Cette série et son humour désopilant gagnent une nouvelle dimension lorsqu’on sait que les acteurs sont tous des amateurs.
Quoi ma gueule?
Nord de la France: d’étranges crimes sont commis dans les environs d’un petit village côtier. Des cadavres de vaches attirent l’attention. D’autant plus qu’on retrouve des corps humains découpés dans leur charogne. Voilà une idée de départ qui pourrait rivaliser en sordidité avec les séries policières les plus glauques du moment. Mais il suffit de voir débouler le commandant Van der Weyden et son adjoint, le lieutenant Carpentier, pour comprendre que nous sommes ici dans un tout autre registre. Démarches de pantins désarticulés, visages bourrés de tics; la simple vision de ces deux hurluberlus provoque l’hilarité. Van der Weyden (imaginez un croisement entre l’inspecteur Derrick et Colombo) roule les yeux, amplifie chacune de ses expressions pendant que Carpentier tente de philosopher ou de maîtriser son véhicule (sa conduite sera à l’origine d’un nombre incalculable de situations comiques). Bruno Dumont prend un malin plaisir à explorer ces faciès distordus, à filmer en très gros plans ces regards hagards et à s’attarder sur ces expressions outrancières.
«Au cœur du mal»
Ce comique de geste est encore renforcé par des dialogues savoureux qui jouent sur les répétitions. Dépassé par les événements, Van der Weyden s’exclame inlassablement «c’est quoi c’bordel?!» et, à chaque découverte sordide, il avertit son adjoint qu’ils sont «au cœur du mal» ou que «l’enfer, c’est ici Carpentier!». Autant de figures rhétoriques qui ne font que souligner le fossé qui sépare ces deux flics de cambrousse incompétents de la réalité sinistre à laquelle ils sont confrontés et qu’ils ne parviennent pas à comprendre. Impuissant, le commandant se contente alors de répéter «Gendarmerie nationale!… Faut être sérieux!» avant de tirer en l’air avec son révolver. La première apparition des deux compères en dit déjà long: alors qu’un hélicoptère fait du vol stationnaire au-dessus de leur tête, ils peinent à tenir debout et doivent fournir un effort qui semble titanesque pour adhérer à la surface de la terre
P’tit Quinquin
Alors que Van der Weyden et Carpentier tentent de résoudre ces affaires sordides, un groupe de gamins conduit par celui qu’on surnomme «P’tit Quinquin» ne cesse de leur tourner autour. On pourrait s’attendre à ce que le salut vienne de la jeunesse – potentiellement innocente – et pourtant, celle-ci s’avère aussi à moitié déglinguée. Loin d’être plus étanches que les adultes, les enfants vont accumuler les crasses (qui vont du gentil pétard aux violentes agressions racistes) et donner du fil à retordre aux enquêteurs. Les adolescents ne sont pas en reste, à l’image de la grande sœur de la complice du P’tit Quinquin qui rêve de passer à la Star Academy mais qui chante comme une casserole et qui ne semble connaître qu’une seule chanson qu’elle répète ad aeternam ou plutôt, ad nauseam.
Des acteurs amateurs
Cette série et son humour désopilant gagnent une nouvelle dimension lorsqu’on sait que les acteurs sont tous des amateurs. Par exemple, dans la vie, Bernard Pruvost (qui tient le rôle du commandant Van der Weyden) est un jardinier au chômage. C’est alors qu’on se rend compte que les expressions dont on se moquait si généreusement sont en vérité des tics dont souffre véritablement l’acteur. Stressé par la caméra et le conditions de tournage auxquelles il n’est pas habitué, il ne peut s’empêcher d’amplifier chacune de ses mimiques. Bien sûr, le comique à la limite du burlesque qui en résulte n’a rien de raffiné mais il ne s’avère jamais moqueur ni voyeur et ce jusque dans les scènes tournées avec un handicapé mental.
Le pire par le rire
Pour autant que cet univers décalé soit à votre goût (on pense parfois à l’humour «grolandais»), les quatre épisodes du «P’tit Quinquin» risquent bien de vous procurer de belles tranches de rigolades. Les gags fusent, viennent de partout, surgissent sans prévenir à l’image de la vaisselle lancée sur la table par un couple de vieillards. Parmi les moments les plus fous (comprenez: ceux pendant lesquels on rit au point d’en avoir des crampes), on retiendra la scène de l’enterrement d’une victime qui tourne à la farce et que Bruno Dumont étire sur de nombreuses et délirantes minutes.
Au final, l’utilisation du rire de Bruno Dumont a quelque chose de salvateur. En nous plongeant au cœur de la France profonde, le réalisateur fouille à nouveau l’humanité dans ce qu’elle peut avoir de plus sombre et de plus idiot. Mais cette fois, le rire ajoute une franchise (car avec le rire, on ose tout) et une émotion particulière au tableau. Une émotion qui rend ces personnages profondément attachants.
P’tit Quinquin
De Bruno Dumont
Avec Bernard Pruvost, Philippe Jore, Alane Delhaye, Lucy Caron, Corentin Carpentier…
Blaq Out