5.7 C
Munich
vendredi, avril 19, 2024
- Publicité -

Claire Simon : « Je ne fais pas des interviews mais des conversations ».

Alain Baruh
Alain Baruh
Le cinéma est un lieu merveilleux, on y trouve de tout: des comédies (mon genre préféré), des films d'auteurs (que j'apprécie pour leur diversité), des documentaires plus ou moins passionnants, des blockbusters et d'autres types de films. Fan du cinéma français et des pays latins, j'en ai fait ma spécialité. Rédacteur depuis de nombreuses années, j'aime partager mes connaissances et découvertes. «Le cinéma est fait pour tous ceux dont la curiosité est le plus grand défaut» Claude Lelouch

Alors que son film « Le bois dont les rêves sont faits » est sorti dans les salles romandes il y a peu (voir la chronique dans la section En salles), nous avons eu le plaisir de partager un moment avec la réalisatrice du film, Claire Simon.

Le Bois dont les rêves sont faits De Claire Simon
Le Bois dont les rêves sont faits
De Claire Simon

« Le bois dont les rêves sont faits » est un film qui parle de la nature, pourquoi avez-vous choisi de parler de ce sujet en particulier ?
Il y a plein de raisons, mais disons que l’idée du film m’est venue alors que j’avais passé beaucoup de temps à travailler sur « La Gare du Nord » à Paris, qui est une très grande Gare et qui me paraissait comme une place publique, emblématique de la ville et de la mondialisation et j’avais envie de faire quelque chose qui raconterait aussi notre monde, mais du point de vue de la nature et c’est un peu comme un diptyque, si vous voulez… Presque, parce que la Gare du Nord c’est un peu la porte de l’enfer alors que là c’est la porte du paradis et j’ai trouvé que c’était très intéressant de parler de la nature de la ville et pas de la vraie nature qui est ici dans les montagnes, les forêts mais plutôt du désir de nature qu’ont les gens, les urbains, qui est cette nature à la portée de tous. Pas besoin d’avoir une maison de campagne ou d’avoir une adresse de vacances, on sort du métro et on se retrouve dans la forêt donc c’est plutôt ça que j’ai trouvé très intéressant. Et l’autre aspect c’est aussi de me dire que les gens que j’allais éventuellement voir ou rencontrer seraient là pour leur bien personnel, et c’est un choix à eux, un choix volontaire de venir se promener c’est une décision personnelle, ce n’est jamais une contrainte, ce n’est jamais quelque chose qu’ils sont obligés de faire. Donc j’avais envie d’entendre la parole de gens qui parlent de leur désir auquel personne ne les contraint, c’est un peu comme un film sur le bonheur, c’est difficile à faire mais je ne vois pas pourquoi seule la publicité parlerait de ça.

Justement, vous avez choisi le Parc ou Bois de Vincennes (dit-on Parc ou Bois de Vincennes d’ailleurs ?) : pourquoi celui-ci plutôt qu’un autre parc parisien ?
On dit Bois parce qu’il y a de la forêt. Un parc c’est quelque chose qui est complètement domestiqué, qui est dans l’idée paysagère, c’est vraiment entre le Parc, le Square ce sont des jardins, si vous voulez. Et le Bois il y a une idée du sauvage dans le terme Bois. Il y a aussi le Bois de Boulogne, mais j’aurais pu aller à Londres ou autres, il y a des Bois à Berlin mais il se trouve que j’ai fait ce que je connais un peu mieux, je me suis pas acharné sur ce qu’il y a de propre à Vincennes plutôt qu’un autre. Ce qu’il y a d’intéressant c’est l’idée même du Bois.

Vincennes est le deuxième Bois de Paris, n’est-ce pas ?
C’est plus grand que le Bois de Boulogne, il fait 995 hectares

Le Bois dont les rêves sont faits

Comment avez-vous choisi les personnages de votre histoire? Avez-vous un lien particulier avec certains de ces personnages?
Il y a une personne avec qui j’ai un lien, c’est la fille de Gilles Deleuze. J’ai demandé à Gilles Deleuze de venir. J’ai rencontré beaucoup de gens avec 150 heures de rush, ceux qui composent le film, ce sont ceux avec qui la relation était la plus forte. Où leur situation, la façon dont ils racontent leur expérience du Bois est une forme que je trouve sur le plan de la mise en scène particulièrement puissante. Un peintre qui ne peint pas ce qu’il voit dans un endroit somptueux et il y a déjà une mise en scène qui est là, qui est présente. Un type qui balaie les sentiers pour que ce soit propre pour faire son fitness… Ce sont des affirmations comme ça, de chacun, de sa place… Un type qui construit un pigeonnier à côté de son travail pour élever les pigeons. Ce sont des gens qui ont affirmé, pas tous, les trois que j’ai cités. Après quand on fait un film et un film documentaire composé de différentes expériences, rencontres, l’ensemble doit raconter une histoire quand-même, l’ensemble doit se tenir, donc c’est un choix par rapport à l’ensemble. C’est comme quand on écrit une histoire, c’est la même-chose.

Le Bois dont les rêves sont faits

Donc, quand vous avez fait le film, vous avez repris des morceaux, vous avez fait des modifications, ou est-ce resté dans la continuité ?
Mon parti pris était les saisons, donc à l’intérieur de chaque saison il y a peut-être des choses que j’ai mises, devant, derrière, mais sinon j’ai évidemment respecté les saisons parce que l’image me trahit sinon. Et c’est un point de vue volontaire de ma part d’ailleurs dans tous mes films, même si ça pourrait avoir l’air d’une mosaïque. Parce que j’ai pris tant de risques en filmant les gens que je ne peux pas mettre la prostituée avant l’homosexuel, parce que j’ai filmé l’homosexuel en automne et la prostituée en hiver. Il y a forcément une grande différence avec par exemple une réalisation journalistique très thématique où là on s’arrange pour que tout puisse aller dans un sens, dans n’importe quel sens. Le film raconte aussi forcément mon cheminement, puisque je me suis engagée toujours au maximum dans une espèce de déroulé, dans une chronologie des saisons.

Le Bois dont les rêves sont faits

Cette question risque peut-être de vous surprendre, mais vous avez choisi des personnes atypiques, y a-t-il un message particulier dans votre documentaire ou est-ce purement le hasard des rencontres ?
C’est ni l’un ni l’autre, d’abord je ne pense pas que les (elle s’interrompt)… Enfin, c’est vous qui avez raison quand vous voyez le film ce n’est pas moi, c’est à dire, un film est composé de scènes qui sont forcément un dessin, il n’y a pas de message, je ne me pose pas la question de la représentativité quand je fais un film, c’est une question qui est plus de l’ordre d’un journaliste parce que, le journaliste quelqu’un l’a envoyé rendre compte. Moi, je ne suis envoyée par personne et je me suis surtout occupée du désir des gens et de ce qui les traversait, je ne crois pas du tout avoir montré des gens très bizarres. Voilà par exemple bon, c’est vrai que la question de toutes les familles qui sont là le dimanche a été réglée par un seul plan, où on voit l’allée royale absolument pleine de monde. Mais ensuite on voit des détails quand on voit la mère seule avec son enfant, on comprend que ça peut-être ça aussi le dimanche, ça peut être une solitude au milieu d’un bonheur imposé, mais voilà, ça peut être aussi des enfants qui jouent au rugby, des choses… La première scène qu’on voit c’est un peu clinique avec un type homo passablement éméché ou défoncé, mais n’empêche que c’est très exactement un pique-nique du dimanche entre amis. En fait c’est pareil que n’importe quel Bois d’une métropole européenne, mais je pense que c’est pareil en Chine, il y avait un film d’ailleurs sur le parc de Canton, c’était pas très différent, si ce n’est que les gens dansent beaucoup plus en Chine.

Le Bois dont les rêves sont faits

Combien de temps a duré le tournage ?
Il s’est étalé sur une année, après je n’ai pas tourné tous les jours pendant un an…

C’était en fonction de la météo ?
C’était en fonction de plein de paramètres, du temps que j’avais, j’ai tourné à peu près l’équivalent de 90 jours, c’est beaucoup, c’est énorme même, c’est trop.

Si vous avez choisi des habitués du Bois à la place d’acteurs professionnels, j’imagine que c’est pour être plus proche de la réalité ?
C’est à dire que ce n’est pas exactement le même mouvement, si on est dans une fiction on arrive avec une histoire, des dialogues et on espère que les acteurs vont rendre le texte vrai. Là c’est plutôt qu’on a des vraies personnes dont on espère qu’elles vont apporter une histoire. C’est un mouvement inverse.

Ils n’avaient pas donc l’habitude de la caméra, comment s’est déroulé le tournage avec eux ?
Il n’y a pas eu de gêne particulière de leur part.

On voit beaucoup de cyclistes, mais ils ne prennent pas beaucoup la parole. Quelle en est la raison ?
Je les ai filmés en train de parler, mais comme on pouvait voir leur expérience et que je trouvais qu’elle était très éloquente et qu’elle venait à la fin du film, où on avait entendu beaucoup de paroles, j’espérais que le côté très physique et qui était un peu métaphoriquement asexuel apparaîtrait. C’est à dire que c’est une alternative au Bois qui est très sexuel, enfin les gens qui y vont pour des raisons érotiques, et là on voit des gens qui font la course etc. Mais on comprend qu’il y a quand même un engagement du corps et entre eux qui est très fort, voilà je l’ai laissé en suspens, un peu. Eux, ils appellent ça l’orgasme collectif, l’orgasme du samedi matin. J’ai entendu quelqu’un dire ça qui était avec moi et enfin, les cyclistes disaient la même chose.

Le Bois dont les rêves sont faits

Quelle est la signification du titre « Le Bois dont les rêves sont faits » ?
C’est Le Bois parce que en français, enfin je ne sais pas si en Suisse vous avez aussi cette expression, on dit : « Le Bois dont sont fait les grands hommes », ça veut dire le Bois comme pour faire une flûte ou un violon, donc il y a un jeu de mots entre le bois la matière et le Bois, le lieu.

Avez-vous utilisé une méthode particulière pour filmer ?
C’est moi qui tourne et filme : on était soit deux, trois ou quatre selon les jours, on était en vélo, moi je filme et je parle en même temps, en tout cas j’estime que je ne fais pas des interviews mais des conversations, je demande au fond aux gens de me raconter quelque chose, mais pas dans le principe d’une interview où ils seraient obligés de correspondre à ce qu’ils croient que j’attends d’eux. Et puis si c’était des interviews on pourrait les faire n’importe où, alors que là c’est fait pour filmer des gens qui sont en train de faire quelque chose ou qui viennent dans le lieu qui est pour eux le lieu qu’ils aiment dans le Bois, donc c’est un moment dans le Bois dont on parle, mais c’est un moment. Quand je rencontre des gens au Nouvel An Cambodgien c’est pas du tout pareil que si je vais les rencontrer dans l’arrière cuisine d’un restaurant ou dans la rue.

Avez-vous des projets pour un nouveau film ?
Oui, mais on ne va pas trop en parler (sourire).

Le Bois dont les rêves sont faits
Le Bois dont les rêves sont faits

Pour terminer est-ce que vous connaissez la région lémanique ?
Je connais un peu, j’y suis venue plusieurs fois enseigner à Lausanne à l’Ecole du Cinéma et puis j’ai mixé le film à Rolle, c’était la deuxième fois, chez François Muzy et je suis venue plusieurs fois au Festival « Visions du Réel » à Nyon où j’ai eu un atelier en 2008-2009.

Et cela vous inspire-t-il pour un film ?
Oui, il y a de la concurrence de très haut niveau en Suisse (rires), mais moi je filme ce que je connais, ce qui est proche de moi, je trouve que le cinéma c’est très géographique, c’est très lié à ce qu’on connaît dans la géographie. Il y a des grands cinéastes américains qui ont fait des mauvais films en France, donc on y réfléchit à deux fois avant d’aller dans des endroits qu’on ne connaît pas du tout. Mais en même temps le Bois de Vincennes que je croyais connaître, je ne le connaissais pas. L’étranger et l’étrangeté est au coin de la rue et c’est ça qui est beau. Le mot forêt ça vient du latin « Foresta, Fors, Foris » et ça veut dire dehors, l’extérieur, c’est la racine avec lequel on a fait « Foreign » en anglais qui veut dire étranger. Et le Bois c’est l’extérieur de la ville, c’est l’étranger de la ville et c’est drôle que tous les gens qui se sentent pas tout à fait de Paris vont encore plus au Bois que les autres parce que le Bois est pour eux comme un souvenir de leur patrie, même si ils viennent d’une région qui est proche de Paris.

Le Bois dont les rêves sont faits

Le Bois dont les rêves sont faits
De Claire Simon
Avec Daniel, Stéphanie, Gilles, Philippe
Adok Films
Sortie le 04/05

- Publicité -

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

- Publicité -