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MOTHER – la Femme derrière la Sainte

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Critique par Luca Califano

Mother ou Teresa de la réalisatrice macédonienne Teona Strugar Mitevska n’est
probablement pas le film le plus attendu de l’année. On en est d’ailleurs bien loin, tant le film semble être plutôt passé sous les radars de la presse et du public. Pourtant, ce nouveau long métrage qui retrace librement un passage important de la vie de Anjezë Gonxhe Bojaxhiu, plus connue sous le nom de Mère Teresa, est une véritable claque dans sa proposition filmique et dans son angle de traitement thématique. Un film qui a en réalité bien plus à proposer qu’un simple suivi de vie de cette figure religieuse extrêmement importante. Un film rebelle et coup de poing, qui désacralise la figure de la sainte pour en dire bien plus.


À Calcutta, en 1948, Sœur Teresa s’apprête à quitter son couvent pour fonder son propre
ordre, avec les préceptes qu’elle a elle-même bâtis au fil des années. En sept jours décisifs, entre foi, compassion et doute, elle prend des décisions qui marqueront à jamais son destin de sainte ainsi que celui de milliers de vies. Tout d’abord, le film se révèle brillant par l’angle d’approche qu’il mobilise pour traiter le personnage de Mère Teresa. Le long métrage choisit de démystifier la figure de la sainte pour lui redonner une image humaine, voire la présenter comme une pécheresse. Contrairement aux autres œuvres sur le personnage, qui ont toujours eu tendance à glorifier la bonté de la sainte, le film la décrit certes comme une femme au chevet des pauvres et des plus faibles, mais il la dépeint aussi comme une figure stricte, autoritaire, dure et parfois méprisante envers ses consœurs qui s’écartent de la voie de la pureté. À la fois bonne et toxique, elle devient une figure inquiétante en raison du pouvoir qu’elle détient entre ses mains. La figure de Mère Teresa est farouchement écorchée pour lui redonner un visage plus nuancé et plus complexe. Le film brise directement l’image de perfection du personnage pour l’amener, au milieu du récit, à sombrer – comme la tonalité générale de la mise en scène – dans une forme de folie, à la limite de l’horrifique. Ce qui est particulièrement intéressant, c’est que le film présente Mère Teresa sous un angle moins spirituel mais plus matérialiste, voire plus politique. Une figure démystifiée qui porte dans son combat quotidien des valeurs idéologiques et qui oriente chacune de ses actions. Un credo et un message qu’elle porte avec une conviction quasi militante et qui la pousse à rejeter avec fermeté toute personne qui s’opposerait à son positionnement religieux. En réalité, on peut assez facilement envisager le personnage de Mère Teresa comme une figure conservatrice. Elle est certes douce et charitable envers les miséreux, mais se révèle aussi farouchement violente et intransigeante par la même occasion. L’intelligence profonde du film réside dans sa capacité à maîtriser à la perfection cette dichotomie du personnage. Le métrage navigue entre empathie et tendresse, tout en révélant sa toxicité et en politisant son discours religieux. Un angle d’approche que le film choisit, qui pourra être compris comme rebelle, voire blasphématoire par les plus limités des critiques réactionnaires, mais qui en réalité montre une grande intelligence de la part de la réalisatrice, qui réussit le tour de force d’ajouter de la complexité au personnage de Mère Teresa, bien trop souvent simplifié pour en faire une figure de pureté vide de sens. Ce travail minutieux de caractérisation empêche le récit de basculer dans la binarité morale : il évite aussi bien la détestation de Mère Teresa – toujours présentée comme une figure de bonté, se sacrifiant aux côtés des plus miséreux – que son idéalisation, en révélant la part de noirceur qui habite son âme. Par ce travail d’écriture minutieux, l’autrice se permet de questionner l’envers du décor du personnage et de mettre en avant un ensemble de rapports de force au sein d’un groupe d’individus, le tout en questionnant la figure générale du sauveur ou de la sauveuse. C’est précisément cette décentralisation du regard et cet angle très différent qui donne une véritable saveur au long métrage.


De plus, il est impossible de passer à côté d’un des éléments thématiques centraux du long métrage, à savoir le rapport conflictuel entre le droit à l’avortement et l’Église. Le film réussit parfaitement à mettre en image l’opposition directe entre le droit fondamental des femmes à disposer de leur propre corps et l’institution catholique. Par la figure de Mère Teresa, la réalisatrice incarne la violence inouïe que les institutions religieuses font subir aux femmes en leur refusant ce droit fondamental, tout en montrant les conséquences dramatiques d’un tel positionnement institutionnel. Encore une fois, la violence institutionnelle que Mère Teresa incarne intensifie d’autant plus la déconstruction du personnage. D’ailleurs, le film expose les enjeux qui opposent différents positionnements contradictoires sur ce sujet. Entre notamment Mère Teresa, figure de l’Église, et le médecin de la région, homme de science, qui défend le droit des personnes concernées à disposer librement de leur propre corps. Le film prend d’ailleurs le parti très intéressant de mettre subtilement en avant les désaccords intellectuels, mais aussi le tabou de cette question, au sein de l’Église, spécifiquement dans cette opposition d’idées entre Mère Teresa et un prêtre bien plus libéral sur le corps des femmes. De manière plus générale, le film met en scène une communauté fermée de femmes qui vont, au fil du récit, pousser le spectateur à se questionner sur l’impact qu’a l’Église sur ces personnages féminins. Comme nous le verrons un peu plus tard, le cadre filmique est construit pour que la religion soit omniprésente au sein de l’image. Une imagerie religieuse qui vient d’une certaine manière écraser les femmes dans le plan. Un angle de réflexion extrêmement malin et loin d’être surprenant pour une réalisatrice engagée de longue date sur les questions de genre dans le cinéma et défendant dans les médias une plus grande égalité des droits et de visibilité dans la création cinématographique. Une autrice se revendiquant elle-même “Femartivist”, au carrefour entre artiste, activiste et féministe revendiquée.


Toutes ces thématiques et ces messages de fond trouvent leur pleine force dans une mise
en scène d’une grande maîtrise. On retrouve tout au long du récit de véritables propositions de réalisation, jouant à la fois sur des placements et des mouvements de caméra minutieusement travaillés. Le film regorge de propositions filmiques et d’approches de tonalité différentes. Mother réussit à jongler entre les différentes ambiances, de la plus
lumineuse à la plus sombre, passant d’une scène de vie, au drame, à l’horreur, jusqu’à
mettre en scène la folie dans une scène de danse collective nocturne à la limite du bad trip. Des tonalités du récit différentes qui se retrouvent aussi dans le choix musical qui vient accompagner le récit. On remarque des décisions audacieuses mais surtout incarnant
l’esprit “punk” du métrage en proposant une bande sonore aux antipodes de ce que l’on
pourrait imaginer pour un film de ce style. Entre sonorités électro-techno, textures
psychédéliques, chants choraux malaisants, et même une incursion dans le métal avec le
morceau Hard Rock Hallelujah du groupe finlandais Lordi. Mother ne cesse d’enrichir son
récit de propositions filmiques sans jamais l’ennuyer, et apportant véritablement du corps à une narration captivante et portée par une Noomi Rapace qui trouve enfin un film pour
exprimer pleinement son jeu. Comme dit précédemment, le travail du cadre dans Mother permet subtilement de faire passer au spectateur·ice un message sur la religion. Une religion qui s’impose aux personnages, qui définit leur comportement, qui cadre leurs interactions, construit les rapports de violence et s’impose au spectateur.ice. Les plans sont une métaphore visuelle de l’enfermement institutionnel mais aussi psychologique des personnages. Un enfermement qui se voit aussi métamorphosé par l’usage de la lumière. Une lumière parfaitement maîtrisée et magnifique qui est elle-même porteuse de sens. À la fois dans l’incarnation matérielle du manque de liberté, avec ce couvent qui filtre la lumière extérieure, mais aussi pour renforcer la figure de sainteté de Mère Teresa quand cela est nécessaire. En somme, le long métrage regorge de scènes particulièrement brillantes et profondément percutantes. Un long métrage qui, comme toutes les grandes œuvres filmiques, pourrait faire l’objet d’une analyse détaillée qui nous pousserait à découvrir de nombreux autres niveaux d’analyse et d’éléments thématiques encore plus profonds. Cette mise en scène réussit parfaitement à mettre en avant l’omniprésence des rapports de violence entre les individus. Une violence jamais physique mais qui passe par d’autres dispositifs plus pernicieux, et tout aussi dévastateurs, qui vont créer de véritables souffrances et frustrations captées par la caméra de la réalisatrice.

En définitive, Mother s’impose comme un geste de cinéma puissant, audacieux, surprenant
par son originalité et qui va à contre-courant de ce que l’on pouvait attendre de ce projet. En déconstruisant la figure sacralisée de Mère Teresa avec finesse, Teona Strugar Mitevska
signe un film qui interroge sur de nombreux aspects. Porté par une mise en scène en
parfaite maitrise, Mother est une œuvre politique, féministe et viscéralement humaine. On
pourrait être tenté d’y voir un croisement entre Benedetta de Paul Verhoeven et la folie
sensorielle d’un Gaspard Noé, le tout filtré par un regard résolument féministe. Mother n’est pas un simple biopic. On pourrait même dire qu’il n’est pas un biopic tout court tant il adapte très librement la réalité. Mother est bien plus que ça. C’est un film qui dérange autant qu’il fascine et qui réussit en cette fin d’année, de manière très inattendue, à être une des claques de l’année 2025.

Réalisateur.ice: Teona Strugar Mitevska
Date de sortie: 2 décembre 2025
Acteur.ice: Noomi Rapace, Sylvia Hoeks
Distributeur: Trigon

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