16.9 C
Munich
samedi, juillet 27, 2024
- Publicité -

Festival Lumière 2018 : Master Class avec Jane Fonda

Jonathan Tholoniat
Jonathan Tholoniat
« Désespoir, amour et liberté. L’amour. L’espoir. La recherche du temps perdu. » Comme Pierrot, j’aime la Littérature. Comme Godard, j’aime le cinéma. Après avoir étudié la Philosophie à l’université de Lyon III, je poursuis mes études en Master de Littérature et français moderne à Genève pour me diriger vers l’enseignement et le journalisme. L’écriture et le cinéma : un univers en perpétuel mouvement que je suis heureux de partager. Godard ne disait-il pas : « Avec le cinéma, on parle de tout, on arrive à tout ». De quoi assouvir mon inlassable curiosité.

Quelques heures avant la remise du Prix Lumière 2018 à Lyon, Jane Fonda s’est livrée devant un public nombreux au Théâtre des Célestins. La star de 81 ans a évoqué ses débuts, ses amours et ses engagements avec une énergie et un humour envoûtants. Extraits choisis.


Être une actrice
« Oui, je suis une star. Je suis stupide, mais je ne suis pas folle. Il y a des gens qui me demandent des autographes, mais qu’est-ce que cela veut dire être une star ? En haut des collines ou des montagnes, il y a des antennes. Elles répètent les signaux et les voix dans les fonds des vallées. Je crois que c’est le rôle des stars. Il faut être cette antenne qui amplifie les voix de gens qui ne sont pas des stars. »

Ses débuts
« Je ne pensais pas faire cela au début. Je ne voulais pas être actrice. Mon père l’était. Quand il rentrait le soir, il n’avait pas l’air heureux. Il était toujours de mauvaise humeur. Je n’étais pas attirée par cette profession. Je n’aimais pas mon corps, ni mon visage et j’étais très timide. Je ne savais pas quoi faire. J’ai essayé d’être secrétaire et on m’a foutu à la porte ! Je ne pouvais même pas être secrétaire… C’est très difficile d’être jeune. Je vais vous dire : vieillir, c’est formidable.

Je suis devenu actrice pour gagner de l’argent. J’habitais chez mon père. Ma belle-mère ne m’aimait pas et voulait que je trouve une situation. J’ai rencontré Lee Strasberg par l’intermédiaire de sa fille. Après plusieurs mois, j’ai fait une scène pour lui, et il m’a dit que j’avais du talent. À ce moment-là, toute ma vie a changé. J’avais juste besoin de l’approbation de quelqu’un qui ne fut pas employé par ma famille. C’est comme si ma tête s’était ouverte et que des oiseaux s’étaient envolés. C’était en 58. Je possédais New-York ! »

Son jeu
« J’essaye de me familiariser profondément avec le personnage que je dois jouer. Toute la vie et toutes les choses sont importantes. Par exemple dans Klute, pourquoi doit-elle vendre son corps, alors qu’elle a du talent. J’ai découvert qu’elle avait été abusée sexuellement, lorsqu’elle était petite. Il y a une cascade de choses qui suivent ce traumatisme. Il faut construire une vie derrière le dialogue. Ce que j’ai appris de Lee Strasberg est la relaxation. Je me sens comme quelqu’un qui vient de commencer dans le métier. Désormais, j’ai un coach, alors que je n’en ai jamais vu. J’ai 81 ans, je me sens très chanceuse à mon âge d’avoir un emploi fixe. C’est formidable de partager cela avec des gens que j’adore. Je n’aurai pas imaginé pouvoir faire cela.. »

Les Oscars
« La première que j’ai été nommée aux oscars [ pour On achève pas les chevaux (1970) ], je n’avais pas besoin d’être reconnue par la communauté hollywoodienne. Quand j’ai reçu la nouvelle de ma nomination, j’étais dans une réserve indienne dans le nord de l’Amérique. À ce moment-là, j’étais avec Roger Vadim. Je n’ai pas gagné. Mais, deux ans plus tard, quand j’ai gagné pour la première fois avec Klute d’Alan J. Pakula, je n’ai pleuré que parce que j’avais gagné avant mon père, alors qu’il avait fait de grands films. Il avait quand même tourné dans Les Raisins de la colère et dans Douze hommes en colère – cela fait quand même beaucoup de colère ! Cela ne me semblait pas juste. De plus, cela ne m’intéressait guère. J’étais devenu activiste, je ne pensais plus beaucoup au cinéma. Plus tard, quand j’ai voulu quitter le métier, pour me consacrer au militantisme, on m’a dit : on a plein d’organisateurs, mais on n’a pas de stars de cinéma. Il faut que tu t’y remettes. Alors, j’ai produit mes propres films, à commencer par Le Retour. Et c’est devenu une passion. »

Roger Vadim
« Je l’ai rencontré en France. Quand il était à Paris, il m’a offert un rôle dans La Ronde. Seulement, il était hors de question que je tourne avec lui ! Un jour, il y avait une soirée chez un ami commun. Il n’était pas comme je l’imaginais. Il était très « cosy ». Il m’a appris des chansons [ elle se met à chanter La rue des blancs-manteaux de Juliette Gréco ]. Il était tellement charmant que j’en étais tombé amoureuse. C’est Barbarella qui a fait de moi une icône pop. Je suis fière d’avoir donné leur première érection à des jeunes de quatorze ou quinze ans. En début, je n’aimais pas beaucoup ce film, notamment parce que je commençais à être féministe. Les journalistes féministes disaient que je devrais avoir honte de faire un film où je suis objectifiée. Mais j’avais fait ce choix, seule. Vadim aimait me mettre nue dans les bras de beaux acteurs. Il aimait tenter le diable !»

Mai 68
« En 1968, j’étais enceinte à Paris. Une femme enceinte est comme une éponge. Simone Signoret m’a emmenée dans des manifestations où il y avait Simone de Beauvoir ou Jean-Paul Sartre. Je commençais à me dire qu’il fallait que je comprenne cette guerre. Roger Vadim était contre la guerre et se foutait de tout ; mais il savait que les Américains ne pouvaient pas gagner au Viêtnam. Les évènements de 68 m’ont bouleversé. On croyait que c’était possible que les étudiants et les ouvriers puissent se rassembler pour renverser le gouvernement. Il s’est avéré que non. C’est même devenu pire.

Un jour, je suis allée voir Simone Signoret pour qu’elle m’explique la guerre du Viêtnam. Ensuite, j’ai quitté Vadim et suis rentrée pour militer. C’est beaucoup plus facile d’être ignorant. On peut être facilement pardonné. Mais, une fois que l’on sait des choses, on ne peut pas tourner le dos. Autrement, on est coupables. »

Sydney Pollack
« On achève bien les chevaux, c’était un point tournant. C’est la première que je faisais un film qui disait quelque chose du monde, qui parlait de la société américaine consommée par le consumérisme. Les gens étaient prêts à se tuer pour avoir un petit bout du rêve américain. Le scénario n’était pas parfait. Sydney n’était pas beaucoup engagé, mais Vadim m’a conseillée de le faire. Pollack savait très bien travailler avec les acteurs, étant lui-même acteur. Je préfère être dirigé, plutôt que diriger. Je suis comme une pâte à modeler. Il avait un talent pour raconter des histoires qui touchaient particulièrement les gens. »

Activiste et militante
« J’ai jamais réfléchi à ma carrière en m’engageant. Pour moi, elle n’a jamais été en première place. Maintenant, oui. Ce que j’ai récemment découvert, c’est qu’en tant que militante, cela aide beaucoup d’avoir une série télévisée et des films très populaires derrière le dos, on vous écoute davantage. Cela n’est pas une nécessité, mais c’est tout de même important.

Je suis allée au Viêtnam. La plupart des Américains ne savent pas qu’il y a eu des centaines de personnalités qui sont allées là-bas. Au printemps de 1972, nous avons reçu des nouvelles des diplomates suédois, français, etc., qui disaient que les avions des bombardiers américains ciblaient les digues des paysans, juste avant la mousson. Des centaines de milliers de personnes auraient péri si les digues avaient cédé. On ne savait pas quoi faire. Des journalistes, des diplomates, des vétérans et des poètes sont venus à Hanoi, mais je me suis dit que si c’était moi qui y allais, cela ferait certainement beaucoup de bruit. Ce fut le cas.

À l’époque, je suis allée toute seule au Viêtnam. Ce qui n’est pas très malin de ma part. Je pourrai passer des heures et des heures et des jours à vous en parler de ce voyage qui m’a beaucoup touché. Je l’ai trouvé très émouvant. Je connais beaucoup de gens qui vont au Viêtnam et qui me disent que les Vietnamiens sont des personnes vraiment touchantes. Les gens étaient déjà adorables, alors que nous étions sous les bombardements américains. Ce voyage m’a beaucoup enrichi. Le dernier jour, on m’a demandé de poser devant un canon anti-aérien. Quand cette photo-là a circulé, ce fut très compliqué pour moi. Je le regretterai toute ma vie. Encore aujourd’hui, je continue d’en payer le prix.

J’ai survécu au militantisme, mais je suis blanche, je suis riche et je suis connue. Ce n’est pas comme cela pour tout le monde. Je suis devenue une meilleure actrice grâce à mon activisme. Beaucoup d’acteurs vivent derrière des murs de privilèges. Tandis que les activistes vont dans les communautés voir par exemple les gens pauvres qui ne sont pas forcément d’accord avec vous. On écoute. On doit les écouter. Il faut haïr le comportement et pas la personne. Si on fait quelque chose parce que l’on « doit », nous ne sommes pas efficaces. Il faut que cela soit quelque chose qui vient de soi. Globalement, il faut avoir des tripes pour défendre la démocratie.

C’est la première fois dans l’histoire fois de l’Homo Sapiens que l’on se retrouve dans une telle crise existentielle. C’est l’activisme qui nous guérit. Je continue le militantisme. Avant Trump, je croyais que je pouvais apprendre à jardiner ou à écrire un roman. Mais, un jour après l’élection, ce n’était plus possible. La seule chose bien pour les américains, c’est que nous pouvons clairement voir le racisme. C’est la première fois qu’ils se rendent compte que notre démocratie est en danger. Nous sommes actifs comme jamais. C’est la seule chose pour laquelle je pourrai remercier Trump. Tout ce qu’on fait les femmes à travers les siècles, c’était très important. À mon avis, ce que l’on vit maintenant, c’est un patriarcat qui est profondément blessé par des femmes et des noirs. Un président noir, ce n’était pas acceptable. Le patriarcat est comme un montre blessé : c’est le plus dangereux. Partout, le monstre du patriarcat tente de survivre contre le pouvoir montant des femmes. Je pense que c’est très lié au climat. On ne le disait pas avant, mais c’est un combat pour le futur. »

Workout
« Avec mon deuxième mari Tom Hayden, après la guerre du Vietnam, nous voulions créer une organisation en Californie, car nous manquions d’argent pour nos activités militantes. Il y avait une récession à ce moment-là. Or, quelqu’un m’a dit qu’il ne fallait pas se lancer dans le business si on ne connaissait pas parfaitement le domaine. Alors, je me suis lancé dans ce que je connais le mieux : un business basé sur la gym pour gagner l’argent nécessaire, afin de financer le militantisme. Je recevais des lettres du monde entier. Des femmes qui me disaient que leur vie avait changé. Je me souviens d’une lettre qui disait :  « ce matin, je me suis regardé dans le miroir et j’ai vu un muscle que je n’avais pas vu. Quand je suis arrivé au boulot, j’ai enfin tenu tête à mon patron ». J’ai réalisé que cela valait quelque chose. Thomas Jefferson a dit : «  la révolution commence par les muscles ». »

Article précédent
Article suivant
- Publicité -
- Publicité -