Il était une fois, le « Karloff » … 25 ans après sa création, la petite boutique a toujours contenu de très belles horreurs et des spécialités hors du commun ravissant tout le monde. Du dernier « Disney », aux réalisations Bollywood ou même, les « Sharknado », on avait l’impression que le patron des lieux, Michael Frei, pouvait tout trouver.
Mais toute bonne chose a une fin et le 14 mars prochain, « Le Karloff » fermera définitivement. Au travers de notre interview, son propriétaire Michael Frei nous explique son parcours et les raisons de la cessation.
Bonjour et merci de nous recevoir pour cette triste émission. En quelques mots, qu’est-ce qui vous attriste le plus aujourd’hui ? Il y a beaucoup, beaucoup de choses. Le plus triste, c’est effectivement de perdre un lieu dans lequel j’ai vécu pendant 25 ans. Et puis, c’est un peu angoissant de perdre le contact avec la clientèle qu’on a eu. Donc, ça fait quelque chose.
Vous n’étiez pas du tout lié au cinéma avant le « Karloff ». Du coup, quelle a été votre Bible pour en apprendre autant ? C’est une histoire assez marrante. En fait quand j’ai commencé, je ne connaissais que 4 films. Un des premiers trucs que j’ai fait quand j’ai commencé à bosser dans un vidéoclub, c’était d’en regarder 3 par soir tout en lisant des dictionnaires de cinéma. J’essayais de comprendre qui était Hitchcock et autres. C’était toute une période. Je dirais de trois années où j’ai juste lu beaucoup de choses et regardé beaucoup de films.
Quelle est la commande la plus folle qu’on vous ait demandé ? Je pense que c’est impossible à dire… C’est probablement toujours celles qui viennent de très loin. Par exemple, je me souviens qu’on m’avait demandé de trouver un documentaire qui avait été édité qu’en Afrique du Sud. Ou des films brésiliens introuvables même là-bas, et qu’on essaie de chercher. Donc, il y avait toujours ce genre de commandes où la première question, c’est : « Mais qu’est-ce que c’est ? ». Puis, on regarde et des fois, c’était assez funky de trouver des choses absolument pas éditées en Europe.
Il vous arrive fréquemment de commander des coffrets et autres trésors introuvables à la base. Mais quel est votre secret pour le faire ? Je pense qu’il n’y a pas de masses de secrets en fait… Il faut connaître les différents sites sur lesquels s’est proposé, avoir un certain nombre de contacts, de gens avec qui on a travaillé ou correspondu au fil du temps. À l’époque, c’était tout sur catalogue, pas vraiment du papier. Donc, on écrivait des lettres à tel ou tel fournisseur. On appelait même aux Etats-Unis… Aujourd’hui, évidemment avec Internet, c’est beaucoup plus facile de savoir si, au moins théoriquement, un « DVD » ou un « Blu-Ray » existe.
A quel point cela a-t-il été compliqué pour vous de maintenir « Le Karloff » ? J’ai su, il y a déjà 3-4 ans, en arrière… que sur le long terme que ça basculait. Je pense qu’à partir du moment où le streaming arrive aux États-Unis, on se rend compte qu’à terme, ça va être probablement le point de bascule et c’est exactement ce qui s’est passé. Donc en fait, chaque année, on regardait avec la comptabilité si c’était OK, et il y a beaucoup de moments où on se dit, cette année, c’était encore OK, donc on va continuer. Mais à terme, effectivement, c’est un peu fatiguant parce qu’on sait que ce n’est pas juste une baisse temporaire. Ce n’est pas comme si on avait eu une mauvaise récolte de légumes. En fait, on sait qu’il y a un changement vraiment structurel qui se fait et qui est maintenant irréversible.
Ce ne sont pas les plateformes comme « Netflix » qui ont coulé votre échoppe, mais le streaming. Que pensez-vous de ces 2 moyens de visionnage ? Je n’ai vraiment aucune critique à faire par rapport à ça. A partir du moment où la nouvelle technologie existe, qu’elle est utilisée et aimée par les clients, il n’y a aucune raison de critiquer quoi que ce soit. Ce qu’on peut dire, c’est que probablement, on va avoir 1 ou 2 problèmes par rapport à la largeur du catalogue. Si on prend une boîte de streaming comme une boîte… un provider comme « Netflix », par exemple, ils ont un certain nombre de films et un certain nombre de séries. Mais ils n’ont pas plus que ça non plus et à partir du moment où vous n’êtes pas dans cette frange de catalogue, en fait, vous, vous trouvez à peu près ce que vous voulez. Donc, par exemple, voir un film de Fellini ou d’Hitchcock en streaming, en streaming, c’est aujourd’hui probablement impossible. Et il faut avouer que 95% des clients sont pas du tout intéressés par ça. Il suffit par contre que vous soyez un peu tenté par des films d’auteur, par des films plus anciens, des films cultes, pour que ce soit pas du tout facile et là, on s’en rend compte assez fortement. Donc, je dirais que s’il y a une critique, c’est probablement qu’il y a un certain nombre de films qui vont partir du radar en fait, pendant un certain nombre d’années, par manque d’intérêt de ces provider.
De nos jours, comment peut-on facilement accéder à de vieux films ? Je pense que le « DVD » ou le « Blu-Ray » resteront en tout cas pour quelques années encore, le truc qu’on voit quand même. Je pense que de plus en plus aussi les éditeurs vont se diriger vers ces produits de niche parce que c’est là qu’on a des clients qui sont d’accord de payer et qui aimeraient avoir des belles éditions. Donc, je dirais que si on veut un film des années 50 remastérisé avec des bonus et un petit livret, ça reste vraiment une excellente solution. Mais, je pense que l’industrie va aussi réagir. J’imagine qu’une fois, un label comme « Paramount », va décider de mettre tout son catalogue online pour des sommes modiques oùon téléchargerait simplement leurs films. Si j’étais eux, je l’aurais déjà fait.
Si vous deviez choisir absolument 3 films, lesquels seraient-ils ? C’est virtuellement impossible. Mais je suis obligé de citer des films qui m’ont fait aimer le cinéma et qui ont créé le magasin. Je pense qu’il faudrait que je dise « Frankenstein » de James Whale avec Boris Karloff, parce que c’est le nom du magasin et c’est vraiment un des films qui m’a marqué. Je dirais « Rashōmon » de Kurosawa, qui est aussi un film que j’ai vu quand j’étais gosse et m’a complètement passionné. Et puis, je ne sais pas… un Tarantino… « Jackie Brown » … allez !
Pour terminer, que va-t-il se passer pour vous dans les mois et années à suivre ? Alors, il y a 2 facteurs principaux. Déjà, on va solder encore pas mal de choses jusqu’au 14 mars. Ensuite, l’idée, c’est de garder une partie de ce stock pour le projet que j’ai ultérieurement avec la Cinémathèque suisse, qui est en rapport avec la rénovation du Capitole. Quand il sera rénové l’idée, c’est qu’il y a un magasin où on trouverait une tonne de films et de produits divers liés au cinéma. Normalement, je serais censé m’occuper de ça. Donc, une partie de ce stock va revenir. Et puis l’autre aspect, c’est que je vais rester parfaitement ouvert et atteignable, pour fournir des films dont les gens ont besoin, que les gens cherchent et ne trouveraient pas par des canaux, plus commerciaux.