faux parfums en attendrissant les clients, ni à jurer à tout bout de champ, à renverser du soda sur le sol la réception d’un hôtel voisin, ou à fumer et boire devant elle. Une relation plus sororale que véritablement maternelle qui est plutôt originale dans la production cinématographique récente.

Sur un plan plus technique et esthétique, il est intéressant de voir qu’Alexis Zabe, directeur de la photographie, propose des plans souvent très larges, en courte focale, qui emplissent l’écran d’un gigantesque paysage, que les enfants traversent de façon récurrente : parking aux voitures colorées, champ à l’herbe haute, cour devant l’hôtel. Moonee et Scooty, rejoints également par la petite Jancey, font de leurs journées des aventures et ils galopent sans s’arrêter à travers l’écran, de gauche à droite, de droite à gauche, ainsi que dans une profondeur de champ qu’on a laissée s’exprimer et s’étendre pour renforcer cette sensation d’exploration de l’espace par les enfants.

Impossible encore de passer à côté du montage, toujours très particulier chez Sean Baker, qui refuse les structures habituelles de cohérence, fluidité, chronologie, pour proposer une temporalité plus éclatée voire presque atemporelle. Il explique vouloir, d’une part, se détacher de la création d’un film emballé-pesé prêt à consommer et ne pas vouloir totalement prémâcher le travail de compréhension des spectateurs, et, d’autre part, rappeler que l’été est en soi une période peu structurée, sans horaires particuliers ni impératifs d’emploi du temps, ce qui se ressent au travers des décisions prises au montage.

Sean Baker insiste sur les contrastes, les oppositions, sans pour autant en faire trop. Avec justesse, il aborde des thématiques délicates et peu connues en évitant le jugement, tout en offrant une véritable proposition au niveau de son langage cinématographique. Le premier plan du film, esthétiquement très fort, donne le ton : un plan fixe sur un mur violet sur lequel s’affiche le générique, au rythme de l’entraînante « Celebration » de Kool and the Gang, et qui représente toute la force et toute l’ironie de cette histoire d’enfance, de pauvreté, mais finalement aussi et surtout, de magie.

 

The Florida Project
USA   –   2017   –   115 Min.   –   Comedy
Réalisateur: Sean Baker
Acteur: Willem Dafoe, Brooklynn Prince, Valeria Cotto, Bria Vinaite, Caleb Landry Jones
Filmcoopi
20.12.2017 au cinéma

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