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mercredi, mai 1, 2024
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Yannick : Un Quentin Dupieux en service minimum mais intéressant à contextualiser

Etienne Rey
Etienne Rey
Travailler pour une salle de cinéma, comme journaliste pour des médias ou organiser des événements pour le 7e art, ma vie a toujours été organisée autour de ma passion: le cinéma.

Le trublion de la comédie française délaisse les dispositifs absurdes et les concepts haut-perchés pour une petite comédie de boulevard aux étonnants accents de satire sociale.


Contrairement à d’autres films de l’auteur/réalisateur/chef-opérateur/monteur, tels « Rubber » et son pneu tueur ou « Mandibules » et sa mouche géante, cette dernière œuvre en date de Quentin Dupieux (avant très prochainement « Daaaaaali ! ») ne repose pas sur un concept fantasque ou absurde. Cette fois, comme dans l’excellent « Le Daim », c’est le détraquement d’un personnage qui va lancer le récit. Ici, le spectateur d’une pièce de boulevard (« Le Cocu »), ayant fait l’effort de venir assister à la représentation pour se divertir mais n’y trouvant pas son compte, interrompt les acteurs avant de prendre la salle entière en otage.

Il est tentant de supposer que c’est après s’être lui-même senti métaphoriquement pris en otage par l’auteur d’une œuvre artistique, théâtrale ou cinématographique, que Quentin Dupieux a eu l’idée de donner une possibilité de revanche au public, à qui l’on ne demande généralement que de rester assis, se taire et garder son jugement pour lui-même ou pour plus tard. Le discours initial de son protagoniste principal à l’encontre des acteurs qui défendent leur légitimité à œuvrer pour le bien de l’Art et arguant que celui-ci est supérieur à la subjectivité de tout spectateur, soutient cette idée. Le dispositif mis en place par le cinéaste est clairement une manière d’imaginer une parenthèse hors des conventions habituelles dans laquelle le public aurait pour une fois son mot à dire en direct. C’est sympa de sa part et réconfortant puisqu’il légitime ainsi le travail des critiques, professionnels ou amateurs !

Dans un premier temps, il est fort intéressant de remarquer que Quentin Dupieux tend à se rapprocher d’un cinéma davantage connecté au réel. Si l’on repense à ses premières œuvres, « Non Film », pour ne citer que le plus extrême, le réalisateur ne semblait pas le moins du monde se soucier de ce qui pouvait exister en dehors de ce qu’il proposait à l’écran. Le geste artistique, anarchique, je-m’en-foutiste et provocateur semblait plus important que le résultat. Il rejetait toutes les soi-disant règles, même les plus élémentaires, etf toute idée de narration et de cohérence. Plus tard, dans notamment « Incroyable mais vrai » qui suivait un schéma narratif cohérent, il y laissait presque une possibilité de déceler un début de réflexion autour du poids de l’âge et de la course à la performance physique et au rajeunissement. On pouvait en tout cas y voir une ouverture sur le monde difficile à trouver naguère dans « Wrong » ou « Wrong Cops ». Du moins, s’il pouvait y avoir quelques interrogations sur l’extérieur et la société dans ses premiers projets, celles-ci étaient certainement moins conscientes que dans ses dernières œuvres. Ici (peut-être qu’il s’en défendrait mais il n’est pas interdit de spéculer…), le cinéaste semble donc s’interroger sur son propre art et la relation entre l’auteur et le spectateur, tout en élargissant son chantier de réflexion aux acteurs et à leur besoin de reconnaissance… et donc d’un public complice. Plusieurs scènes et dialogues le prouvent. 

Ce rattachement au réel se ressent même dans la caractérisation des personnages. L’(anti-)héros est le gardien de nuit d’un parking qui, lassé de sa routine, cherche le moyen de se changer les idées mais déplore que dans le monde artistique, personne n’a, d’après lui, le sens de la tâche bien faite. De la même manière qu’il exerce son travail de surveillant de parking en surveillant, il ne comprend pas que les professionnels du divertissement ne fassent pas le leur en divertissant… Implacable !

Mais quelque part, le bas blesse car toutes ses pistes de réflexion ne restent finalement qu’au stade d’une hypothétique note d’intention. Malgré sa courte durée de 66 minutes et l’abattage des comédiens (l’étoile montante Raphaël Guenard et sa fraîcheur atypique mène la danse et Pio Marmaï, décidément convaincant dans tous les registres, vole toutes ses scènes), le film ne creuse jamais vraiment son concept et finit par tourner en rond… sans lui-même non plus réussir à pleinement divertir.

Le jeu des comédiens, plus que les répliques, font parfois mouche, mais dans l’ensemble, « Yannick » pêche par son excès de minimalisme. La production est simplissime. Le décor est succinct et unique, les costumes ou les accessoires ne changent pas, la position des acteurs ne varient que rarement, l’éclairage est générique et constamment identique et la musique est empruntée à la compositrice éthiopienne Emahoy Guebrou… à tel point qu’il est difficile de concevoir que le générique final puisse constituer à lui seul les 10% du long-métrage. 

On pourrait même parfois avoir l’impression que Quentin Dupieux a trouvé le moyen d’en faire le minimum tout en suscitant un maximum de curiosité et de commentaires, tous d’ailleurs très positifs si l’on se limite aux revues de presse… 

Et c’est peut-être là son plus grand talent !

Yannick
FR – 2023 – Comédie paresseuse
Durée : 1h06
De Quentin Dupieux
Avec Raphaël Quenard, Pio Marmaï, Blanche Gardin, Sébastien Chassagne…
Cinéma Bellevaux
En salles au Bellevaux à Lausanne

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