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mardi, mars 19, 2024
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Le cinéma, la fiction et le vaste Internet : rencontre avec François Theurel

Pauline Brandt
Pauline Brandt
Avec un master de français moderne avec spécialisation en études théâtrales, un bachelor en français moderne et histoire et esthétique du cinéma, Pauline Brandt met en œuvre tout son savoir-faire pour promouvoir le cinéma.

On vous propose de partir à la rencontre de François Theurel, plus connu sous son nom de vidéaste Youtube « Le Fossoyeur de films ». L’occasion de parler cinéma et critiques de films à l’ère d’Internet et d’aborder la drôle de posture, paradoxale s’il en est, de Youtubeur cinéma.


Peux-tu te présenter en quelques mots, indiquer quel est ton parcours et comment tu en es arrivé au projet « Fossoyeur de film » ?
Je m’appelle François Theurel et je fais une chaîne YouTube axée sur le cinéma de genre depuis 2012. L’émission principale est « Le Fossoyeur de films », qui est au fil du temps devenue une chronique fiction moitié web série, moitié chronique de film. Çà raconte l’histoire du Fossoyeur qui est en quête du film de genre ultime. Chaque épisode permet de chroniquer un film – et à partir de ce film, amène à tenter de définir ce qu’est le cinéma de genre, d’observer vraiment ce que c’est, parce qu’au fond personne n’arrive vraiment à définir ce que c’est, le cinéma de genre, c’est une définition qui n’arrête pas d’évoluer… À côté de ça, sur la chaîne, il y a aussi d’autres formats plus réactifs, moins scriptés, où la parole est plus spontanée, comme les « Après-séances », par exemple.

Au début, j’ai commencé parce que j’avais envie de parler de cinéma, de faire de l’écriture et de la réalisation. Le côté un peu « homme-orchestre » d’Internet me plaisait bien.  Quand j’ai commencé en 2012, ça faisait 3 ou 4 ans que je voyais des créateurs de contenu anglo-saxons comme le Nostalgia Critic par exemple. C’était une clique de personnes qui ont commencé à faire de la chronique cinéma avec un personnage improbable. C’est ce qui m’a inspiré, et que j’ai essayé de faire à ma manière ensuite, en réalisant les chroniques que j’aurais moi-même aimé voir sur Internet.

C’est donc une forme de création qui nécessite de s’inventer un personnage ?
Ce n’est pas forcément nécessaire, mais moi j’en avais bien envie.  Cela dit ça peut devenir compliqué comme exercice – par exemple le Nostalgia Critic se nomme Doug. Il fait des épisodes avec son pseudo, mais sort ensuite des vidéos sur le même thème qui se nomment « Doug’s Real Thoughts on… », comme si son avis en tant que Nostalgia Critics n’était pas véritable, ce qui est problématique. Ça veut dire que dès qu’il y a un souci ou que quelqu’un n’est pas d’accord avec lui, il peut brandir l’idée que ce n’était pas son véritable avis avec les vidéos « Doug’s Real Thoughts on… », ce qui amène à une forme de malhonnêteté. Ce n’est pas une démarche qui m’intéresse. Avec le Fossoyeur, c’est vraiment mon avis de A à Z, et puis je m’attache à créer une atmosphère, un ton un peu particulier qui est lié au personnage – toujours un peu lunaire et en décalage avec la réalité. Aujourd’hui c’est vraiment une chronique coulée dans une forme de web-série finalement.

On sait que sur Internet, c’est toujours la nouveauté qui prime. Pourtant, en tant que « Fossoyeur », penses-tu qu’il existe en parallèle un regain d’intérêt pour des films « enterrés », oubliés, ou considérés comme vieillots ?
C’est sûr que pour moi Il y a eu un positionnement à ce niveau – c’est celui de ne pas réaliser une chaîne axée sur l’actualité. Si je voulais faire un maximum de vues, je ferais ça, je ne chercherais pas à faire le Fossoyeur… En tant que spectateur, même si je regarde des trucs qui sortent actuellement, mon intérêt en général n’est pas lié à l’actualité. Je vois surtout des films qui ne sont pas des sorties récentes, d’ailleurs. Donc j’ai eu envie de faire quelque chose, spontanément, qui vienne d’un endroit qui me passionne. Finalement au départ, ce n’était pas tellement une revendication, c’était simplement logique de déterrer des sujets qui ne sont pas forcément dans l’actualité. Ce ne sont pas forcément de très vieux films – ça dépend. Le prochain épisode, involontairement, il est dans l’actualité… C’est sur CowBoy BeBop, et justement, la série fête ses 20 ans cette année.

En parlant d’âge… Ton audience est dans quelle tranche d’âge en moyenne ? Plutôt jeune ?
J’ai l’impression que c’est principalement les 20-35 ans, mais au final c’est très large. Je reçois parfois des messages de personnes qui ont 11 ou 12 ans, qui écrivent pour me parler de mes vidéos. Il a pourtant parfois dans certaines un message assez pointu, mais apparemment, ça leur parle quand même… Peut-être que c’est grâce à tout l’univers un peu marrant qu’on y trouve, qui fait qu’on peut y accrocher même sans comprendre tout ce qui est dit.

Inversement, parfois je reçois des commentaires de personnes plus âgées, qui ont 50 ou 60 ans et qui découvrent complètement l’univers. D’ailleurs, les commentaires qui me font le plus plaisir, ce sont ceux émanant de personnes qui découvrent, qui me disent des choses du genre « Jamais je ne me serais intéressé à ce genre de cinéma, mais tu m’en as donné envie ».

Quelles sont, à ton avis, les particularités de la chronique cinéma sur Internet ? Est-ce qu’on touche plus directement un public de non-initiés par ce biais, par exemple de personnes qui ne s’intéressent pas forcément au cinéma en priorité ?
Complètement. C’est un format qui est très facile d’accès, c’est une culture de l’image – et aujourd’hui l’attention passe beaucoup plus, sur Internet, par des stimuli visuels.

Je me suis demandé à quel type de public je m’adressais au départ, et puis j’ai réalisé que je serais toujours trop pointu pour certains et trop superficiels pour d’autres. Mais j’ai envie de pouvoir pointer ce qui me semble important, même seulement pendant 30 secondes de vidéo, même si c’est vraiment très précis, et de faire ça tout en m’adressant à tout le monde.

C’est essayer de donner tous les outils pour que chacun puisse s’approprier le truc, quel que soit son background ou ses connaissances. Il y a le côté divertissant, qui passe souvent par l’humour, qui est une manière de parler au spectateur sans faire de la pédagogie et de l’emmener avec soi même s’il ne comprend pas tout. C’est pour ça qu’avec la chronique sur Prince des Ténèbres, par exemple – qui est la plus appréciée actuellement et la plus personnelle aussi – j’avais essayé de faire autre chose, quitte à faire plus d’humour. Peut-être parce que quand c’est personnel et qu’à partir du moment où tu parles vraiment avec le cœur, le public le ressent.

C’est un paradoxe présent sur Internet en général : on veut voir du vrai, de l’authentique, mais en même temps tout y est mis en scène…
Oui, on veut voir un simulacre de vrai. On regarde des personnes qui font de leur vie un show, qui vloguent constamment… Mais dans ces situations, il y a de quoi se poser des questions : Est-ce que tu regardes quelque chose de vrai, est-ce que ces personnes sont le personnage qu’elles montrent, est-ce que sans la caméra ce serait les mêmes personnes ? Donc les gens veulent sur Internet une sensation de vrai, après, si ce qu’on observe y est véritable, c’est une autre question. Je pense quand même que tu sens si le propos est personnel.

Je sais qu’un de mes gros défauts, c’est d’avoir une écriture trop scolaire et c’est quelque chose que j’essaie de désapprendre, pour aller sur quelque chose qui soit plus poétique, plus personnel aussi. Il y a toujours une part autobiographique quand on parle de ce qu’on aime.

C’est ce qui me semble être la grande particularité du vidéaste YouTube : on est dans des situations où on oscille entre se montrer soi, tel qu’on est, et montrer une mise en scène de soi.
Je pense que c’est une nécessité de se mettre en scène – ça part d’une pulsion très enfantine, très innocente. C’est une envie de créer et d’interpréter ses propres histoires, alors qu’au fond, quelque part le public lui s’en fout des mises en scène…

Dès que le format du Fossoyeur s’est fictionnalisé, je sais qu’il y a tout une partie du public qui s’est arrêté de regarder. C’était un peu « mais pourquoi tu nous emmerdes avec tes mises en scène… ? » J’essaie de faire contenus que j’aimerais bien voir en tant que spectateur. Je ne sais pas d’où ça vient, cette envie de créer des histoires tout en y étant partie prenante, mais je me suis dit que j’allais essayer de pousser cet effet de mise en abyme de plus en plus loin. Là, par exemple, ça fait quelques chroniques que j’essaie de caler l’idée que le personnage est simplement fou à lier, qu’il s’imagine absolument tout ce qui lui arrive. Disons que c’est un degré de lecture supplémentaire.

Comment se passe l’élaboration d’une vidéo ? Tu travailles par thèmes particuliers ?
Il y a trois parties principales, qui sont l’écriture, le tournage et le montage – mais ce qui peut toujours varier, ce sont les raisons du choix du film. Par exemple cette dernière année, je sais précisément qu’il reste 5 épisodes avant la fin… Je veux que ça raconte quelque chose, et donc je me laisse, pour chaque phase d’écriture, suffisamment de marge de manœuvre. Je sais qu’il y a un certain nombre de thématiques globales que j’ai envie de traiter et je dois donc réfléchir à quel film sera le plus approprié à chacune.  Je sais qu’Une Histoire d’amour suédoise, par exemple, est un des films les plus personnels que j’aie chroniqués, ça faisait depuis que j’ai commencé la chaîne que je savais que j’allais en parler un jour. Là avec la fin de la chaîne qui approche, je me suis dit que c’était le moment et que les thématiques collaient bien : on parle de fin, de rapport au passé, du fait de se détacher de certaines choses… C’est l’idée du poids du vécu qui est présent, mais qui n’empêche pas de rechercher une forme de découverte, même quand on a la sensation de ne plus pouvoir découvrir quoi que ce soit. Il peut y avoir des raisons comme celle-là qui poussent à choisir tel ou tel film.

Il y a durée du montage qui varie beaucoup : par exemple, le prochain épisode à sortir, c’est le plus gros jamais fait.  Il a été tourné avec Nexus 6, qui est une chaîne dédiée à la science-fiction. Ça prend la forme d’une double chronique, avec un épisode chez eux et un chez moi. C’est une histoire suivie en deux épisodes. Pour cet épisode, on va donc passer par de la SF, il y aura pas mal d’effets spéciaux et de trucs particuliers, donc là le montage assez lourd. Ensuite d’un épisode à l’autre, on essaie de varier, de créer des trucs différents à chaque fois, pour ne pas revivre le même montage ou le même challenge d’écriture.

Il y a quelque chose d’éminemment particulier dans le travail du vidéaste. Le travail d’élaboration semble être très solitaire, alors même qu’il s’agit de s’adresser à un public de plusieurs milliers de personnes…
Complètement. Moi je suis actuellement moins seul dans ce boulot que je ne l’étais au départ, parce les choses ont maintenant pris beaucoup d’ampleur, donc plus les épisodes passent et plus l’équipe est grande. Ça veut dire que chaque épisode du Fossoyeur demande une vraie logistique de tournage et une vraie équipe : par exemple, pour celui sur Prince des Ténèbres, on a commencé à travailler avec un chef opérateur.

Pour l’écriture et le montage, je m’en occupe seul. Parfois, tu en as marre de bosser seul quand même, et tu as envie de sortir des automatismes que tu as pris, et pour ça écrire avec quelqu’un d’autre peut aider. Je sais que j’ai de la peine à déléguer, mais je recherche de plus en plus l’apport des gens au fur et à mesure. Je suis de plus en plus ouvert à la collaboration, et c’est vrai que pendant longtemps, j’ai fait Le Fossoyeur entièrement seul. Au départ ça ne demandait pas grand-chose, et même quand il y avait un peu de fiction, je pouvais le faire seul, à l’arrache, en champ-contrechamp. Maintenant, ça s’est étoffé et c’est plus compliqué.

Finalement, le rythme s’est modifié au fur et à mesure de l’évolution de la chaîne. Finalement, on s’approche de petites productions narratives (cinématographiques, presque), pour chroniquer des films… Mise en abîme en fait. Que peut-on en dire ?
Je ne recréé pas forcément l’univers du film à chaque fois. Pour Une Histoire d’amour suédoise, par exemple, je ne suis pas allé en Suède ! Mais c’est vrai qu’il y a toujours un effet miroir par rapport aux thématiques traitées, et c’est peut-être ce qui fait leur efficacité. J’essaie de mettre plein de symboliques différentes, même si elles seront vues par peut-être deux personnes différentes seulement sur les 300 000 qui regardent la chronique… Là, pour les quatre dernières de la série par exemple, j’ai pris des films, qui chacun à leur manière parlent de fin. C’est aussi une manière de faire évoluer le récit.

Penses-tu que la critique de cinéma est en train de changer de forme, notamment par l’intervention des différents réseaux sociaux, des plateformes d’échange numérique (SensCritique, YouTube…) et de l’immédiateté qu’elles caractérisent ?
Je ne sais pas si on peut dire que ça modifie le rapport à la critique ou non, mais l’immédiateté amène à repenser la manière dont on présente les choses. Aujourd’hui je dois beaucoup plus faire gaffe à la manière de formuler certaines choses, sans tomber dans l’autocensure pour autant. Que tu publies sur un blog ou un réseau quelconque, tu es dans le dialogue permanent.

Tout s’est condensé au sein de la critique. Après les vidéos, c’est un format différent… Sur le Fossoyeur, par exemple, je peux passer un mois dessus et donc je ne suis pas du tout dans la spontanéité ! Il y a déjà la phase d’écriture qui est longue, il y a des trucs que tu peux laisser incertains dans le cas d’un format écrit, parce qu’il est possible de répondre ensuite directement en cas de remarque, mais là en vidéo ce n’est pas possible. Je cloisonne beaucoup plus mon propos pour être sûr que les gens n’y fassent pas dire ce qui n’a pas été dit. Quelque part, plus tu passes de temps sur un truc, plus tu as envie que le résultat soit définitif… Tu as envie que le propos se suffise à lui-même.

C’est arrivé par le passé, que des propos tenus soient compris différemment par le public ?
Dès que tu laisses une zone d’incertitude, 95% du public va s’engouffrer dedans et te faire dire ce que tu n’as pas dit. Quelque part, ça t’apprend à mieux formuler certaines choses. Ça force à être très précis dans la formulation et à ne rien laisser au hasard.

Est-ce que ça force à repenser la manière de faire de l’humour par exemple ?
Pas forcément, parce que j’ai un humour assez pince-sans-rire et absurde. J’évite de tomber dans l’autocensure, mais je ne suis pas dans créneau d’humour qui peut être problématique comme d’autres sur Internet.

C’est assez intéressant, d’avoir un retour immédiat sur ce qu’on fait. Avec l’immédiateté des retours et la généralisation des commentaires, on n’est plus jamais seul avec ses paroles…
Complètement. Et l’immédiateté, mais aussi la quantité des réponses peuvent être assez dures à gérer. C’est un milieu qui est assez cruel. Les gens derrière leur écran s’adressent aux autres d’une manière différente… Parfois ce sont mêmes des personnes qui sont très jeunes qui peuvent être super virulentes. Tu veux leur répondre comme à des adultes, mais tu te rends compte que la personne a 12 ans !

Quelle est la suite pour le fossoyeur ?
Il ne reste que deux épisodes avant la fin de l’émission. C’est le format des chroniques fiction qui vont s’arrêter sur la chaîne. Simplement parce qu’il faut savoir s’arrêter, je ne voulais pas continuer pendant dix ans encore et qu’on me voie toujours discuter du cinéma de genre… Je voulais m’arrêter tant que ça me fait un pincement au cœur, et avant d’en avoir vraiment marre. Sur la chaîne, ça va donc continuer avec d’autres formats plus axés chroniques, plus ouverts aussi. Des voyages pour aller sur des lieux de tournage par exemple.

À côté de ça, à côté de la chaîne, je vais travailler la fiction avec un projet de websérie avec des univers étendus, avec de la science-fiction. C’est un peu dans une même teinte que The Leftovers, un truc un peu décalé – ça sera le gros projet de 2019. C’est une websérie qui s’inscrit dans un univers un peu transmédias.

Et pour terminer : quel est ton film préféré ?
Ah, non ! Je sais jamais quoi répondre à cette question…

Je ne sais pas. Je botte toujours en touche en répondant « La Vie Aquatique », de Wes Anderson. C’est un truc un peu biographique, où tu te demandes : « Quel a été le film qui a le plus compté pour moi ? » – même si ça doit être un truc qui a été difficile à voir, tu te demandes quels sont ceux qui ont vraiment jalonné ton parcours, qui t’ont fait partir sur autre chose… Il y a des films qui ont compté énormément pour moi mais que je n’ai pas envie de revoir, jamais. Il y en a d’autres que je peux revoir en boucle, comme « Lost In Translation »… Quand même, je dirais « La Vie Aquatique ».

Merci François !

www.facebook.com/LeFossoyeurDeFilms

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