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vendredi, novembre 8, 2024
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Her

Tout droit venu de la publicité (Nike, Coca-Cola ou encore Nissa lui doivent certains de leurs plus beaux spots) et du clip (entre Björk, Arcade Fire, Daft Punk, R.E.M., les Beastie Boys et Sonic Youth, la liste de ses collaborations donne le tournis!) Spike Jonze affiche un parcours atypique. Alors qu’il fait une entrée fracassante dans l’univers du cinéma avec le très remarqué «Dans la peau de John Malkovich» en 1999, il change immédiatement de registre en produisant la fameuse série américaine «Jackass».


Également acteur à ses heures perdues, il apparaît notamment dans «Les Rois du désert», «Hannibal» ou plus récemment dans «The Wolf of Wall Street». Cet éclectisme se ressent dans ses réalisations. Après sa folle plongée dans le psychisme de l’acteur John Malkovich, il réalise un trip comique et autoréflexif sur le métier de scénariste et de cinéaste avec «Adaptation». Pour son troisième long métrage, il explore une fois encore de nouveaux horizons avec le magnifique «Max et les maximonstres», adaptation du livre pour enfants de Maurice Sendak et qui demeure l’un des plus beaux films jamais tournés sur l’imaginaire enfantin. Et aujourd’hui, le voilà qui réalise le premier film qu’il a entièrement scénarisé. Une tâche qui semble lui convenir puisqu’il vient de recevoir, entre beaucoup d’autres prix, le Golden Globe et l’Oscar du meilleur scénario original. Une reconnaissance amplement méritée pour ce film qui s’avère être l’histoire d’amour la plus originale depuis de très nombreuses années. Et l’une des plus touchantes également…

La voix
Theodore Twombly n’arrive pas à se remettre de sa rupture avec son ex-femme. Particulièrement doué pour exprimer les émotions des autres, il travaille pour une entreprise qui se charge d’écrire des lettres très personnelles à la place de leurs clients. Lettres d’amour, d’anniversaire, de rupture; les employés de «Belles lettres manuscrites» jonglent entre différents registres et font part d’une extraordinaire empathie. Paradoxalement, au sein de sa propre vie, Theodore n’a jamais été doué pour exprimer ses propres émotions et ressentis. Solitaire, à la limite de la dépression mélancolique, il passe son temps à jouer à des jeux vidéo et tente quelques rencontres sur internet, sans succès.

Mais la vie de Theodore bascule le jour où il achète un nouveau programme d’intelligence artificielle ultra moderne. Appelé OS1, il s’agit d’un système d’exploitation qui ressemble à un petit Smartphone. Sa particularité: il contient une intelligence artificielle révolutionnaire, douée de conscience et capable d’évoluer en fonction de ses interactions avec les êtres humains. Après avoir lancé le système pour la première fois, Theodore fait la rencontre de «Samantha», une voix féminine (celle de Scarlett Johansson, qui n’apparaîtra jamais à l’écran), intelligente, drôle et qui semble prête à combler le vide émotionnel qu’il traverse. Plus le temps passe et plus Theodore oublie qu’il ne s’agit «que» d’une conscience digitale et tombe peu à peu amoureux de Samantha.

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Amour digital
Voici comment débute cette romance extrêmement originale (puisque qu’elle ne met en scène qu’un seul personnage) qu’on pourrait qualifier de «première histoire d’amour geek». L’une des grandes forces du film est de ne jamais s’étonner de son propre sujet comme le ferait un cinéaste qui serait fier d’avoir eu une excellente idée et qui se contenterait de souligner son potentiel sans jamais véritablement l’exploiter. Cette autosatisfaction, le réalisateur l’évacue très rapidement en signifiant que personne ne s’étonne de voir Theodore entretenir une relation amoureuse avec son OS. Spike Jonze préfère explorer les possibilités offertes par son sujet. Il est remarquable de voir à quel point il redouble d’inventivité pour signifier la présence de Samantha sans jamais vouloir lui donner chair. Ainsi, c’est dans l’évolution de Theodore et de Samantha et dans l’influence que celle-ci a sur son comportement que nous percevons leur relation. Au final, seul le bonheur ressenti par Theodore est palpable et le tout ne fonctionne que grâce au talent de Joaquin Phoenix qui parvient à assumer ce rôle éminemment complexe. La mise en scène offre également quelques moments de grâce, comme cette première nuit d’amour (à l’extrême opposé de la scène frontale et intrusive de «La vie d’Adèle») ou ce pique-nique filmé comme une sortie à quatre. Spike Jonze va même plus loin en proposant une alternative corporelle à l’absence physique de Samantha dans une séquence d’une rare intensité.

Tous ces éléments font de «Her» une histoire d’amour particulièrement crédible (cela relève du tour de force) et touchante, doublée d’une très belle illustration de la solitude caractéristique de notre temps.

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Quand la science-fiction nous parle d’aujourd’hui
«Her» est un film qu’il faudrait montrer à tous les réfractaires à la science-fiction. En effet, la SF est régulièrement réduite à une série de clichés. Ce que les gens oublient souvent, c’est qu’il s’agit d’un genre qui privilégie la réflexion sur la réalité qui nous est contemporaine. Le film de Spike Jonze en est le plus bel exemple. En situant son histoire dans un futur indéterminé, où seuls quelques rares éléments paraissent futuristes, le réalisateur affiche clairement sa volonté de parler de notre époque et de nous poser des questions extrêmement pertinentes sur nos rapports avec la technique.

«Her» compte très peu de séquences de dialogues entre deux personnages présents physiquement à l’écran. Tout le monde est connecté, les gens interagissent avec leur OS1 mais ne se parlent plus. Toujours plus connecté et interconnecté, l’homme ne deviendrait-il pas également toujours plus solitaire ? Et nos rapports de dépendance vis-à-vis de la technique ne ressemblent-ils pas à une forme d’aliénation technologique? Qui n’a jamais cru croiser un fou dans la rue avant de se rendre compte que cette personne parlait à son oreillette?

Ces grandes questions peuvent paraître convenues et elles le sont. Mais le film ne s’arrête justement pas là. Ces réflexions servent de point de départ et permettent à «Her» d’aller beaucoup plus loin dans le traitement de son sujet. Spike Jonze évite ainsi la bête condamnation d’un monde toujours plus informatisé et s’intéresse à ce qui fonde l’individu, l’autonomie de la conscience et va même jusqu’à signifier une supériorité du numérique sur l’humain en posant cette remarquable question : dans une relation «homme – intelligence artificielle autonome et capable d’apprentissage et d’évolution», qui s’ennuierait le premier?

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In english please!
On ne le dira jamais assez: le cinéma est un art qui s’apprécie en version originale.  «Her» est le parfait exemple de film qui perd tout son sens en version doublée. En effet, le choix de l’actrice qui allait faire la voix de Samantha a été l’un des points cruciaux du projet. Lors du tournage, c’est Samantha Morton qui a assuré la voix de l’intelligence artificielle. Mais le résultat n’ayant pas satisfait Spike Jonze, ce dernier a finalement demandé à Scarlett Johansson d’enregistrer l’ensemble des dialogues en post-production.

Une preuve qu’au cinéma, la voix fait tout, ou presque. Si vous considérez le cinéma comme un art et que vous souhaitez voir une œuvre comme l’artiste l’a voulue, alors le choix de la VO s’impose. Et si l’occasion ne se présente pas, on vous conseille d’attendre la sortie DVD afin de pouvoir profiter de cette petite perle mélancolique comme il se doit.

Her
De Spike Jonze
Avec Joaquin Phoenix, Scarlett Johansson, Amy Adams, Rooney Mara

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