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vendredi, mars 29, 2024
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Yoann Zimmer : « Le cinéma peut nous aider à éclairer et à comprendre certaines zones d’ombres de l’Histoire »

Jonathan Tholoniat
Jonathan Tholoniat
« Désespoir, amour et liberté. L’amour. L’espoir. La recherche du temps perdu. » Comme Pierrot, j’aime la Littérature. Comme Godard, j’aime le cinéma. Après avoir étudié la Philosophie à l’université de Lyon III, je poursuis mes études en Master de Littérature et français moderne à Genève pour me diriger vers l’enseignement et le journalisme. L’écriture et le cinéma : un univers en perpétuel mouvement que je suis heureux de partager. Godard ne disait-il pas : « Avec le cinéma, on parle de tout, on arrive à tout ». De quoi assouvir mon inlassable curiosité.

Après Lucas Belvaux et Jean-Pierre Darroussin, c’est au tour de Yoann Zimmer de nous parler du film Des Hommes, dont il incarne le personnage principal, à travers un échange 2.0 sur « Zoom » qui nous rappelle l’importance de la crise à laquelle fait face le cinéma. 


À l’instar des jeunes acteurs du dernier long-métrage de Lucas Belvaux, vous faites partie d’une nouvelle génération d’acteurs qui occupent de plus en plus le paysage cinématographique francophone. Pouvez-vous nous raconter en quelques mots votre entrée au cinéma? 

Lorsque j’étais en première année du conservatoire royal de Liège (ESACT, Belgique), j’ai eu l’occasion d’avoir une première expérience dans un court-métrage. Comme je n’avais pas d’expérience au théâtre, j’ai travaillé intensivement durant quelques mois avant les auditions et les examens d’entrée. Je suis rentré au premier tour. Seulement, je ne me sentais pas très bien, car j’avais la sensation de ne pas avoir assez d’expérience au théâtre pour répondre aux exigences de l’école. Au moment des vacances de Pâques, j’ai eu l’occasion de tourner pour un court-métrage [ Tristesse animal sauvage, Florian Berutti ]. Le réalisateur était venu à l’école et m’avait proposé de passer un casting. J’ai adoré ! C’était comme une bouffée d’air frais pour moi. Le cinéma est aussi un plateau : les gens viennent de partout ! C’est un univers très riche. On apprend les uns des autres. 

J’adore le cinéma, mais pas depuis tout petit. Je ne viens pas d’une famille cinéphile. Dès que j’ai su que j’allais intégrer l’école, je me suis dit qu’il était temps de rattraper cette culture cinématographique. J’ai avalé énormément de films. En deuxième année, j’ai passé un casting pour les frères Dardenne. J’ai eu le rôle. À ce moment-là, j’ai senti que j’avais de plus en plus de portes ouvertes. J’aimais ça. Je me suis pleinement retrouvé dans ce métier. On peut explorer un personnage tout en s’explorant soi-même. 

Des Hommes : Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce projet ?
Cela m’a tout de suite plu. Le personnage de Bernard est émotionnellement très fort. Il a une trajectoire en trois étapes. Je l’ai interprété lorsqu’il avait seize, vingt et trente ans. Au départ, c’est un jeune homme replié sur lui-même et issu d’une famille assez pauvre. C’est quelqu’un peu ouvert d’esprit. En découvrant l’Algérie, il commence ensuite à s’ouvrir de plus en plus. Malheureusement, les drames et les atrocités de la guerre vont briser ses rêves d’émancipation. Il reviendra en France complètement brisé. Quarante plus tard, mon personnage, surnommé « Feu-de-Bois », interprété par Gérard Depardieu, reste un homme complètement détruit et assujetti aux traumatismes. En termes de travail, il n’était pas facile à aborder, notamment parce que son caractère est assez complexe. Il est dur, mais il y a tout de même quelque chose de touchant en lui…
En plus de l’appréciation que j’avais pour le personnage, je trouvais le scénario très bien écrit. J’avais déjà lu Mauvignier. On sent que le livre et le scénario restent proches. Le film m’a par ailleurs permis d’entendre à nouveau et de découvrir en image les discours intérieurs que l’on peut retrouver dans le livre. À la lecture du scénario, on sent également la distance nécessaire et adéquate avec la guerre d’Algérie. Il balaye tous les points de vue. Personnellement, même si j’aime l’histoire, je ne connaissais pas très bien cette guerre. Je trouve néanmoins qu’il est important d’en parler. Si on peut participer à une oeuvre qui représente cette guerre d’une manière intelligente et intéressante, cela donne forcément envie ! 

En tant que jeune acteur belge, avez-vous trouvé des difficultés à incarner ce personnage ?
Je pense que cela aurait été aussi difficile pour un acteur français. Je ne me définis pas comme un acteur belge. Je vis en Belgique, mais je suis francophone. De manière générale, c’est un thème qui est très peu abordé à l’école. Les Français de ma génération n’en apprennent pas forcément plus que moi. Ce qui est compliqué, c’est effectivement la distance temporelle : je n’étais pas né à ce moment-là. « Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaitre ». C’est exactement ça. Je n’ai pas du tout connu la guerre… Dieu merci !

Je n’ai pas voulu me documenter sur ce sujet avant de faire le film, parce que le personnage ne l’est pas. Il est naïf et vierge d’expérience. Je me suis mis dans sa tête. Au moment de partir, il ne sait pas comment cela va se passer en Algérie. Il va le découvrir sur le tas. Ce qui nous facilite l’immersion en tant qu’acteur, c’est évidemment les décors et les costumes qui nous font « croire à ». Ensuite, c’est à nous d’y croire, afin d’immerger au mieux les spectateurs. C’est sûr que c’est loin de nous. Le langage n’est pas le même. Les postures et le corps n’étaient peut-être pas ce qu’ils sont aujourd’hui… Mais ça se travaille.

C’est justement le corps qui traduit régulièrement l’indicible.
Il y a beaucoup de jeux intérieurs. C’est ce qui était demandé – même si à la lecture du scénario, on sentait que cela aurait été le cas. Bernard est quelqu’un de taiseux. J’espérais par ailleurs qu’il y ait une charge émotionnelle importante pour pouvoir la transmettre à mes partenaires et à l’image. À cela s’ajoutent les voix offs. Avant de tourner une scène où mon personnage restait silencieux, je ne les lisais pas forcément. Je sais qu’un ou deux de mes camarades se les gardaient en tête au moment de tourner une scène où la voix off prend en charge la narration. Ils voulaient être dans l’état d’esprit de ce qui est dit.

Comment se sont déroulées les sessions d’enregistrement de la voix off de votre personnage ? Aviez-vous les images sous les yeux ?Certaines ont été enregistrées durant le tournage, mais elles ont été globalement faites en postsynchronisation en studio. 

Comme vous l’avez souligné, quarante ans séparent Bernard de Feu-de-Bois. Avez-vous néanmoins collaboré avec Gérard Depardieu pour interpréter ce même personnage ?
Pas du tout. Je tournais au Maroc et lui en France. Même si certaines scènes, dans lesquelles je jouais, étaient tournées en même temps que les siennes – en France -, cela n’aurait pas été possible. De toute façon, cela n’a pas été demandé par Lucas. Il y a quarante ans entre Bernard et Feu-de-Bois. On n’est pas le même homme entre vingt et soixante ans, surtout après avoir picolé toute sa vie et avoir subi tous ces traumatismes. De plus, il n’y a pas de mimétisme possible. Je ne voulais pas faire du Depardieu jeune. On serait certainement passé à côté de quelque chose. Je joue Bernard. Il joue Feu-de-Bois. 

Il aurait peut-être pu vous apporter des connaissances, des conseils et un peu de son expérience pour que vous puissiez interpréter ce rôle.
J’aurai aimé. Cela aurait été avec grand plaisir. Malheureusement, je pense que c’est quelqu’un de très occupé. Lucas n’a en tout cas pas mis cela en place. D’ailleurs, il en sait aussi énormément sur le sujet. Il nous a transmis énormément de choses sur le tournage. 

Comment s’est passée la collaboration avec la « jeune équipe » ?
Très bien ! C’était génial d’être une belle bande de jeunes. Pour ce rôle, j’avoue néanmoins avoir eu besoin de me tenir à distance des autres. Il me fallait la tenir en permanence pour être rapidement plongé dans les scènes à tourner. C’est ce que je faisais tout le temps. Malgré tout, Félix [ Kysyl ] est la personne avec qui j’ai peut-être eu le plus d’affinité, car mon personnage est assez complice avec le sien.
Les jeunes acteurs et actrices du film sortent globalement tous et toutes du conservatoire. Je pense que Lucas avait besoin de ça, car c’est un film assez technique. Il y a un texte à suivre à la lettre. Nous n’avions pas vraiment de place pour l’improvisation. Chaque mot a son importance. Nous devions également être très attentifs à notre tenue et à notre place sur le tournage. Comme il y a énormément de jeux de caméra, il fallait respecter les marques sur le sol. C’était un vrai plaisir de travailler avec eux. Pour moi, un acteur fait 50% et les autres font le reste. C’est ce que renvoie l’autre qui permet de jouer. Comme ça renvoyait sans cesse, c’était très intéressant.

Aviez-vous conscience que le film pourrait avoir un impact sur le public ? Une forme de réparation ? De catharsis ?
Durant le tournage, je ne crois pas. On ne pense pas vraiment à l’après. Quand un plan est incroyable, il m’arrive de me dire que j’aimerais absolument le voir plus tard. Je ne suis pas sûr que cela aille plus loin… Après avoir vu le film, et en ayant fait un travail de recherche sur la guerre d’Algérie après le tournage – je vous conseille de lire Papa, qu’est-ce que tu as fait en Algérie ? [ Raphaëlle Branche ] – je m’en rends effectivement compte. C’est un honneur pour moi d’avoir participé à cette aventure. Je pense que l’on peut se rendre compte de l’impact de ce genre de film uniquement à travers les rencontres avec le public. Ce qui n’est malheureusement pas vraiment possible en ce moment… C’est sûr que le film va toucher des personnes. C’est important. Le cinéma peut nous aider à éclairer et à comprendre certaines zones d’ombres de l’Histoire. Dans un cursus scolaire français, on a un point de vue français sur ces évènements ; en Algérie, un point de vue algérien. Je crois que la force du film est d’épouser la diversité des points de vue. On n’est ni dans un camp ni dans un autre.

Quels sont vos futurs projets ?
Je vais réaliser un court-métrage qui s’appelle Sauce à part. Je le tourne en Belgique. Je devais le tourner au moment du premier confinement. À nouveau, il est un petit peu repoussé… Je dois d’ailleurs m’entretenir avec mes producteurs pour voir où on en est, si on est repoussé à décembre ou à janvier.

Je commence également l’écriture d’un long-métrage avec une co-réalisatrice. Il s’agit d’un biopic sur un artiste belge que je dois interpréter. Je n’en dirais pas plus, je garde secret le nom de l’artiste. Je dois également faire d’autres films au printemps. Tout est un peu décalé. En ce moment, je m’entraine à la moto pour un film !

Puisque vous évoquez la situation actuelle, qui nous contraint d’avoir un échange 2.0 [ sur zoom ], quel regard portez-vous sur l’état actuel de la culture et du cinéma ?
Espérons que cela revienne vite pour que l’on puisse créer et voir des films ! C’est quelque chose qui manque énormément… Cet oubli de la culture est quand même difficile à digérer. Par rapport au couvre-feu, je trouvais dommage que l’on ne puisse pas faire une dérogation aux gens, afin qu’ils puissent rentrer un peu plus tard après une séance. Apparemment, il a été prouvé qu’il y avait peu de clusters ou de vagues qui partaient des salles de cinéma. Ils respectaient bien les protocoles. On nous dirige de plus en plus vers une consommation en ligne, que ce soit avec l’achat de livres ou la consommation de films via des plateformes numériques. Heureusement en Belgique, les librairies sont restées ouvertes. C’est une autre économie.

D’une certaine façon, on perd de plus en plus un artisanat. On est dans une logique où il faut aller plus vite et avoir toujours plus de contenu. C’est compliqué ! On le voit dans le financement des films… Les plus fragiles vont avoir de plus en plus de difficultés à se financer. On perd donc des gens qui apportent des points de vue originaux, en dehors des sentiers battus. Personnellement, j’ai la chance de bosser et d’avoir déjà un pied à l’étrier. Or, pour les gens qui démarrent, c’est très compliqué d’avoir foi ! Il faut se battre ! Il faut garder espoir ! Ça va de toute façon passer. En attendant, il ne faut pas tout oublier et se dire que c’est mort. Il faut y croire. J’ai foi en l’avenir. Je pense qu’on va revenir plus fort. 

Des Hommes
FR – 2019 – 1h 40min – Drame,Historique
Réalisateur: Lucas Belvaux
Avec : Gérard Depardieu, Catherine Frot, Jean-Pierre Darroussin, Yoann Zimmer
Adok Films
11.11.2020 au cinéma

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