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INVISIBLES : Festival Histoire et Cité 2022

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En décembre 2020, la statue du général sudiste Robert E. Lee a été retirée de la crypte du Capitole à Washington. Elle sera bientôt remplacée par celle de Barbara Rose Johns, une Afro-Américaine militante pour les droits civiques. Six mois auparavant, à Neuchâtel, la statue de David de Pury a été maculée de peinture rouge pour dénoncer la participation de ce notable à la traite des esclaves et, plus généralement, le silence entourant le rôle de la Suisse dans l’exploitation des populations africaines. En 2021 à Genève, l’association l’Escouade a retracé dans un ouvrage l’itinéraire biographique de 100 femmes pour pallier leur manque de visibilité publique, dans un contexte où seul 7% des noms de rues de la cité de Calvin leur est consacrées.

À des titres très divers, ces initiatives invitent à déconstruire les récits nationaux, à réévaluer notre rapport aux « grands hommes », à poser un regard critique sur l’histoire. Elles font écho à une demande sociale et politique de remise en cause de notre relation au passé en valorisant des acteurs·trices et des populations longtemps relégué·e·s dans l’angle mort des récits collectifs et des commémorations officielles.

Rendre visibles et faire l’histoire des « sans-histoires », des opprimé·e·s, des exclu·e·s, des marginales et des marginaux suppose un renversement de perspective, un changement de paradigme. Que savons-nous des Indien·ne·s d’Amérique, dont la dénomination correspond au regard de Christophe Colomb qui était convaincu d’avoir rejoint les Indes en débarquant outre- Atlantique ? Et des barbares, terme désignant pour les Romains tous les peuples installés en dehors des frontières de l’empire ? À l’échelle du XXe siècle, les femmes, les enfants, les précaires, les migrant·e·s ont été largement tenus à l’écart des principales études historiques. Issue des Lumières, l’idée d’un dévoilement progressif, d’un mouvement vers la transparence et la connaissance universelle est récente. Elle questionne le travail des historien·ne·s et la constitution des savoirs. Comment donner à voir et à comprendre le passé des populations dont les traces archéologiques et/ou documentaires sont ténues ? Comment étudier les peuples nomades et les sociétés basées sur une tradition orale ? La transmission et la conservation des traces du passé reposent par ailleurs sur un travail de l’ombre des copistes, des éditeurs·trices et des archivistes, entre autres. Leur pérennisation ou, à l’inverse, leur disparation résulte de rapports de force sans cesse remaniés. En contexte de guerre, l’anéantissement physique de l’adversaire est souvent associé à une éradication des traces documentaires. La volonté d’effacer la mémoire, de reléguer autrui aux oubliettes de l’histoire évoque certains massacres « silencieux » et les disparitions forcées qui s’accompagnent de la destruction ou de la dissimulation planifiée des corps. La lutte contre l’oubli et pour la dignité a notamment été au coeur de la mobilisation des Mères de la plaza de Mayo à Buenos Aires dès la fin des années 1970 afin de dénoncer les exécutions secrètes menées par la dictature argentine.

Or ces « devoirs » ou travaux de mémoire associés à des épisodes traumatiques longtemps occultés et à la notion contemporaine de victimes, orientent à leur tour l’attention publique sur certains enjeux historiques au détriment d’autres. Si l’esprit des Lumières a contribué à construire notre rapport au monde et à la connaissance à travers une démarche scientifique empirique, ce fut largement au prix d’un rejet de ce qui relève du surnaturel, des croyances et des forces invisibles.

Visible et invisible se nourrissent donc l’un l’autre et leur statut évolue au fil du temps et selon les contextes. Les « invisibles » d’une époque et d’une culture données tiennent à ce que les collectifs humains ne peuvent, ne veulent ou décident de ne pas voir, mais aussi aux pouvoirs qu’ils octroient aux mondes occultes, à l’imaginaire et à la fiction en tant que facteurs de cohésion.

Festival Histoire et Cité 2022
Du 29 mars au 03 avril
www.histoire-cite.ch

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