C’est dans un salon à l’ambiance feutrée avec vue sur le Berlinale Palast que nous avons rencontré Ursula Meier. Membre du jury aux côtés de Michel Franco et Enrico Lo Verso pour la catégorie du Meilleur Premier Film, la réalisatrice franco-suisse vient de voir le dernier métrage de la compétition. Un marathon cinématographique qui l’a ravie…
On sait que vous avez fait beaucoup d’athlétisme dans votre jeunesse. La Berlinale est comparable à un marathon de cinéma…
Pour la peine c’est vraiment un marathon, parce qu’en plus des dix-huit films que nous devons juger, j’ai eu la chance d’en visionner beaucoup d’autres, dont celui d’André Téchiné où Kacey tient l’un des rôles principaux (ndlr : le jeune lausannois Kacey Mottet-Klein a débuté avec Ursula Meier dans « Home » et « L’Enfant d’en haut » ; il tient le premier rôle dans « Quand on a 17 ans », le nouveau film d’André Téchiné, confirmant son statut de star montante). Quand on va en festival avec son film, on a beaucoup de presse et de présentations à faire. Cette année, je suis très heureuse de pouvoir profiter de la Berlinale. C’est un luxe incroyable de pouvoir découvrir autant de films !
Dans les différents festivals, les vôtres ont souvent été plébiscités. C’est important pour une jeune réalisatrice d’avoir une belle visibilité dans les festivals de cinéma, un passage obligé ?
Un passage obligé je ne sais pas, mais important oui. En tout cas dans mon parcours… Le fait que mes courts-métrages aient été primés à Clermont-Ferrand (au Festival International du Court Métrage) et dans d’autres festivals, m’a permis d’intégrer les collections Arte qui étaient des collections assez prestigieuses à l’époque. Initiées par Pierre Chevalier, elles permettaient à des réalisateurs reconnus de passer du cinéma à la télévision et aussi d’encourager des premiers films. « Des épaules solides » (2002), mon premier long-métrage, a été produit dans le cadre de la collection Arte « Masculin/Féminin », et je peux dire que ça été un incroyable tremplin de se retrouver là avec des gens dont j’admire le travail comme Mathieu Amalric, Catherine Breillat… Par la suite, le film a pas mal voyagé en festival et on m’a fait plus facilement confiance pour réaliser « Home » (2008), avec un budget plus conséquent et un casting prestigieux.
Comment appréhendez-vous ce rôle de juré à la Berlinale ?
C’est toujours étrange de juger des films. Michel Franco a réalisé deux longs-métrages, et moi pas beaucoup plus. Même si j’en ai plusieurs à mon actif, j’ai toujours le sentiment de commencer ou de recommencer à faire des films. Quand j’étais juré à Venise en présence de cinéastes que je vénère comme Paul Thomas Anderson ou Terrence Malick, l’exercice était presque angoissant. Ici, je me sens à ma place. En récompensant ce film, on sait aussi qu’on va mettre en valeur le travail d’un réalisateur. On est conscient du coup de pouce que cela représente pour la suite de sa carrière et la vie du film.
Comment se passe l’entente entre les membres du jury ?
On s’entend très bien, mais il n’y a qu’un seul prix. Pas si simple…
D’où l’importance de l’esprit de consensus non ?
Malgré mes origines suisses, je ne suis pas du tout dans le consensus (rires). Disons que si quelqu’un n’aime pas du tout un film que les deux autres apprécient, je crois effectivement que je serais pour qu’on n’impose pas un choix. Il est préférable que le film fasse l’unanimité bien sûr.
« L’enfant d’en haut » avait été présenté en compétition de la 62ème édition de la Berlinale. Quel souvenir en gardez-vous ?
L’accueil du film par le public et la presse a été un cadeau extraordinaire ! Cerise sur le gâteau, on a obtenu un prix spécial du jury cette année là. Je suis toujours impressionnée par la cinéphilie du public. Il n’y a pas que les gens du métier à Berlin.
Et « Kacey, naissance d’un acteur » a été projeté ici l’an dernier…
Oui, il faisait l’aller-retour entre la présentation du court-métrage à Berlin et le plateau d’André Téchiné pour « Quand on a 17 ans ». C’est une drôle de coïncidence de le retrouver aujourd’hui en compétition avec ce film. Sa justesse de jeu y est tout simplement incroyable !
Dans ce documentaire vous montrez la relation de travail que vous avez développée au fil des années avec le jeune acteur en devenir. Peut-on parler de coaching ?
Avec Kacey j’ai eu un coup de foudre, et après, ça a été un mois de travail acharné. C’est vrai qu’il y a quelque chose de l’ordre du coaching. Le travail que nous avons fait ensemble a été passionnant, presque expérimental. Je suis contre l’idée qu’un enfant est naturellement juste à l’écran. Si c’est le cas, les réalisateurs les prennent souvent pour leur nature. J’ai fait l’inverse avec Kacey en essayant de le mettre dans la peau d’un personnage, dans des états, et il fallait chercher constamment le meilleur chemin pour y arriver. Sur « Home », j’avais beau avoir Isabelle Huppert et Olivier Gourmet, deux acteurs au talent immense, comme il y avait beaucoup de scènes de famille, si le fils était faux, toute la scène passait à la trappe. J’ai mis énormément d’énergie dans le rôle de Kacey, car à huit ans, son jeu était une page blanche. Quelques semaines avant le tournage il s’est passé un déclic et il pouvait absolument tout jouer. Sur « L’Enfant d’en haut », il passait parfois par des chemins qui m’étaient totalement étrangers pour fournir ce que je voulais. Le jeu doit passer du corps à la tête, puis repasser par le corps sans que ce soit trop cérébral.
Vous-même, vous alliez le corps et l’esprit…
(Rires) Oui, j’ai les deux. Quand j’ai arrêté l’athlétisme, le cinéma a été ma nouvelle obsession et je suis devenue une cinéphile pure et dure. Diriger un acteur, c’est physique. Comme un athlète à besoin du regard d’un coach, un acteur à besoin du regard d’un metteur en scène. Tout est une question de regard et de désir. La preuve, certains acteurs sont plus ou moins bons en fonction du metteur en scène qui les dirige.
Et quels sont vos projets du moment ?
Avec la bande de Bande à part Films (Lionel Baier, Frédéric Mermoud, Ursula Meier, Jean-Stéphane Bron) on s’est dit qu’il était temps de faire quelque chose en commun, et on a initié une collection pour la télévision suisse basée sur de faits divers et des histoires vraies suisses adaptés en fiction. En parallèle, j’ai deux projets de films en gestation. Autant de projets en même temps pour l’obsessionnelle que je suis, c’est difficile (rires).
Ndlr : le jury dont faisait partie Ursula Meier a finalement accordé son prix à « Inhebbek Hedi » de Mohamed Ben Attia, une coproduction entre la Tunisie, la France et la Belgique.