Dans son documentaire Becoming Giulia qui a remporté le Prix du public au Festival du film de Zurich , Laura Kaehr suit Giulia Tonelli , première danseuse à l’Opéra de Zurich. Giulia a récemment accouché, donc chaque mouvement est une lutte. Mais la vie sans danse n’est pas une option.
Laura, félicitations pour votre film « Becoming Giulia ». Il a eu un beau succès (Prix du Public au Zurich Film Festival) avant de sortir dans les salles. Comment vous sentez-vous en ce moment ?
Très bien, c’est-à-dire que c’est vraiment un honneur quand les choses se passent comme ça, quand il y a cette reconnaissance de la branche et du public. Ça a été tellement dur de faire ce film comme n’importe quel film d’ailleurs, mais quand c’est reçu de cette façon-là, disons que ça encourage pour la suite. Un grand encouragement par rapport à tout le travail effectué par Giulia Tonelli et moi-même… on s’est vraiment bien trouvées pour ce projet mais également dans le monde de la dance, dans ce monde qui ne voulait jamais de nous.
Pouvez-vous nous parler en quelques mots de quoi parle votre film ?
En quelques mots, c’est une histoire d’émancipation de la femme, c’est-à-dire que cette grande étoile de l’Opéra de Zurich, a son premier enfant, au début du film et elle revient à l’Opéra et se rend compte qu’en fait la bataille n’est pas tant celle avec son corps, mais plutôt celle avec la société et l’institution.
On parle de maternité dans un milieu où y encore pas longtemps, il était imposable de devenir mère et garder sa carrière de danseuse de ballet. Pourquoi parler d’un tel sujet de nos jours ?
Je viens du monde de la danse et je me rappelle que quand je dansais professionnellement, c’était presque impossible d’avoir le rôle de mère et de danseuse, c’est-à-dire qu’avant, tu faisais ta carrière de danseuse et vers 40 ans, tu arrêtais la danse pour devenir mère. Y a aussi le fait que j’avais vu un jour Giulia Tonelli danser sur scène et suite à quelques échanges par Facebook on a décidé de se rencontrer et discuter. Giulia, c’est quelqu’un qui est très intéressée par rapport au monde artistique en général. On s’est vite entendu venant moi-même également de la danse. Après quelques échanges vers 2019, on se rencontre à nouveau et puis elle me dit « Je viens d’avoir un enfant et là, j’ai peur de retourner à l’Opéra. » Et j’ai tout de suite compris sa peur. Et de cette compréhension de la peur, j’ai réalisé que j’avais peut-être un sujet de film, parce que c’était une peur que j’avais connue aussi à l’époque. Je me posais plein de questions par rapport à la carrière et à la famille, à la maternité. Pour le cas de Giulia, je me suis dit « Ça serait con de ne pas faire des recherches maintenant ». Vu qu’elle est là et qu’elle aimait bien l’idée, on a commencé le projet très naturellement.
Pour revenir à votre carrière, vous venez du milieu de la danse de Ballet avec une belle carrière, pourquoi êtes-vous allé vers la réalisation ?
Il faut dire que je suis née à Locarno et l’Académie de danse que j’ai fait était à Cannes. Donc de l’âge de zéro jusqu’à 18 ans, j’ai grandi dans des villes où la culture du cinéma a été super importante. En étudiant à Cannes, c’est vrai que peut-être ma passion pour le cinéma a encore plus augmenté et pour la danse, ça a toujours été très mariée au cinéma. D’ailleurs, c’est vrai que pendant mes études à Cannes, nous regardions aussi les chorégraphies qui se faisaient dans les films à l’époque d’or de Hollywood. L’une des autres raisons pour lesquelles je me suis retourné vers la réalisation, c’est tout simplement parce que les réalisateurs hommes que j’ai rencontrés pendant ma carrière d’actrice n’arrivaient pas à écrire des rôles complexes de femmes. Par ailleurs, le dernier metteur en scène avec lequel j’avais travaillé, c’est Jan Fabre, qui faisait une pièce sur le viol, donc l’acte de violer une femme. On était à Venise et je me rappelle qu’en pleine répétition, j’ai dit « Stop. Ça, pour moi, ça ne va pas et ça ne devrait pas être comme ça. Franchement, je n’ai pas envie de me faire violer six heures par jour pour votre mise en scène qui d’ailleurs est discutable. »
En tant que danseuse de ballet, quel conseil donneriez-vous à la jeune génération qui veut devenir danseur de ballet ?
Je trouve que pour les années à venir, il faut beaucoup plus de femmes chorégraphes et de femmes directrices de ballet, de femmes dans des positions de pouvoir. Si de nos jours il n’y a quasiment pas des femmes hautes placées, c’est assez lié à comment ces compagnies gèrent l’image de la femme et de son rôle de mère. Ils pensent aux conséquences, au fait qu’elles ne puissent pas rester plus longtemps en répétition ou alors il y a tout un problème de logistique. Le conseil serait d’être bien entourés, d’avoir ces parents et que ces derniers s’intéressent aux structures et s’intéressent aussi à voir comment est-ce que ces jeunes gens sont accompagnés mais aussi quand ils deviennent des jeunes adultes. Quand j’avais 18 ans, tout était vraiment bien. Mais dès que j’ai commencé à danser, j’étais une jeune adulte, là, les problèmes ont commencé. Donc je pense qu’il y a aussi toute une tranche entre 20 et 25 où les jeunes danseurs sont un peu laissés et ils n’ont peut-être pas les outils pour reconnaître les abus. Si ces jeunes gens sont seuls, je leur conseillerai d’avoir une espèce de famille protectrice où ils peuvent discuter par rapport à ce qui se passe vraiment, par rapport à eux comme personnes.
Le film sortira dans quelques semaines, après ce projet, avez-vous déjà un autre en tête ?
J’ai déjà deux autres projets qui sont en développement parce que le film est sorti au cinéma en mars du côté de la suisse-allemande. C’est quand même un job d’être réalisateur (rires). Pour que je puisse payer mes factures, il faut que j’aie d’autres projets. C’est aussi simple que ça. Je veux dire, il faut que ça continue et pour la créativité, mais aussi parce que c’est mon travail et j’ai besoin de vivre. Donc oui, je suis en écriture des deux prochains.
Et on peut savoir de quoi ils parleront ?
Alors un, ça a à voir plus avec le féminisme et l’autre, la fiction. C’est encore dans le milieu de la danse, mais le sujet, ce n’est pas du tout dans le milieu. Et je crois que pour l’instant, je me sens très à l’aise de raconter des histoires universelles qui sont dans le milieu de la danse, parce que j’ai passé 30 ans de ma vie dans ce milieu-là. Je le connais très bien.
Becoming Giulia
CH – 2022 – 1h40 min – Documentaire
Réalisatrice: Laura Kaehr
Actrice: Giulia Tonelli
First Hand Films
06.09.2023 au cinéma