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Teona Strugar Mitevska : « La guerre est une maladie qui reste dans ton cœur et c’est très difficile de se débarrasser. »

Comment se construire après des années de guerre ? Comment vivre avec ceux qui une autre fois étaient nos ennemis ? Tant de questions que le film « The Happiest Man in the World » de la réalisatrice Teona Strugar Mitevska essaie de répondre dans une comédie dramatique touchante et plus que jamais, très réelle.


Pouvez-vous nous dire en quelques mots de quoi parle votre film ?
C’est une bonne façon de comprendre ce que c’est de vivre en Sarajevo aujourd’hui. Ce que c’est de vivre en guerre quand il n’y a pas de guerre. Et c’est aussi une histoire de deux jeunes, Asja et Zoran qui essaient de se reconstruire dans le Sarajevo d’aujourd’hui.

Comment est né le sujet du film ?
C’est une vraie histoire ! L’histoire de ma scénariste avec qui j’ai coécrit mon film, Elma Tataragić, mais aussi « Dieu existe, son nom est Petrunya » et « When the Day Had No Name». Pendant le siège de Sarajevo, elle a été gravement blessée. Et après la guerre, dans un workshop de théâtre, elle a rencontré la personne qui l’a blessée. Ce n’est pas 100 % certain, mais à 99,2 %, c’était la personne qui lui a tiré dessus. C’est une histoire qu’elle avait gardée en elle pendant des années. Elle ne savait pas comment parler de ça. Et un jour, elle a dit « Écoute, je suis prête ». Un choix courageux, car c’est tellement personnel. Mais c’est comme ça qu’on change le monde. En fait, c’est par des petits détails, des choses très intimes qu’on peut se rapprocher des autres… des spectateurs, et parler des choses qui nous bouleversent.

c’est une comédie situationnelle, mais en même temps, la structure du scénario, c’est comme une montagne russe.

Il y a de l’humour et pourtant, c’est une histoire touchante et triste.
Vous savez, la vie est drôle. Quand on vit dans la guerre, il y a des choses drôles qui se passent aussi, il y a de l’humour partout et moi, j’adore l’humour qui vient de là… On appelle ça « l’humour situationnel », qui vient de la situation, de l’endroit où les personnages se trouvent. Oui, on peut dire que mon film, c’est une comédie situationnelle, mais en même temps, la structure du scénario, c’est comme une montagne russe. Ça veut dire qu’on passe par tous les sentiments, et même ceux qui sont assez lourds, mais la vie continue.

Vous abordez des sujets graves, mais toujours avec un peu d’humour. Pourquoi ?
Oui, il y a de l’humour. Pas dans tous mes films mais dans mes deux derniers oui. Je ne sais pas pourquoi. Vous savez, quand on est jeune réalisatrice ou réalisateur, on veut parler de choses sérieuses, mais personnellement, j’ai beaucoup d’humour. Par exemple, avec Petrunya, on a réussi à mettre un certain humour dans le film malgré l’histoire. J’ai réussi à en ajouter dans celui-ci aussi parce qu’on savait que c’était un sujet délicat de parler de la guerre et de l’après-guerre. Et on s’était dit avec Elma, « qu’est-ce que c’est la chose la plus universelle avec laquelle le public du monde entier peut s’identifier ? ». Et on est arrivés au Speed Dating. D’ailleurs, le film commence avec des gens qui sont à la recherche de l’amour. On a tous cherché l’amour, d’une manière ou d’une autre et tout le monde connaît le concept du Speed Dating.

la guerre est une maladie qui reste dans ton cœur et c’est très difficile de se débarrasser.

Votre film s’adresse à un public jeune ou adulte ?
Quand on était en train de faire le film, ça ne s’adressait pas du tout à la jeunesse. Mais maintenant, je me rends compte que finalement, c’est un film qui touche le jeune public. Par exemple, on avait fait la Première du film en Bosnie et tout le monde était en train de dire « Mais c’est un film qui va être vu par les lycéens, pas seulement en Bosnie, mais dans toute l’ex-Yougoslavie. » Des propos qui ont été confirmés au Festival Les Arques en France où on a eu le prix du jury des lycéens. Pour moi, c’était inattendu et ils m’ont dit quelque chose qui m’a touché : « Vous savez, c’est important pour nous de comprendre comment vivre après la guerre. Comment on peut continuer à vivre. ». C’était très éducatif pour eux.

Votre film est également un message d’espoir pour le peuple ukrainien et russe ?
Ce film parle de comment la guerre est une maladie qui reste dans ton cœur et c’est très difficile de se débarrasser. Une horrible maladie qui est un petit peu partout et comment elle est présente dans le quotidien de chacun, même trente ans plus tard. Et ça, c’est un message important. C’est important pour l’Ukraine par exemple, car au bout d’un moment, on verra la fin de ce conflit et faudra réfléchir à sa reconstruction psychologique et comment vivre avec ceux qui étaient une autre fois nos ennemis. Et ce moment-là, c’est le plus important. Comment on peut se reconstruire et construire un futur pour ces peuples-là ? L’Europe a son importance à ce moment-là, ils doivent mieux faire et ne pas commettre les mêmes erreurs qu’ils ont fait aux Balkans.

Qu’est-ce que c’est le cinéma ?
Le cinéma, c’est l’expérience, des émotions, des sensations. Et moi, je me considère comme une magicienne d’expériences et j’utilise la forme cinématographique pour vous amener, vous donner des sensations que vous ne pouvez pas expérimenter autrement. Et c’est ça la beauté et le pouvoir du cinéma. Ce film, vous donne exactement ça. Les sentiments, des expériences étonnantes, fortes, qui peuvent vous changer la vie aussi. Pourquoi on fait l’art ? Pour rendre le monde meilleur. Et ça, c’est important. C’est important de rester idéaliste et de croire au pouvoir de l’art et au pouvoir du cinéma.

The Happiest Man in the World
MK, DK, BE, SI, HR, BA – 2022 – 95 – Drame 
Réalisateur: Teona Strugar Mitevska 
Acteur:Jelena Kordic Kuret, Adnan Omerovic, Labina Mitevska, Ana Kostovska, Ksenija Marinkovic, Izudin Bajrovic, Irma Alimanovic, Vedrana Bozinovic, Mona Muratovic, Nikolina Kujaca 
Trigon Film
29.03.2023 au cinéma 

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