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lundi, mars 18, 2024
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Conférence de presse avec Jane Fonda : le pendant politique de sa Master Class

Jonathan Tholoniat
Jonathan Tholoniat
« Désespoir, amour et liberté. L’amour. L’espoir. La recherche du temps perdu. » Comme Pierrot, j’aime la Littérature. Comme Godard, j’aime le cinéma. Après avoir étudié la Philosophie à l’université de Lyon III, je poursuis mes études en Master de Littérature et français moderne à Genève pour me diriger vers l’enseignement et le journalisme. L’écriture et le cinéma : un univers en perpétuel mouvement que je suis heureux de partager. Godard ne disait-il pas : « Avec le cinéma, on parle de tout, on arrive à tout ». De quoi assouvir mon inlassable curiosité.

L’actrice américaine, qui a reçu la veille le Prix Lumière, s’est livrée sur ses engagements politiques et féministes tout en évoquant le cinéma et son séjour au Festival Lumière 2018. Extraits choisis.


La violence
« Il faut comprendre que les mauvaises actions sont le moyen d’expression des personnes traumatisées. Il faut haïr ces actions, mais il faut aimer ces personnes. Martin Luther King disait : « je ne suis pas obligé de vous apprécier, mais je suis obligé de vous aimer ». Ce n’est pas facile, surtout en ce moment. Mais, si nous n’arrivons pas à faire cela, nous serons consommés par la haine. Il vaut mieux se faire tuer que se soumettre à la violence et à la haine. Si ces arguments peuvent paraître mièvres et faibles, c’est que nous sommes encore sous le régime du patriarcat. L’empathie, l’amour et l’élan pour comprendre l’autre sont une véritable force. Nous sommes nombreux. Si nous marchons avec la tête ouverte et le cœur très doux, nous pouvons aller de l’avant et gagner ».

Son engagement
« Quand Trump a été élu, je me suis demandé ce que je pouvais faire pour être la plus efficace. Il était clair que je devais donner de mon temps, de mon énergie et de ma présence pour un combat qui soit sur le terrain – sur le plan économique, sur le plan de la race et sur le plan de la sécurité sociale -, car je savais que ces choses-là étaient menacées sous cette nouvelle ère. Je me suis donc associée avec un organisme qui s’appelle « Rock ».

Aux Etats-Unis, à chaque fois que le revenu minimal est augmenté, cela exclut l’augmentation des personnes qui travaillent dans la restauration. Les salaires des serveurs ne sont pas augmentés, parce que les industries affirment qu’elles ont suffisamment de pourboires. Sur les treize millions des employés de la restauration, il y a 93% de femmes, dont beaucoup de mères qui élèvent seules leurs enfants. Elles sont complètement dépendantes de ces pourboires, car c’est comme cela qu’elles gagnent leur vie. Alors, si elles se font tripoter ou toucher par les clients, elles n’ont aucun moyen d’action. Pour gagner une autonomie, il faudrait qu’elles aient une augmentation de ce revenu minimal en plus de leurs pourboires. Je me bats pour la femme qui travaille. Le harcèlement est divisé par deux dans les sept états des États-Unis où les serveuses ont un revenu minimal en plus de leur pourboire. Cela montre le lien direct entre le revenu et le harcèlement. »

Se présenter en politique
« Je préfère lutter auprès des ouvriers plutôt que d’être dans un bureau. D’ailleurs, je dois dire que je n’ai plus vraiment confiance en la démocratie américaine. J’ai du mal à respirer tellement que j’ai peur. Les élections du six novembre aux Etats-Unis sont les élections les plus importantes. C’est par exemple effarant ce qu’il se passe en Géorgie. Est-ce que les gens de France s’en rendent compte ? Il y a une femme noire extraordinaire, très forte et progressiste qui a présentée sa candidature. Malheureusement pour elle, il y a un homme blanc et secrétaire de l’Etat de Georgia qui est face à elle. Cela veut dire qu’il contrôle le système de votation. Or, nous savons qu’il a été piraté, lors des dernières élections. Il faut également se souvenir qu’il avait bloqué la votation de certaines personnes en raison d’un prétendu problème d’informations d’enregistrement… Dès que je partirai d’ici, je me rendrai directement au Michigan pour essayer d’appeler la communauté noire à aller voter. Je sais qu’elle est résignée et pense que cela ne changera rien. Mais je suis sûr que nous pouvons changer les choses si nous arrivons à mobiliser suffisamment de gens pour se rendre dans les urnes… J’ai peur ».

Trump
« Je crois que Trump souffre d’un Trouble de Stress Post-traumatique. Comme beaucoup d’hommes, je pense qu’il a été brutalisé, lorsqu’il était très jeune. Il n’était pas protégé par sa mère. Quand je dis qu’il a été brutalisé par son père, ce n’est pas forcément d’un point de vue physique. Ce dernier a tout de même été proche du Ku Klux Clan.

Il faut avoir beaucoup de force pour changer. Si nous n’avons pas cette force de caractère, beaucoup de personnes peuvent en souffrir. Ce genre de traumatisme enlève l’empathie pour les autres, mais également pour soi-même. Je déteste tout ce qu’il nous fait, mais j’ai de l’empathie pour lui. L’empathie et l’action ne sont pas incompatibles : nous résistons à la tentation d’être violent et pourtant nous pouvons agir. Jusqu’à mon dernier souffle, je combattrai cette supériorité de la race blanche. Je connais des personnes qui ont voté pour Trump. Je ne leur parle plus, mais j’ai de l’empathie pour eux ».

Oleg Sentsov
« Nous devons tout faire pour qu’il soit libéré de cet Etat totalitaire. C’est un pays où règnent les gangsters. Nous devons le sauver de là et le protéger. »

Le cinéma et la réalité
« Le cinéma doit avoir un effet très fort. J’ai fait un film qui s’appelle Le syndrome chinois. Deux semaines après sa sortie, il y a eu une catastrophe en Pennsylvanie avec l’accident du Three Mile Island. Les gens sont venus voir le film pour comprendre ce qu’il s’était passé. Cela a changé une certaine vision du nucléaire aux Etats-Unis. Nine to five ( Comment se débarrasser de son patron ) est une comédie qui a beaucoup aidée les femmes secrétaires. Il y a eu la création de syndicats après sa sortie. Voilà deux exemples où les films peuvent avoir un impact sur le réel.

Avant de venir en France, j’ai fait beaucoup de films superficiels. Je ne me sentais pas bien. Je n’étais pas activiste et j’étais assez superficielle moi-même. Nous avons besoin de donner un sens à notre existence. Tant que nous ne le faisons pas, nous ne pouvons pas être bien dans notre peau. Depuis 68, je cherche à faire des films qui ont quelque chose à dire. Une fois que j’ai trouvé cela, les choses sont beaucoup plus simples. C’est pour cela que c’est très bien de vieillir, car, en étant jeune, nous ne savons pas qui nous sommes. En vieillissant, nous trouvons le sens que nous recherchions. Plus on approche de la mort, plus les choses sont belles ».

Les femmes et le cinéma
« Il faut lutter. Nous ne gagnons pas sans luttes. Il y a beaucoup plus d’efforts aux Etats-Unis pour engager des femmes en tant que metteuse en scène ou réalisatrice. Beaucoup de personnes pensent que le mot « pouvoir » et « femme » ne vont pas ensembles, mais il faut changer cela. C’est très important pour les hommes. Nous sommes quand même la moitié de l’humanité. Nous ressentons parfois les choses différemment : la guerre, la pauvreté, les questions de santé, le climat, etc. Si dans la littérature, la musique, la peinture ou le cinéma, nous n’avons pas la vision des femmes, c’est une perte pour tout le monde. Les hommes sont privés de notre manière de voir les choses. Pour une jeune femme qui veut rentrer dans le cinéma, il faut qu’elle soit curieuse et s’entoure de gens qui pensent différemment d’elle-même. Il faut écouter avec le coeur. La chose la plus importante que j’ai apprise avec les Alcooliques Anonymes est que « non » est une phrase en soi. C’est une phrase complète ».

La beauté
« Si j’étais noire et belle, cela ne servirait pas. C’est une question de classe : étant de la haute classe, je suis privilégiée. J’ai survécu grâce à ce privilège. Toutes mes actions viennent de mon accès à ce monde. La beauté est une barrière à partir du moment où nous pensons que nous sommes belles. Je n’ai jamais pensé cela. Je pense d’ailleurs que je suis beaucoup plus belle maintenant que lorsque j’étais jeune ».

Être réalisatrice
« Non ! Tout le monde me demande ça ! Ce que j’aime, c’est travailler en collaboration, mais je n’aime pas diriger. Hier soir, j’ai fait des cauchemars, parce qu’il parait que je dois diriger une scène cette après-midi. Je suis terrifiée. J’aime être dirigée ! »

Le Théâtre
« Il y a très longtemps, j’ai fait trois ou quatre pièces à Broadway. À soixante-dix ans, on m’a proposé un rôle dans 33 Variations de Moisés Kaufman. J’ai accepté, car je voulais avoir une expérience heureuse dans le théâtre. C’est ce qui m’avait manqué dans ce milieu. C’était formidable de passer cinq mois à New-York et autant à Los Angeles pour jouer cette pièce. Le seul problème que j’ai avec le théâtre aux Etats-Unis est qu’il faut être riche pour assister à une pièce. Les billets sont tellement chers ! Désormais, il me reste très peu de temps.. Je préfère me concentrer sur autre chose. Par exemple, je trouve la télévision incroyable, car c’est beaucoup plus démocratique. »

Le Prix Lumière
« J’étais tellement heureuse hier soir pour cet honneur. Je suis ici depuis quatre jours. J’adore cette ville et la philosophie de ce festival que Thierry a créé il y a dix ans. J’aime le fait que cela ne soit pas compétitif. C’est un festival sur l’amour du cinéma et du cinéma en tant qu’art. C’est libérateur. Être dans une salle de 5’000 personnes avec des artistes qui me rendent hommage en ayant des mots si touchants… j’étais bouleversée ! Je garderai cela dans mon cœur pour toujours. C’était formidable ! Je ne m’attendais pas du tout à ça. Je me souviens très bien quand Thierry m’en a parlé au festival de Cannes. Je me disais que c’était très bien, car j’adore la bouffe, mais je m’attendais pas à ce qu’il s’est passé. »

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