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lundi, mars 18, 2024
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Interview : « Les enfants sont bien plus philosophes que les adultes »

Lauren von Beust
Lauren von Beust
Amoureux du film «American Gigolo», ses parents la prénomme en hommage à l'actrice américaine Lauren Hutton. Ainsi marquée dans le berceau, comment aurait-elle pu, en grandissant, rester indifférente au 7ème art ? S'enivrant des classiques comme des films d'auteur, cette inconditionnelle de Meryl Streep a prolongé sa culture en menant des études universitaires en théories et histoire du cinéma. Omniprésent dans sa vie, c'est encore et toujours le cinéma qui l'a guidée vers le journalisme, dont elle a fait son métier. Celle qui se rend dans les salles pour s'évader et prolonger ses rêves, ne passe pas un jour sans glisser une réplique de film dans les conversations. Une preuve indélébile de sa passion. Et à tous ceux qui n'épellent pas son prénom correctement ou qui le prononcent au masculin, la Vaudoise leur répond fièrement, non sans une pointe de revanche : «L-A-U-R-E-N, comme Lauren Bacall !». Ça fait classe !

Après la diffusion du documentaire de Cécile Denjean sur France 2 en février 2018, « Le Cercle des Petits Philosophes » a été adapté pour le cinéma, dont la sortie date d’avril dernier. Un véritable regard sur le monde, à hauteur d’enfant. Retour sur ce film avec le philosophe, sociologue et écrivain français Frédéric Lenoir, qui propose des ateliers philosophiques aux élèves de primaire.


Dans « Le Cercle des Petits Philosophes« , l’auteur à succès Frédéric Lenoir guide pendant un an, des écoliers sur le chemin de la philosophie, en leur posant de grandes questions de vie. Avec un regard lucide et une maturité dans les propos, ces élèves de primaire s’emparent de ces questions existentielles, partagent leurs opinions, débattent et confrontent leur propre pensée à celle des autres. Ces jeunes de 7 à 10 ans appréhendent la complexité du monde par le biais d’ateliers, proposés par Frédéric Lenoir.

En plein tournage dans le sud de la France, Frédéric Lenoir répond à nos questions par téléphone : « Je suis dans la voiture, mais comme ce n’est pas moi qui conduis, allons-y pour l’interview ! », débute-t-il cette entrevue.

Ce film démontre la capacité des enfants à s’emparer de questions existentielles, à argumenter et à en débattre. En quoi sont-ils différents des adultes dans leur manière de voir le monde ? N’y a-t-il pas une forme d’universalité de la pensée humaine ? Nos craintes, nos angoisses, nos joies et nos bonheurs, ne sont-ils pas les mêmes ?
Frédéric Lenoir : Effectivement, je pense que la raison est universelle. Mais les enfants sont bien plus philosophes que nous, les adultes. Ils se questionnent de manière plus fréquente et sur un tas de choses. Aristote prétend que la philosophie commence avec l’étonnement. Seuls les enfants ont cet étonnement, en effet nécessaire à la réflexion philosophique.

Vous voulez dire par là que les adultes n’ont plus cette faculté… Pourquoi cela ?
Selon Michel Onfray, seuls certains d’entre nous sont capables d’étonnement après l’enfance, mais certainement pas tous. Et pourtant, les adultes auraient tout intérêt à imiter les enfants, à être des enfants.

« C’est en écoutant les autres et en se confrontant à la pensée des autres qu’ils vont réfléchir et développer leur pensée personnelle« 

Dans le film, un des élèves s’empare de l’interprétation du Coran dans la religion musulmane. Les enfants de cet âge, ne sont-ils pas un peu jeunes pour appréhender ce genre de question ? À partir de quand, peut-on considérer qu’un enfant ne recrache pas le discours de ses parents?
Vous avez raison, les enfants commencent toujours par répéter ce qu’ils ont entendu. Mais c’est le fait d’écouter les autres et de se confronter à la pensée des autres qui vont les encourager à réfléchir et à développer leur pensée personnelle. Il suffit qu’un de ses camarades ne pense pas la même chose que lui pour qu’un enfant fasse, librement et naturellement, part de sa propre opinion.

Et vous, vous retrouvez-vous personnellement dans ces enfants ? Vous reconnaissez-vous à cet âge ?
Complètement ! C’est sûr que je me retrouve en eux ! Enfant, je détestais l’école. Je m’ennuyais en classe. Ce qui m’intéressait, c’était justement de réfléchir aux « pourquoi des choses », au « pourquoi les choses sont-elles comme elles sont ?« . Alors quand j’ai lu « Le Banquet », texte de Platon, à l’âge de 13 ans, ce fut une révélation. C’est de là qu’est réellement né mon intérêt pour la philosophie.

« L’éducation est la clé de tout. Si les enfants parviennent à développer leur esprit critique, ils deviendront plus tard des adultes responsables »

Vous attendiez-vous à une telle maturité de la part de ces élèves de primaire ?
À chacune des rencontres que je fais avec eux, je suis toujours frappé par leur lucidité et leur maturité. Et vous remarquerez que contrairement à ce que l’on pense, ils ne vivent pas dans un conte de fées, ils ont une vision réaliste du monde. Tout n’est pas toujours rose, ils le savent par expérience.

Vous dites que « pour avoir une tête bien faite, il faut apprendre à bien penser ». Alors quelles sont véritablement les grandes questions, selon vous ?
Ce sont celles que les enfants du film se posent justement : « Pourquoi sommes-nous sur Terre ?« , « Pourquoi, on vit ?« , « Pourquoi, on meurt ?« , « Qu’est-ce que la mort ?« , « Qu’est-ce que l’amour ? » ou « Comment fait-on pour être heureux ?« . En fait, toutes les questions éthiques et métaphysiques qui touchent au fondement de la vie. Au fil de ces ateliers de philosophie, j’ai aussi remarqué que les enfants se questionnent beaucoup sur la mort. Ils en parlent énormément et s’attardent sur la question.

Un de ces petits philosophes pense que « grandir, c’est se rapprocher de plus en plus de la mort ». Vous la redoutez aussi, la mort ?
Non, je n’en ai pas peur. Personnellement, je la vois comme un passage, un changement d’état, de conscience. La mort, c’est pour moi la découverte d’un autre monde, car je crois à l’immortalité de l’âme.

« La philosophie, c’est l’argumentation que l’on utilise pour défendre son idée »

Mais toutes les questions ont-elles forcément une réponse ? Car dans la réflexion philosophique, il semble justement qu’il n’existe pas de juste ni de faux…
Et c’est cela qui est intéressant. Il s’agit d’argumenter sa propre vision en philosophie. C’est cela qui différencie le raisonnement de l’opinion. On émet une idée et on la défend. La philosophie, c’est l’argumentation que l’on utilise pour défendre son idée. Et c’est ainsi que l’on peut évoluer dans sa pensée et dans ses opinions personnelles. Comparer toutes les interprétations possibles, là est la richesse du monde.

Derrière ces ateliers de philosophie, il y a un véritable engagement politique de votre part, celui de transformer la société…
Totalement ! Après l’écriture (Frédéric Lenoir est l’auteur d’une cinquantaine d’ouvrages traduits dans le monde entier), j’ai eu envie de m’engager davantage dans la société. Je considère que l’éducation est la clé de tout. Et si les enfants parviennent à développer leur esprit critique, ils deviendront plus tard des adultes responsables, capables de gérer leurs émotions et gagneront en discernement.

Vos ateliers de philosophie débutent toujours par la méditation, on le voit dans le film. C’est un passage obligé ?
Absolument, car la méditation aide les enfants à être attentifs. Elle les recentre sur leur corps. L’attention et le calme sont nécessaires à la réflexion philosophique.

On imagine qu’il est difficile de retenir l’attention d’aussi jeunes enfants, qui plus est lorsqu’ils doivent s’exprimer devant une caméra…
Eh bien, détrompez-vous ! Tous les réalisateurs vous le diront, c’est plus facile de faire oublier la caméra aux enfants qu’aux adultes. C’est en tous cas beaucoup plus facile qu’on ne le croît, car les enfants sont d’un naturel…

« Ces rencontres avec les enfants me redonnent confiance en l’humanité« 

Est-ce que les enfants que vous rencontrez au fil des ateliers continuent de vous apprendre des choses ?
Oui, tout à fait. Rencontrer des enfants dans leur salle de classe me fait toujours réfléchir. Ils posent d’excellentes questions auxquelles je n’aurais jamais pensé moi-même. D’ailleurs, dans le film, une élève parle du maquillage comme étant une grande question philosophique. Ses camarades en rigolent, mais réalité, elle a tout à fait raison. « Pourquoi est-ce que l’on se maquille ? » Je dois dire que j’ai été déstabilisé sur le moment, car j’étais passé à côté. Mais il s’agit d’une vraie question philosophique. De manière générale, je dirais que ce genre de projet me redonne confiance en l’humanité. Leur joie et leur enthousiasme sont si communicatifs.

Parce qu’il vous est arrivé de perdre confiance en l’humanité…?
Oh oui… Quand je regarde le monde des adultes… On sait que le monde va mal et qu’il y a des injustices, donc forcément, c’est décourageant. Mais les enfants, eux, ont un vrai désir de changer ce monde, et c’est pour cela qu’il est important de cultiver ce désir chez eux.

Vous êtes actuellement en plein tournage. S’agit-il d’un film qui s’assimile à celui du « Cercle des Petits Philosophes » ?
Pas du tout, c’est un projet tout autre. Il s’agit d’une série documentaire pour la chaîne ARTE, qui s’appellera « Les Chemin du Sacré ». C’est un projet pour lequel je pars à la rencontre du questionnement spirituel à travers le monde. Il me reste encore un an de tournage et treize pays à parcourir. Je m’envole pour le Pérou dans quelques jours !

Le cercle des petits philosophes
FR – 2019 – 90min
Documentaire
Réalisateur: Cécile Denjean
Avec Frédéric Lenoir
Louise Productions
09.10.2019 au cinéma

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