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samedi, avril 20, 2024
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Laurent Wyss: « Ce film est un trip dans le cerveau d’un des criminels les plus connus de Suisse »

Lauren von Beust
Lauren von Beust
Amoureux du film «American Gigolo», ses parents la prénomme en hommage à l'actrice américaine Lauren Hutton. Ainsi marquée dans le berceau, comment aurait-elle pu, en grandissant, rester indifférente au 7ème art ? S'enivrant des classiques comme des films d'auteur, cette inconditionnelle de Meryl Streep a prolongé sa culture en menant des études universitaires en théories et histoire du cinéma. Omniprésent dans sa vie, c'est encore et toujours le cinéma qui l'a guidée vers le journalisme, dont elle a fait son métier. Celle qui se rend dans les salles pour s'évader et prolonger ses rêves, ne passe pas un jour sans glisser une réplique de film dans les conversations. Une preuve indélébile de sa passion. Et à tous ceux qui n'épellent pas son prénom correctement ou qui le prononcent au masculin, la Vaudoise leur répond fièrement, non sans une pointe de revanche : «L-A-U-R-E-N, comme Lauren Bacall !». Ça fait classe !

On l’a surnommé le forcené de Bienne. En 2010, l’affaire du retraité Peter Hans Kneubühl, qui a sorti les armes pour défendre son foyer, avait tout d’un thriller haletant. Laurent Wyss, journaliste à l’époque des faits, a vite flairé son potentiel de fiction. Le scénariste et réalisateur suisse nous raconte «Peter K. – Seul contre l’Etat», son deuxième long-métrage, qui sort sur les écrans romands le 8 février.


Après la mort de sa mère, Peter Hans Kneubühl est menacé d’expulsion de la maison biennoise, où il s’est occupé d’elle. Sa sœur, dont il s’est éloigné, en réclame la vente. Le sexagénaire décide alors de se battre pour défendre son refuge, face à la police armée et à l’Etat. Le 8 septembre 2010, après quelques avertissements, la bâtisse est encerclée par les forces de l’ordre. Animé par ses théories conspirationnistes, qu’il a couchées sur papier et qui feront de lui une célébrité rebelle, le retraité ne démord pas. Fusil en main, il blesse grièvement un policier et sème le reste de la troupe, avant de s’évanouir dans la nature. Sa cavale durera près de dix jours. Sa peur et sa solitude grandissantes feront resurgir des cauchemars d’enfance.

Laurent Wyss, en tant que journaliste, vous aviez suivi cette affaire de près. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’en faire une fiction ?
C’est une histoire qui a marqué les esprits. À l’époque des faits, j’ai été très intéressé par le côté spectaculaire. Les coups de feu, la police qui encercle la maison, la chasse à l’homme… J’ai tout de suite senti qu’il y avait du potentiel pour en faire une fiction. L’idée du film a germé alors que je filmais, à Bienne, un rassemblement d’une trentaine de personnes qui se disaient pro-Kneubühl, pendant que Peter était en cavale. Mais j’ai vraiment commencé l’écriture du scénario en 2015, en m’aidant du dossier psychologique de Peter Kneubühl. Je suis allé le visiter en prison, d’abord pour obtenir son accord. Et puis je voulais savoir qui il était, s’il était vraiment fou, ce qu’il avait fait pendant ses jours de cavale en forêt, etc. Hormis quelques détails inventés, tout ce que le film raconte est vrai. C’est un trip dans le cerveau d’un des criminels les plus connus de ce pays.

«S’il avait accepté de se faire aider, il serait peut-être dehors à l’heure qu’il est.»

Quand vous lui avez parlé de ce projet, comment Peter Kneubühl a-t-il réagi ?
Il était intéressé à ce que l’on fasse un long-métrage sur lui, parce qu’il tient à ce que son cas demeure dans les médias et dans l’esprit des gens. Pour lui, c’est un moyen d’avoir plus de poids ou de pouvoir auprès des autorités. Mais je dois reconnaître aussi qu’il aime être connu. Et le film est aussi une sorte d’hommage au révolutionnaire qu’il voit en lui-même.

Il s’est réellement senti seul contre l’Etat…
Oui. Et je crois que cette histoire ramène aussi à quelque chose d’assez universel. Elle nous questionne tous, nous, petits individus que nous sommes, face à la grande machine de l’État, de la bureaucratie…

«L’Etat a aussi sa part de responsabilité.»

Peter Kneubühl a vu votre film. Qu’est-ce qu’il en a-t-il pensé ?
On aurait voulu le projeter dans la prison dans laquelle se trouvait Peter, mais lui n’a pas voulu le regarder avec les autres détenus. Il a préféré le voir tout seul. Il m’a écrit par la suite pour me dire qu’il était 100% d’accord avec ce qui était montré. Et je dois dire que ça m’a beaucoup étonné. Le film émet quand même des critiques à son égard…

On a entendu beaucoup de choses sur lui dans les médias. Mais qui est-il réellement ?
C’est l’individu le plus solitaire que j’ai jamais rencontré. La première fois que je suis allé le trouver en prison, il ne m’a posé qu’une seule question : «De quoi parle votre premier long-métrage ?» (ndlr: «Laissez mourir les chiens»). Il n’a rien voulu savoir d’autre sur moi. C’est aussi ce qui me fait dire qu’il n’arrive pas à s’échapper de la prison que représente son propre corps. «Je n’ai pas commis de crime et je ne suis pas fou», m’a-t-il écrit dans une de ses lettres. Mais j’ai lu ses journaux intimes et épluché son dossier psychologique (ndlr : en 2013, la justice bernoise l’avait déclaré irresponsable, considérant qu’il souffrait de troubles délirants aigus). On peut dire que c’est un conspirationniste.

Il avait pourtant suscité la sympathie de certains, lesquels étaient allés jusqu’à arborer des t-shirts à son effigie. Pourquoi le soutenaient-ils tant dans sa démarche ?
Peter Kneubühl, c’est un homme qui a su dire «NON» face à la grande machine de l’Etat. Il a pris son fusil, s’est défendu et ne s’est pas laissé faire. Une page Facebook avait été créée à l’époque de sa cavale. De mémoire, elle avait réuni plus de 2500 fans. On peut dire qu’il a été comme le prédécesseur des conspirationnistes que l’on connaît aujourd’hui. Après la pandémie que l’on a connue, on serait sûrement moins surpris de voir émerger des Peter Kneubühl. Mais à la différence de ces derniers, qui se nourrissent des réseaux sociaux, où les fake news pullulent, la force de Peter vient de l’intérieur. Il s’est créé une fausse réalité en imaginant que l’Etat voulait lui enlever sa maison pour le tuer ensuite, parce qu’il avait manifesté contre les centrales nucléaires dans les années 60, notamment.

Si l’on vous comprend bien, son discours ne s’est pas apaisé en détention…
Non… Il continue de penser que l’Etat est le vrai criminel de l’histoire et que lui n’a fait que se défendre contre cette menace. En somme, il pense que sa réalité est LA réalité.

Comme il refuse tout traitement médical ou thérapie psychiatrique, en 2020, le Tribunal a finalement ordonné son internement. Pensez-vous qu’il sortira un jour ?
Sûrement pas. Le fait d’avoir dit que s’il était libre, il étranglerait le propriétaire actuel de la maison, ça n’aide pas non plus, je pense. Il n’empêche que cette histoire est tragique. Car s’il avait accepté de se faire aider, il serait peut-être dehors à l’heure qu’il est.

«La question qui demeure est celle de savoir où est cachée l’arme, que l’on n’a jamais retrouvée.»

Est-il vraiment le seul en cause dans toute cette histoire ? 
Non, l’Etat a aussi sa part de responsabilité. Les autorités sont responsables d’avoir mis cet homme dans un coin, avant de débarquer chez lui en force, ce 8 septembre 2010. L’Etat savait combien Peter craignait les autorités. Et en ce sens, je ne peux pas donner tort à ce dernier. Je peux le comprendre même.

On n’ose imaginer la préparation qu’un tel rôle a demandé pour Manfred Liechti, qui incarne celui qu’on appelle le forcené de Bienne…
Je dois dire qu’au-delà de ressembler physiquement à Peter, Manfred a lui aussi ce côté solitaire. Et puis il nous fallait quelqu’un qui puisse le comprendre. Manfred l’a aussi rencontré en prison et a lu ses dossiers. La nuit, on allait faire des tours dans la forêt et dans le quartier des Tilleuls où il a vécu, pour se mettre en situation.

Qu’est-il advenu de la maison, d’ailleurs ?
La façade a été repeinte en jaune depuis. Le propriétaire actuel a même laissé faire un graffiti sur le mur du garage. On y voit Peter K. en renard rusé. C’est plutôt flatteur, je trouve.

On peut dire que vous avez fait le tour de l’affaire…
En fait, la grande question qui demeure est celle de savoir où est cachée l’arme qu’il avait emmenée avec lui et que l’on n’a jamais retrouvée. Peter prétend que la chance pour qu’un enfant tombe dessus par hasard est d’une sur un milliard.

Peter K – Seul contre l’Etat
CH – 2021 – 99min – Drame 
Réalisateur:Laurent Wyss 
Acteur:Beat Albrecht, Hanspeter Bader, Sibylle Brunner, Leonard Kocan, Manfred Liechti, Stefanie Günther Pizarro, Nathanael Schaer 
Aardvark Films
08.02.2023 au cinéma

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