Un projet scolaire hors des sentiers battus pour des ados hors normes que le système ne reconnaît presque plus. Une équipe de volontaires, des compétences diverses pour atteindre une ligne d’arrivée taxée d’utopie. Le courage et la détermination d’esprits créatifs qui font la différence là où le monde ne se mouille pas assez.
A l’ECPS Bertrand, du quartier de Saint-Jean à Genève, on a l’habitude de partir une semaine en virée scolaire en Grèce une semaine en fin d’année. En 2019, le COVID vient chambouler ce projet féerique et stoppe les motivations des adolescents scolarisés dans cette structure déjà pratiquement en dehors d’un système qui ne les reconnaît plus. Mais c’est sans compter sur la volonté de résister de l’équipe pédagogique et des élèves qui veulent réaliser un souvenir marquant coûte que coûte. L’idée de construire un voilier s’impose à eux et sa réalisation démarre dans un atelier un peu fou contre certains freins et déceptions émanant directement de l’administration en place.
Une dizaine d’ados, encadrés par des éducateurs spécialisés, entre mai 2022 et juin 2025, réalisent la construction d’un voilier au sein de leur école. Ce projet à une portée bien plus vibrante d’espoir et de construction que ce qu’il annonce, car ces jeunes sont en situations de déscolarisation dans un système qui ne leur permet pas de trouver leur place. L’école obligatoire suisse prévoit soit un cursus dit normal soit un cursus spécialisé pour des enfants en déficience mentale, mais rien pour les élèves qui vivent avec des traumatismes de vie tellement grands qu’ils sont pour ainsi dire en handicap social systémique. Le fameux principe de rentrer dans les cases prévues. Ces structures d’accueil sont plus que nécessaires, elles sont essentielles. Leur identité n’est pas incluse dans le plan scolaire. Pour l’équipe de l’ECPS Bertrand (École de Pédagogie Spécialisée ), cet état de fait n’est pas acceptable. Les intervenants décident de changer les choses en proposant un projet stimulant, formateur et valorisant.
Lors des premières décisions, il faut rapidement trouver des fonds. Force est de constater que cette étape est cruellement lacunaire. Qu’à cela ne tienne, le responsable pédagogique trouve un moyen de dénicher des matériaux pour la réalisation du fameux bateau. Entourés quotidiennement, pendant les horaires scolaires, par leurs éducateurs, qui apprennent autant qu’eux, Tiago, Danilo, Valéria, Elias et les autres se lancent sans concession dans le départ des opérations. Pendant toute la durée du chantier, les déceptions, les retards et les adaptations fusent, mais l’équipe tient bon. Avec un maître-mot déterminant afin de franchir les limites des capacités, tout ce petit monde arrivera finalement au 05 juin 2025 pour mouiller l’esquif au Club Nautique d’Hermance.
Le triple participant de la course du Vendée Globe et genevois, Alan Roura est le parrain de ce projet. Comme les ados concernés, le navigateur a eu un parcours scolaire atypique puisque ses parents se sont chargés de son éducation. Très tôt passionné de navigation, Alan Roura passe le plus clair de son temps sur l’eau. Son expérience trouve en cela une similitude avec les élèves qui continuent leurs scolarité également de manière différente des milliers d’élèves suisses.
Au départ, l’équipe voulait naviguer avec son bateau. L’administration en ayant décidé autrement, le Samer effectuera une seule sortie sur le Lac Léman à ce jour. Le nom de ce voilier vient d’une anecdote rigolote que je vous laisse découvrir lors du visionnage du documentaire sur la plateforme internet de Léman Bleu.
Depuis cette aventure, l’ECPS Bertrand, après 15 années d’attribution pour des jeunes déscolarisés, change d’affectation pour accueillir des enfants aux handicaps mieux reconnus par le système comme le syndrome de Down ou encore l’autisme. Bien que ces enfants aient besoin de structures spécialisées autant que les premiers, les professionnels manquent autant que les écoles dans le canton de Genève en tout cas. Malgré cela, Genève reste aujourd’hui le canton de suisse romande qui encadre et accueille le mieux toutes les personnes aux besoins spécifiques cognitifs. Entendez par là que, l’effort est salué mais le plus gros reste encore à naître.
Les participants au projet Samer se tournent aujourd’hui et pour la plupart, vers des formations dites AFP. Voies de garage s’il en est, ces apprentissages au rabais promettent finalement beaucoup plus que ce que le système est prêt à assurer. Une place de rouage. Espérons que la construction du voilier restera comme un déclencheur dans l’infini de leurs compétences et non pas une exception, une lucarne pour ne pas manquer d’air pur.
Réal : Pierre Pillet
Distrib. : Léman Bleu
Année : 2025
