Le récent thriller psychologique de Shujun Wei, métamorphose le spectateur en inspecteur de la police criminelle chinoise, le temps d’une projection.
« On ne comprend pas le destin et c’est pourquoi je me suis fait destin ». Cette citation d’Albert Camus dans son œuvre Caligula, lance merveilleusement bien la nouvelle création du réalisateur chinois Shujun Wei, nominée au Festival de Cannes.
Le scénario de cette œuvre cinématographique de qualité est captivant tout en restant simple. En 1995, dans une région reculée du Sud de la Chine a été commis un crime sordide. Dépêché sur les lieux, un inspecteur trentenaire de la police locale, Ma Zhe, fait face à une énigme de taille. Une vieille femme sans histoires, qui n’avait comme hobby que de nourrir les canards, a été sauvagement agressée à coups de couteau alors qu’elle se promenait au bord d’une rivière. Les indices ne manquent pas: on a retrouvé sur place un sac à main de jeune femme contenant du maquillage, une cassette audio et quelques broutilles. On apprend également que quelques personnes sont passées par là, peu de temps après le crime. La pluie diluvienne sévissant sur la région ne facilite pas le travail des enquêteurs qui avancent difficilement dans leur recherches, mais tel l’inspecteur Columbo, c’est là que nous intervenons…
Aux côtés de Ma Zhe, héros de cette histoire, le spectateur cumule les preuves et cherche à démasquer, au plus vite, le responsable. Comme dans le jeu « Cluedo », on suit les interrogatoires des présumés coupables, scrute méticuleusement les lieux puis on se fait petit à petit sa propre opinion sur les motivations de l’assassin !
On dit que les meilleurs films sont ceux qui poussent à la réflexion. Cette œuvre intrigante du réalisateur asiatique est un grand film, car il contient non seulement une matière mystérieuse qui tient le spectateur en haleine dès les premières minutes de projection, mais dispose également de tous les ingrédients indispensables d’un polar de qualité à savoir : Peu de sang et de violence, de nombreux suspects, un décor assez sombre (dont une salle de cinéma désaffectée) et des acteurs et actrices qui tiennent leur rôle avec brio.
Même s’il est né en 1991, l’auteur a su magnifiquement retranscrire l’ambiance des années nonante dans un pays communiste. Après un récit de jeunesse Courir au Gré du Vent et une comédie d’humour noir sur le tournage d’un film Ripples of Life, le cinéaste Shujun Wei réalise avec Only the River Flows, un film noir de facture classique.
Shujun Wei a pour habitude de décider du casting assez rapidement, à partir de ses impressions et intuitions. Ensuite, il essaye de donner du temps aux acteurs, en les faisant venir très tôt sur les lieux. Zhu Yilong, qui joue Ma Zhe, est arrivé quarante jours avant le début du tournage. Il a été demandé aux policiers locaux qu’il puisse les accompagner et qu’il assiste à des interrogatoires. L’acteur vêtu comme dans les années 90, s’est aussi entraîné à tirer au pistolet.
Cette adaptation d’une nouvelle avant-gardiste de l’écrivain Yu Hua est une forme de subversion du roman policier traditionnel, elle comporte non seulement le récit d’une série de meurtres, mais également un thème puissant : le poids excessif de l’esprit collectif qui pèse sur l’individu et la solitude de celui-ci face à un monde absurde. La résolution de l’énigme n’est pas l’unique enjeu, l’œuvre est plus secrète, plus inattendue et obscure que les thrillers classiques. L’incertitude libère un certain espace au film et lui permet de proposer une seconde lecture. Cette création est alors perçue comme une fable, une réflexion énigmatique sur le destin et un tableau des relations sociales à travers le portrait de plusieurs personnages.
Only the River Flows a été présenté en sélection Un Certain Regard au Festival de Cannes 2023. Shujun Wei est habitué de la Croisette puisque Courir au Gré du Vent a été montré en Sélection Officielle et Ripples of Life à la Quinzaine des Réalisateurs.
Only the River Flows
Chine – 2023
Durée: 1h23 min
Policier, Drame, Suspense
Réalisateur: Wei Shujun
Avec: Zhu Yilong, Meihuizi Zeng, Hou Tianlai, Tong Lin Kai
Sister
10.07.2024 au cinéma