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samedi, mai 17, 2025
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THE LAST DUEL ; un Ridley Scott intrigant

Loup-Gabriel Alloati
Loup-Gabriel Alloatihttps://www.senscritique.com/L-G-Alloati
Jeune passionné (entre autres) de cinéma, j'en admire et apprécie le potentiel créatif exceptionnel.

Ridley Scott signe son grand retour et livre avec The Last Duel une œuvre surprenante et virtuose, qui se démarque sur bien des aspects des films qui ont composé sa filmographie jusqu’alors. Remarquable !


Ridley Scott. Un grand nom.
Quarante-quatre ans après son premier film, « Les duellistes », et quatre ans après le dernier, « Tout l’argent du monde » (fresque baroque somptueuse à laquelle sera peut-être consacré un jour un article), le réalisateur mythique, que j’affectionne beaucoup, aujourd’hui âgé de 83 ans n’a pas (trop) perdu de sa vitalité.

Ce biopic reprend les événements survenus en l’an 1386, racontant l’histoire du dernier duel judiciaire français, qui opposa le chevalier Jean de Carrouges à Jacques le Gris, ce dernier étant accusé d’avoir violé Marguerite de Thibouville, épouse de Jean de Carrouges. Je laisserai aux historiens et autres spécialistes le soin de décrypter la fidélité du traitement historique que propose le film, un détail qui, à titre personnel, ne m’apparaît pas comme essentiel à l’appréciation de l’œuvre, celle-ci parvenant avec brio à trouver son identité artistique bien au-delà des événements dont elle s’inspire.

On se doute bien que, le film traitant d’un viol, qui plus est au Moyen-âge, le thème du féminisme et la condition de la femme, sujets ô combien actuels (ce que le film n’hésite pas à nous rappeler par plusieurs clins-d ’œil, parfois subtils… et parfois beaucoup moins), prennent ici une importance capitale. Bien que ce ne soit de loin pas la première fois que le réalisateur aborde le sujet, qui a toujours été sous-jacent dans sa filmographie, et, à mon avis, traité de façon plus subtile et intelligente que beaucoup d’autres auteurs se vantant de l’aborder (Lucilla dans « Gladiator », Ellen Ripley dans « Alien », Gail Harris dans « Tout l’argent du monde », évidemment les protagonistes de Thelma et Louise, qui donnent leur nom au film, et j’en passe), c’est cette fois-ci le thème principal du film.

En usant d’un habile découpage, qui sépare le métrage en trois parties distinctes, chacune racontant l’histoire à travers le regard d’un des trois personnages principaux, le film dresse le portrait de Marguerite de Carouges, prise en étau dans le conflit qui donne son nom au film et oppose son mari à celui qui l’a violée, conflit qui se réglera par un duel judiciaire. Dans les deux premières parties, la vérité selon Jean de Carrouges et selon Jacques le Gris se construit autour d’une série d’illusions et de mensonges, qui se verront détruits dans la troisième partie, présentant la vérité « vraie », soit les faits tels que Marguerite de Carrouges les a subis. On retrouve dans cette idée de découpage une considération intéressante sur la perception des points de vues, aisément associable à la question du viol.

La critique religieuse, thème cher à Ridley Scott, qu’il aborda il y presque 30 ans déjà de façon virulente dans son 1492 (le clergé étant alors représenté comme immergé dans une lumière rouge, un feu infernal), avant d’en dresser un portrait peu racoleur dans « Kingdom of Heaven » pour finalement en faire un des axes principaux de « Prometheus » et de sa suite, « Alien : Covenant », signe elle aussi son retour dans ce film. Comme on le sait, la notion du viol n’est (hélas) pas étrangère au milieu ecclésiastique, le problème ayant beaucoup fait parler de lui ces dernières années, il n’est ainsi pas anodin que l’œuvre fasse référence à l’impunité du clergé sur le sujet.

Un éventuel manque de subtilité dans le traitement du sujet signalé un peu plus haut n’enlèvera rien pour autant à son importance. En effet, le cinéma est un moyen de promotion comme un autre, capable de proposer et diffuser des valeurs, en bien comme en mal, et il est agréable de constater que des films comme celui-ci encouragent à des valeurs féministes et égalitaires, sans tomber pour autant dans la niaiserie et le pur manichéisme qui caractérisent bien des œuvres se disant féministes. La répartition de l’écriture des personnages du script par sexe (les personnages masculins écrits par des hommes, et les personnages féminins écrits par des femmes) n’y est probablement pas pour rien, et cette méthode originale et inédite que nous proposent Matt Damon, Ben Affleck et Nicole Holofcener, scénaristes du film, a devant elle un avenir prometteur.

Non pas par manque de conviction personnelle, je ne ferai cependant pas de la question féministe l’axe principal de cet article, qui, sans aucun doute, se verra très étudiée par les autres journalistes et critiques/analystes qui s’intéresseront au film, et probablement plus en détail que je ne le saurai le faire (j’accorde à titre personnel plus d’importance à la mise en scène d’un film, sa créativité et expressivité artistique et son caractère qu’à son scénario), mais soulignerai simplement que sa façon intelligente de le traiter s’impose comme une bonne raison d’aller voir l’œuvre, en plus de ses nombreuses qualités techniques et artistiques, qui feront l’objet de la suite de cet article.

Là aurait pu craindre à l’annonce du projet une pâle recopie de son premier film, « Les Duellistes » (une fresque baroque, visuellement somptueuse, qui opposait Keith Carradine à Harvey Keitel), à laquelle on aurait ajouté l’aspect médiéval qu’il a déjà travaillé (sublimé ?) avec « Kingdom of Heaven », 13 ans auparavant, Ridley Scott parvient finalement à se démarquer de ses deux œuvres, préférant un traitement féministe et psychologique au style et dramatique et théâtral du premier, et se concentrera sur l’aspect intimiste et psychologique plutôt qu’au grandiose médiéval et guerrier du second. Ce n’est pas pour autant que l’on oubliera le chevaleresque du Moyen-âge, les scènes de combat proposant leur lot d’hémoglobine et leur intensité visuelle, ni l’intensité scénaristique de la rivalité qui oppose les deux personnages.

Esthétiquement, cette septième collaboration entre Ridley et son chef opérateur attitré, le grand Darius Wolski, porte à nouveau ses fruits, et nous fait attendre impatiemment la huitième, qui nous devrait nous être dévoilée en novembre (déjà) avec la sortie de « House of Gucci », toujours réalisé par l’infatigable octogénaire.

Bien des éclairages rappellent ceux d’Alien Covenant (ces nombreuses scènes de dialogue intimistes baignant dans une douce atmosphère chaude et ambrée, à la douce lueur d’un feu de bois, ne sont pas sans évoquer la fameuse discussion qu’avait David avec son homonyme Walter). On retrouve ici encore un abondant travail sur les ombres et les teintes, avec de nombreux jeux de lumière que l’on se plaira à admirer.

Cela va de soi, les plans larges et grandioses sont au rendez-vous, et l’œuvre sait parfaitement rendre hommage aux décors chevaleresques qu’elle occupe, en en soulignant l’aspect monumental. Les châteaux-forts sont nombreux, et très impressionnants, et un sens très précis du cadrage sait les mettre en valeur tout en les incluant dans l’action qu’ils abritent. Les paysages sont immersifs, merci à un important travail des textures, qu’on sentirait presque (les murs de pierre du château, les étoffes, les cliquetis des armures, le ruissellement de l’eau, et j’en passe, tout cela apporte au film une identité visuelle et sensorielle remarquable)

Les scènes de bataille, bien que parfois brouillonnes dans les premières minutes du film (ce qui leur apporte cependant une certaine intensité dynamique), ne manquent pas d’hémoglobine et d’éclats métalliques, tout comme le duel final, très chorégraphié, ce qui permet de contraster avec l’ambiance retenue et emmurée de beaucoup de scènes de dialogues qui, bien que nombreuses, n’amènent pas pour autant à un sentiment d’ennui. Comme promis par Ridley Scott, les dynamiques sont impeccables, allant des chutes aux parades, mais aussi, et surtout, les dynamiques verbales, avec une grande utilisation des silences.

La maîtrise virtuose des éléments scénaristiques parvient à maintenir une intensité psychologique lorsque l’action n’est pas au rendez-vous, avec une grande diversité des thèmes et une progression constante de l’intrigue, se construisant par divergences et oppositions, entre les personnages comme entre les chapitres du film.

Les costumes sont aussi nombreux que magnifiques, et vont de pair avec des maquillages remarquables. La cicatrice qui hante la joue de Matt Damon en rend le visage plus caractéristique, un détail que viennent compléter crasse médiévale et sueur pour un résultat intense et réaliste.

Un nombre surprenant de plans rapprochés fait oublier par moments le grandiose titanesque qui caractérisait jusqu’alors l’œil du réalisateur, mais permet en compensation de mettre pleinement en valeur le jeu remarquable de Matt Damon et Adam Driver (deux acteurs qui m’auront passablement ennuyé par le passé, mais qui, sous la direction experte de Ridley Scott, arrivent à une performance intense et mémorable, et parviennent à transmettre la violente altérité qui oppose leurs personnages respectifs). Harriet Walter, bien que discrète, livre ici une performance admirable, que vient bousculer celle de Jodie Comer, dont l’important travail sur les regards est à souligner.

Pour sa part, Harry Gregson-Williams retrouve Ridley Scott, après avoir collaboré avec lui à deux reprises sur « Kingdom of Heaven » et « The Martian ». Sans parvenir à proposer des thèmes aussi mémorables que ceux de « Kingdom of Heaven », qui, ajoutés à une remarquable sélection de musiques préexistantes, parvenaient à créer une immersion et authenticité musicale d’une qualité rare, le compositeur propose cette fois-ci une partition efficace, sachant accompagner l’histoire comme il se doit, mais sans réussir à la transcender (peut-être est-ce dû à l’esprit moins grandiose et baroque du film, qui impose une certaine restriction). On notera toutefois qu’il rend un hommage magnifique au potentiel expressif de l’orgue (que l’on associe trop souvent à l’esprit religieux pour en oublier les capacités purement musicales, pourtant phénoménales), et tire de l’instrument des passages somptueux, bien qu’extrêmement courts et toujours très discrets.

L’œuvre surprend également par son utilisation du son (un dialogue intimiste rythmé poétiquement par les crépitements du bois dans la cheminée me reste notamment en mémoire). Ajouté au grand travail sur les respirations et les voix, qui trouvent leur apogée dans la terrifiante scène du viol, extrêmement bien jouée et filmée, cette maîtrise technique suffit à marquer les esprits.

Que dire de plus ?!
Virtuose, intimiste, renfermée, psychologique, intense et magnifique, cette œuvre aussi riche que contrastée surprend aux premiers abords, et regorge d’inventions et de qualités, ce qui nous incite à souhaiter encore une longue carrière à cet auteur sacré qu’est Ridley Scott, qui, bravant les conditions de tournage rendues difficiles par la pandémie que l’on connaît tous, parvient à nous offrir du spectacle d’auteur comme lui-seul a le secret. Rendez-vous en salles !

Le dernier Duel
US, UK  – 2021 / Drame, Historique
De Ridley Scott
Avec Jodie Comer, Matt Damon, Ben Affleck, Adam Driver, Harriet Walter, Zeljko Ivanek, Alex Lawther, Nathaniel Parker, Clive Russell, Michael McElhatton 
Disney
13.10.2021 au cinéma

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1 COMMENTAIRE

  1. L’historienne que je suis ne peut pas laisser passer certaines inexactitudes qui, sur l’ensemble du scénario du film, donnent une fausse idée de la personne qu’était Jean de Carrouges : un preux et vaillant chevalier et non le rustre sanguinaire qu’on fait jouer par Matt Damon. Il était courtois et amoureux de sa femme pour l’honneur de laquelle il mit en jeu sa vie. N’est-ce pas la plus grande preuve d’amour, sachant la place de la femme au moyen-âge. Car c’est lui qui, découvrant ses hématomes, la poussa à se confier puis sans jamais douter de sa loyauté, mènera l’affaire en procès, envers et contre tous. En premier lieu, contre l’avis de sa mère qui, au conseil de famille, signalant qu’il n’y aurait pratiquement pas de dot à rendre, lui demanda de la répudier pour ne pas salir le nom des Carrouges et sauver son honneur de chevalier. Première mise au point : C’est au château fort de Nogent-le-Rotrou où se trouvait la cour du comte Charles (III) d’Alençon, l’aîné, et de son petit frère Robert, (qui avait pratiquement l’âge de Jean) avec leur mère « Marie d’Espagne de La Cerda » et sa cour, que Jean de Carrouges et Jacques Le Gris firent leur apprentissage en tant que page puis écuyer. C’est seulement à la mort de Robert, comte du Perche, qui survînt en 1377 que Jean de Carrouges et Jacques Le Gris devinrent chambellan du frère cadet  » Pierre d’Alençon » (joué par Ben Affleck) qui lui, avait été élevé à la cour de France de Jean Le Bon, aux côtés de leur cousin le roi Charles V. Et c’est à partir de ce moment que les misères commencent pour Jean. Ensuite, la scène du « Sac de Limoges». Cette bataille de Limoges, à laquelle le réalisateur fait participer Jean de Carrouges (de surcroit, au commandement alors qu’il n’était encore qu’écuyer), a eu lieu en septembre 1370 alors qu’il était au service du comte Robert du Perche, qui, pour l’heure, servait aux côtés de Du Guesclin et du duc de Berry),le place en compagnie de Jacques Legris qui n’a pratiquement jamais mis les pieds sur un champ de bataille, leur préférant les tournois en champs clos. Ce saccage n’est nullement le fait de Jean de Carrouges, ni même des troupes du Roi de France. (Voir l’ouvrage d’Alfred Leroux). Mise au point concernant le viol selon le témoignage de Marguerite au procès : La mère du sieur Adam Louvel habitait dans le même hameau, à deux pas du manoir de la mère de Jean de Carrouges avec laquelle elle était amie. Si Marguerite ouvre à Adam, c’est parce qu’il lui dit venir rembourser une dette qu’il devait à Jean. En vérité, il laisse entrer Le Gris et lui apporte son aide tout au long de son acte odieux durant lequel elle se débattit violemment, allant jusqu’à mettre un coup dans le nez, de Le Gris qui s’esbaudit un instant. Elle tenta de tirer avantage de son étourdissement pour se réfugier dans la pièce attenante. Seulement Louvel la rattrapa et avant de la ligoter aux montants du lit. Après quoi, elle fut bâillonnée par Le Gris enjoignit à son acolyte de se retirer pour aller faire le guet. Concernant son amie Marie, c’était en fait, la demi-sœur de Marguerite, et elle n’a jamais témoigné contre elle, au procès. C’est une fantaisie du réalisateur pour mettre le doute sur l’intégrité de Marguerite. Concernant le complice : Adam Louvel était un ancien écuyer de Jean de Carrouges : au cours d’une expédition en Cotentin en 1376, il lui avait donné congé, sans solde, car il se livrait au commerce de femmes avec les troupes, et Jean était totalement opposé à ces pratiques indignes d’un aspirant chevalier. Lors du procès, il fut accusé de complicité de viol par les cousins de Marguerite : Guillaume de Thibouville et Thomin du Bois qui réclamèrent contre lui le même sort que Le Gris, en le défiant en duel judiciaire. La cour examina sa requête et décida que les deux affaires seraient examinées ensemble et que le premier duel vaudrait verdict pour les deux affaires et donc que leur vie comme celle de leur cousine, serait tributaire du résultat de ce duel. Suite au verdict du jugement de dieu par le duel, Adam Louvel fut donc pendu au gibet de Montfaucon avec Legris.
    Concernant le petit Robert, Marguerite avait déjà accouché lors de la dernière séance du procès à la mi-septembre, ce qui date la conception à la mi-décembre précédente. L’enfant n’était donc pas le fruit du viol (qui eu lieu le 18 janvier) surtout que c’était un beau bébé (contrairement à celui du roi Charles VI et d’Isabeau de Bavière, né le même jour et qui décéda le jour du massacre des saints innocents donc la vieille du duel). Jean et Marguerite eurent deux autres enfants : Jean et Thomas (tous trois furent de vaillants chevaliers, ayant donné leur vie pour bouter les anglais hors de France. Jean et Thomas sont cités, en 1411, à la tête des hommes d’armes en charge de la défense de la grande Abbaye de Ste Barbe en Auge, toute proche du manoir de Capomesnil ; Jean fit partie des 119 vaillants chevaliers qui assurèrent la défense du mont St Michel mais il décédera le 17 août 1424 lors de la cuisante bataille de Verneuil. Thomas périt lors de la défense du grand port d’Honfleur en 1417 (Le Havre n’existait pas encore). Robert, insoumis à la régence anglaise, avait très tôt organisé une troupe insurrectionnelle qui menait une guerre de partisans dans toute la Normandie. C’était une sorte de « Robin des Bois ». Du coup, le Roi d’Angleterre adressa  » aux vicomtes d’Argentan et d’Exmes, Alençon et Domfront  » des lettres portant interdiction formelle à toutes gens  » sous peine de la hart » d’aller, ou de se rendre « en compagnie et assemblée du Sire Robert de Carrouges, ne luy assistast ou favorisat à faire entreprise quelquonque ». Dans la Chronique de Perceval de Cagny, il est cité aux côtés de Jeanne La Pucelle, lors du sacre du roi Charles VII à Reims.

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