Chef de file d’un certain cinéma d’auteur transnational et éminente figure de pédanterie esthétique, Yorgos Lanthimos semble avoir enfin trouvé le chemin qui convient à ses obsessions cinématographiques : celui de la comédie outrancière.
Le cinéma de Lanthimos est, depuis toujours, un cinéma de postulat qui avance masqué et, sous couvert de concepts marquants, s’adonne à une débauche stérile d’effets visuels et de faux mystères. The Favourite, en ce sens, s’inscrit dans la droite lignée des précédentes réalisations du cinéaste grec puisqu’il raconte la guerre que se livre deux femmes à la cour d’Anne d’Angleterre pour être la favorite de la reine. À partir de là, rien n’est raconté, le film s’évertuant uniquement à tisser une toile de relations hypocrites et intéressées tout en déployant, avec sadisme, un arsenal de coups bas et de trahisons. Malgré cela, le film est sans conteste le meilleur de son auteur en ce qu’il renouvelle deux éléments cruciaux qui faisait la morosité de Alps et Mise à mort du cerf sacré, notamment.
D’une part, Lanthimos délaisse son insupportable tendance à la mystification des corps. Ici, les imperfections ne disparaissent pas sous les apprêts et l’organicité ne satisfait plus uniquement au voyeurisme morbide du spectateur, mais parasite le quotidien du château. Cette renaissance de la foi en le corps humain et ses signes, même dans ses failles et ses dégradations, semble être un timide et surprenant appel du pied à la tendresse. Car entre le silence du corps qui ne sait plus faire tomber les dents et empêche de s’émanciper dans Canine, Le refus de l’absence physique des personnes décédées dans Alps, l’obsession pour la réincarnation en corps animal dans The Lobster et la défaite flagrante de la médecine sur la menace psychique de Mise à mort du cerf sacré, nous pensions Lanthimos incapable de croire à l’incarnation – par opposition à la représentation – d’un personnage.
D’autre part, The Favourite a l’incomparable avantage de céder à l’autodérision et de ne pas se prendre trop au sérieux – et c’est peu dire que ce n’était pas une évidence, même pour une tragi-comédie autoproclamée. Lanthimos semble, d’un même geste, tendre à l’extrême la préciosité de ce monde aristocratique et de son cinéma pour mieux la tordre, la déformer, la démasquer. Les lentilles fisheye, les ralentis insensés ou l’abus de la steadicam sont tellement ostensibles qu’ils n’ont plus valeur de marottes techniques, mais d’exposition des artificialités d’un petit monde de château. Ces courbettes cinématographiques font écho au ridicule de la vie à la cour et contribuent, avec l’outrance des situations, à un ample mouvement de comédie jouissive inédit dans l’œuvre du cinéaste.
Nous reprocherons toutefois au film ses appétences perverses pour la souffrance et le gémissement, son obstination à démontrer le vice de l’âme humaine et quelques relents d’autosatisfaction, mais c’est un moindre coût quand on imagine le potentiel de la veine farcesque de ce cinéaste talentueux, mais que nous imaginions cloîtré à jamais dans le domaine du sentencieux.
La Favorite
IRL, ROY, USA – 2018
Durée: 2h00 min
Drame, Historique
Réalisateur: Yorgos Lanthimos
Avec: Emma Stone, Rachel Weisz, Nicholas Hoult, Olivia Colman, Joe Alwyn, Mark Gatiss, Jenny Rainsford, Basil Eidenbenz
Twentieth Century Fox
06.02.2019 au cinéma