Des dieux parmi les hommes…
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epuis leur création respective au carrefour des années 30, Batman et Superman représentent deux facettes antinomiques de l’Amérique. D’un côté Superman, ou l’incarnation même de cet idéalisme béat qu’a pu représenter le pays. L’homme d’acier est invulnérable et indestructible, tout comme l’Amérique tente de l’être. De l’autre, Batman, incarnation de la peur et des failles d’une nation en proie à de nombreux conflits au tournant du vingtième siècle. Pourtant, les deux personnages ont le même idéal de justice, même si leur manière de faire diffère. Tout est question de point de vue donc, et c’est bien sur cet écart de techniques et d’approche que Zack Snyder va construire l’antagonisme opposant ses deux héros. Mieux encore, il enracine son film sur les cendres de « Man of Steel », en utilisant ce que beaucoup ont décrié comme étant une hérésie de la part de Superman (en gros détruire la moitié de Métropolis sans se soucier des conséquences) comme ancrage des motivations de Bruce Wayne à s’opposer au demi-dieu de Krypton (ou au « faux dieu » comme le nomme une des victimes collatérales de l’accident de Métropolis). Batman et Superman, deux facettes de l’Amérique qui s’opposent dans un duel de titans. Et même si les années 2000 laissent penser que Batman représente mieux l’état d’esprit post-11 septembre, nul doute qu’aujourd’hui, c’est d’un Superman dont l’humanité a besoin.
Les dieux sont parmi nous
Comme dans son excellent « Watchmen », Zack Snyder use du ralenti dans son superbe générique de début, offrant une introduction idéale et très épurée au personnage de Bruce Wayne. Il sait que tout le monde a encore en tête la trilogie de Christopher Nolan, qui a bien pris le temps d’introduire le personnage dans toutes ses failles et ses contradictions. Il choisit donc ici d’aller droit au but, et nous propose un Batman quarantenaire qui mène sa croisade contre les vilains de Gotham depuis vingt ans. Très carré d’épaules, sa chauve-souris est un hommage vibrant à la représentation de Frank Miller dans le chef-d’oeuvre « The Dark Knight Returns ». Il offre un personnage plus désenchanté, car comme il le dit lui-même, les méchants sont comme la mauvaise herbe, il suffit d’en arracher une pour qu’une autre repousse. Une sorte de défaitisme saisissant qui apporte une profondeur nouvelle au Batman cinématographique, et une dimension désespérée à sa croisade contre Superman. Alors que Zack Snyder semblait peu à l’aise avec l’introduction du kryptonien, offrant une première demi-heure saisissante avant de s’embourber dans une écriture hasardeuse dans son « Man of Steel », il est par contre très à l’aise avec des super-héros déjà bien installés dans leurs situations. Comme dans « Watchmen » donc, qui reste à ce jour son film le plus abouti et équilibré, il s’attarde ici sur les conséquences des actes de Superman par rapport à la société, et à la peur qu’il peut engendrer malgré lui, puisque quoiqu’il fasse, personne d’humain ne pourra jamais contrer ses actes. Il va donc tenter durant tout le film de se racheter une image respectable, mais c’était sans compter sur un Lex Luthor bien décidé à faire tomber le demi-dieu. L’iconisation outrancière de Superman sied donc à merveille à son statut quasi-divin et à sa place parmi les hommes qui est remise en question tout au long du film, avant un final à la fois rédempteur et désespéré.
Le premier tiers du long-métrage est absolument exemplaire dans son écriture, et Snyder construit à merveille l’opposition entre les deux personnages. Puis soudain, une scène détonne vraiment avec l’ensemble, projetant Batman dans un futur incertain, pour ce qui sera sûrement le premier jalon d’un arc de plusieurs films réunissant la Justice League of America. Cette séquence est malheureusement un peu mal introduite, et de plus, totalement déconnectée du reste du film, ce qui fait forcément sortir le spectateur de la fiction. Ce genre de procédé narratif fonctionne à merveille dans la bande-dessinée, mais beaucoup moins au cinéma. On regrette également l’utilisation un peu expédiée de la batmobile, dans une séquence de poursuite qui ne fera pas de l’ombre aux scènes anthologiques de Christopher Nolan.
Heureusement, les affaires reprennent juste après, et le dernier tiers est d’une générosité absolue. Alors que « Man of Steel » échouait à proposer un ancrage émotionnel valable au spectateur, Snyder semble avoir appris de ses erreurs et réussit à émouvoir en pleine scène d’action, juste en évoquant un prénom. Même si le réalisateur tease inévitablement sa Justice League en devenir, le film est d’une cohérence totale et se suffit largement à lui-même, à l’inverse de beaucoup de films de l’écurie Marvel, qui ne fonctionnent presque plus que sur le teasing outrancier. Hans Zimmer est de retour à la musique, accompagné de Junkie XL, l’homme derrière celle de « Mad Max : Fury Road ». On reconnaît immédiatement son style, et même un thème tout droit sorti du film de George Miller. La bande-originale est donc dans la droite lignée de celle de « Man of Steel », assourdissante et efficace, même si le duo propose deux nouveaux thèmes excellents, ceux de Lex Luthor et de Wonder Woman. Un personnage qui est un peu relégué au second plan, mais qui bénéficiera bientôt de son propre film.
On craignait beaucoup de ce « Batman Versus Superman : Dawn of Justice » avec les derniers trailers, on se retrouve au final avec un film quasi miraculeux, sorte d’idéal du genre qui ridiculise instantanément presque tous les films de l’écurie Marvel. Les allergiques à « Man of Steel » ne vont certainement pas changer d’avis, Zack Snyder a une proposition de cinéma radicale et il n’est pas prêt d’en changer. Les autres, courez voir cet excellent film de super-héros, qui laisse présager du meilleur pour la suite des films de l’écurie DC Comics.
Batman V Superman : L’Aube de la Justice
De Zack Snyder
Avec Ben Affleck, Henry Cavill, Jesse Eisenberg…
Warner Bros.
Date de sortie 23 mars 2016 (2h 33min)