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vendredi, mars 29, 2024
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Interview de Shlomi Elkabetz de « Gett, Le procès de Viviane Amsalem »

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Après « Prendre femme » (2005) et « Les 7 Jours » (2008), « Le Procès de Viviane Amsalem » est le troisième film de Ronit et son frère cadet, Shlomi Elkabetz, Israéliens d’origine marocaine, qui travaillent et écrivent ensemble. Schlomi signe la réalisation de leur dernier film, « Gett, Le procès de Viviane Amsalem », terminé trois semaines avant sa projection à Cannes, et interprété par Ronit Elkabetz et Simon Abkarian. A nouveau, le tandem d’artistes suit le chemin que se fraie une femme pour conquérir sa liberté dans la société israélienne. Le frère et la sœur réussissent une prouesse de mise en scène en filmant, en huis clos, un procès qui s’éternise sur plusieurs années. Le motif : une femme veut divorcer, mais son mari le lui refuse. En Israël, les divorces passent par les tribunaux rabbiniques ; les rabbins qui jugent de la dissolution du mariage ne peuvent le faire sans le consentement du mari. Rencontre avec Shlomi Elkabetz dans un hôtel Art déco à Genève.

– Le sujet étant délicat, quelle a été la réaction du public israélien ?
– Cela a été une grande surprise, je me suis senti comme un enfant face à la réaction du public. Il est sorti étonné et en colère à cause du sujet, il s’est approprié l’histoire et s’est mis à en débattre. Les femmes ne peuvent pas divorcer. Tout le monde était d’accord pour que Viviane acquière la liberté, mais personne ne savait comment elle pouvait y parvenir. Quand vous vous mariez, vous ne pensez pas à divorcer, vous pensez à l’amour et aux préparatifs du mariage. Le tribunal religieux est le seul lieu interdit en Israël, le seul habilité à prononcer les divorces… On n’en parle jamais, on n’y entre pas, les procès ont lieu à huis clos. L’idée est profondément ancrée dans la société israélienne que la loi juive détermine les droits de la famille et détermine qui est Israélien. C’est comme une règle universelle qui fait consensus, on accepte l’impact de la religion sur la vie.

– S’agit-il du troisième volet d’une trilogie après vos deux films précédents, « Prendre femme », qui met déjà en scène Viviane confrontée à l’usure de son mariage, et « Les 7 Jours », la même femme face au deuil ?
– Oui, le premier était inspiré de notre mère, c’était notre point de vue sur la vie d’une femme dans sa maison entourée de ses proches. Le deuxième était plus éloigné de nous. Dans « Le Procès de Viviane Amsalem », il s’agit de nouveau d’une femme au cœur de la société, mais notre mère n’a pas demandé le divorce dans un tribunal rabbinique… Ce n’est pas juste le procès de Viviane Amsalem, c’est le procès d’un État et d’un système. L’un des objectifs était que le spectateur devienne témoin, prenne parti et se sente impliqué dans le processus de mise en accusation.

– Vous fonctionnez en tandem avec votre sœur Ronit, tant sur l’écriture du scénario que dans la mise en scène ; pour ce film, comment avez-vous travaillé ?
– Comme entre tout frère et sœur : il n’y a pas d’intermédiaire. On est directement au cœur du sujet, on se pose mutuellement des questions, on se donne des réponses. On prend, en effet, beaucoup de temps avant le tournage. Nous avons pensé à ce film pour la première fois il y a quatorze ans, j’étais à New York et Ronit en France. Nous avons d’abord imaginé la vie d’un immeuble et de ses habitants. Puis une histoire autour de la maison de Viviane et son mari, Elisha. Quand Ronit m’a rejoint à New York, elle m’a dit : « Ce sera l’histoire d’une femme qui veut divorcer et de son procès. » La première étape est intérieure, personnelle. La femme doit se convaincre elle-même qu’elle peut gagner sa liberté. Ensuite, elle doit persuader la société et la loi.

– Pensez-vous que le message porté par votre film puisse permettre aux gens d’évoluer ?
– Il y a quatre ans, j’avais réalisé « Témoignage », un film composé de récits palestiniens mis en scène en hébreu où je dirigeais Ronit, il a fait l’effet d’une bombe à Israël. J’enseigne le cinéma à l’université de Sderot et le directeur m’a appris qu’il avait divorcé. Quand j’ai rencontré sa femme, elle m’a dit : « Nous étions dans un tribunal et c’était comme dans votre film. » « Arrête avec le cinéma ! » m’a-t-elle répété. Après l’avoir vu, les gens gardent la vision de Viviane qui attend. Cela changera peut-être les choses. Nous avons ouvert une porte, tout est possible.

– Quel est le fonctionnement des tribunaux rabbiniques ?
– Un tribunal est supposé être un lieu objectif qui établit une vérité, mais on est complètement dans la subjectivité. Contrairement au théâtre, il n’y a pas le seul point de vue du metteur en scène. Tout le tournage est construit sur la circulation des regards entre les personnages. Il y a deux niveaux parallèles, celui des regards et celui des dialogues. Quand vous changez d’angle, vous changez d’histoire, mais la vérité de Viviane, elle, ne change pas. Simon Abkarian et Ronit tiennent les rôles principaux. Il y a des clichés sur les Séfarades en Israël et je ne voulais pas des acteurs qui tombent dans la caricature. Simon a une élégance naturelle, une présence. Dans le film précédent, il chantait si bien et avait tellement l’air d’être un Juif israélien qu’un rabbin a voulu l’inviter à se produire pour un shabbat. Ronit, c’est une histoire d’amour. Nous nous connaissons par cœur et sommes très proches.

– Pourquoi avoir pris le parti de ne jamais tourner à l’extérieur du tribunal ?
– Pour Viviane Amsalem, il n’y a plus de vie en dehors de ces murs, il n’y a que le procès qui compte. Alors pourquoi sortir ? Cette femme est dans l’attente et, en tant que réalisateurs, nous sommes restés fidèles à ce qu’elle ressent. Dès le départ, beaucoup de questions se sont posées : comment faire pour faire sentir qu’à l’extérieur il y a quand même la vie qui continue ? Ce sont les témoins qui amènent de l’air dans ce lieu clos. Le son et la lumière sont également très importants sur ce point : on entend les bruits de la ville derrière une fenêtre, un autre procès qui a lieu à côté, on voit les saisons qui passent …

– A quelles difficultés de mise en scène avez-vous été confrontés ?
– Si vous tournez dehors, il y un million de possibilités pour placer la caméra. Dans une pièce close, on a peut-être moins le choix donc il faut être extrêmement précis. Ma sœur et moi voulions une réalisation très simple. Tout commence par un point de vue : tu parles, je te regarde. Et on a compris que dans ce tribunal la dramaturgie devait être guidée par les regards des hommes, pas ceux de la femme, car c’est eux qui conduisent le procès. On a choisi de ne pas être au-dessus des personnages, c’est à travers leurs yeux que se dévoile l’action.

– Vous exposez un sujet grave tout en distillant beaucoup d’humour…
– On rit des situations, pas des protagonistes. Ce qui se passe est absurde et déclenche le comique. Le public n’arrête pas de se dire: « C’est pas vrai ! » Ce procès ressemble à un spectacle de cirque.

– Songez-vous à un quatrième volet à votre observation sur le quotidien en Israël ?
– Peut-être une histoire d’amour entre Viviane et Elisha, nous en parlons beaucoup, rien n’est encore arrêté.

– A quelles réactions vous attendez-vous au sein de la communauté hassidique ?
– Le film y fera polémique. Là-bas, les procès pour meurtre sont publics mais, pour les divorces, les portes sont fermées. On les ouvre et on s’attend à ce que ça lance un mouvement. La situation ne changera pas d’une minute à l’autre mais, enfin, on commencera à parler. Les femmes ne peuvent plus se taire.

– La situation des femmes n’a-t-elle pas évolué ?
– Une femme peut sortir, s’habiller comme elle veut, mais il s’agit d’une fausse liberté. Il n’y a rien de fait pour les droits des femmes. Le divorce passe toujours par la loi religieuse, quel que soit le lieu du mariage civil, même à l’étranger. Si les femmes peuvent aussi refuser le divorce à leur mari, elles sont 200’000 en attente d’une séparation contre… trois hommes. C’est ce que nous avons voulu montrer à travers ce cas exemplaire. Exposer aux yeux du monde la situation terrible dans laquelle elles se trouvent, attendant parfois pendant vingt ans qu’on les libère enfin d’un mariage dont elles ne veulent plus, d’un homme qu’elles ne supportent plus, qu’elles n’aiment plus. Peut-être que grâce à ce film, les choses pourraient éventuellement commencer à bouger. Par exemple en créant le débat. Rappelons que, dans ce pays considéré comme le plus démocratique du Moyen-Orient, le chemin à parcourir vers la modernisation de la société est encore long. Dans les faits, Israël se révèle identique aux autres pays du Proche-Orient en continuant à appliquer des règles vieilles de 4000 ans.

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