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lundi, mars 18, 2024
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Trumbull Land : interview de Grégory Wallet

Jonathan Tholoniat
Jonathan Tholoniat
« Désespoir, amour et liberté. L’amour. L’espoir. La recherche du temps perdu. » Comme Pierrot, j’aime la Littérature. Comme Godard, j’aime le cinéma. Après avoir étudié la Philosophie à l’université de Lyon III, je poursuis mes études en Master de Littérature et français moderne à Genève pour me diriger vers l’enseignement et le journalisme. L’écriture et le cinéma : un univers en perpétuel mouvement que je suis heureux de partager. Godard ne disait-il pas : « Avec le cinéma, on parle de tout, on arrive à tout ». De quoi assouvir mon inlassable curiosité.

Titulaire d’une thèse de doctorat en Sciences Cognitives, spécialisé dans les relations entre la cognition, les médias immersifs et les nouvelles technologies et maître de conférences en Etudes cinématographiques et audiovisuelles à l’Université de Rennes, Gregory Wallet signe un sublime documentaire sur Douglas Trumbull, maître incontesté des effets spéciaux ( 2001, Odyssée de l’espace, Blade Runner, Brainstorm ). Il retrace la carrière exceptionnelle de ce précurseur à travers des entretiens intimes, des images d’archives et des extraits de films.


Pouvez-vous présenter votre film ? Pourquoi, comment et où l’avez-vous réalisé ?
J’étais moi-même assez fan de Douglas Trumbull. J’ai eu la chance de le rencontrer grâce à une interview commandée par Philippe Rouyer ( journaliste à Positif ). Je connaissais déjà son travail à la fois comme maître des effets spéciaux, mais également comme réalisateur ; et, j’ai très vite eu envie de réaliser un documentaire sur lui. Tout s’est bien passé entre nous, notamment parce que je suis à la base scientifique – je travaille sur l’immersion. Nous avons donc eu de belles discussions. Ce qui l’a séduit, c’est que je ne parlais pas seulement de ses effets spéciaux, mais surtout de son obsession pour l’immersion du spectateur.

Je lui ai proposé un documentaire. Nous avons eu une longue correspondance. En même temps, j’ai soumis le projet en France avec une boite de production française qui s’appelle « Vivement Lundi ! ». Grâce à eux le projet a pu être développé.

En ce qui concerne le documentaire en lui-même, je ne voulais pas faire un énième making-off. Malgré tout, je voulais tout de même montrer l’arrière du décor, mais en mélangeant les différentes casquettes de Douglas, qui est réalisateur, inventeur et passionné par l’immersion. Ce qui m’intéressait, c’était sa volonté de révolutionner le cinéma. À 76 ans, il a toujours ce même désir.

Nous avons tourné dans son studio, chez lui au milieu du Berkshire dans le Massachusetts. C’était aussi une intention de départ. J’avais beaucoup aimé être proche de lui, qu’il me raconte sa vie et me montre ses archives. J’ai donc décidé de monter cela et de faire en sorte que le spectateur soit également proche de lui.

Qui est véritablement Douglas Trumbull ? Dans le documentaire, nous entendons Gaspard Noé dire qu’il est un « magicien » ou Ridley Scott affirmer qu’ « il anticipe toujours les révolutions ». En quoi a-t-il révolutionné le cinéma ?
Douglas Trumbull n’est pas seulement un superviseur d’effets visuels. C’est aussi un réalisateur, un producteur, un inventeur. Pour ces films, il a cette volonté de créer des effets spéciaux organiques, c’est-à-dire palpable, physique et donc ne pas avoir recours à la facilité en utilisant les images d’ordinateur. C’est un magicien, car il a perfectionné et inventé des techniques. Il a toujours un temps d’avance. C’est un révolutionnaire.

Je pense qu’il est également artisan. Dans les premières séquences du documentaire, on le voit avec son équipe en train de construire, manipuler et transformer des choses pour créer des effets.

2001, l’Odyssée de l’espace

En parlant de Douglas Trumbull, il est inévitable d’évoquer 2001. L’Odyssée de l’espace. Est-ce film qui a lancé sa carrière ?
Tout à fait. Il a commencé sa carrière dans une société qui s’appelait GraphiFilm. Il faisait des films plutôt institutionnels. Le but de cette entreprise était de réaliser des films pour la Nasa, afin de convaincre le Congrès américain d’envoyer des spationautes dans l’espace. Il faisait surtout des dessins et des éléments de décor pour ce type de films. Kubrick et Arthur C. Clark ont vu l’un de ses films, To the moon and Beyond, qui était présenté à l’exposition universelle de New-York en 1964. En voyant ce film, ils se sont dits que c’était possible de faire 2001, car il existait les techniciens capables de le faire. Douglas s’est lui-même proposé à Kubrick qui l’a embauché. C’est à partir de là qu’on a vraiment découvert son ingéniosité. Il a inventé beaucoup de technique, notamment celle du Slit-Scan pour la séquence « to the Jupiter and Beyond ». Avec cet effet, et sans 3D, on a l’impression que l’image sort de l’écran. Il est ainsi devenu célèbre à Hollywood.

Ils étaient quatre superviseurs des effets spéciaux et visuels, mais c’est lui qui s’est fait le plus remarquer, notamment avec la séquence Stargate. C’est une combinaison de techniques photographies et de jeux de lumière. C’est d’ailleurs une chose qui donne une extrême profondeur à l’image.

Il y a une chose que je n’ai pas compris dans l’un de ses propos. Il dit qu’il n’aime pas la « fantasy », mais quand on regarde 2001 ou même ses autres films, il y a toujours une trace de fantaisie.
Ce n’est pas faux. Quand il parle de « fantasy », il évoque sans doute l’univers global du film. C’est vrai que Star Wars ou Star Trek sont en plein dans la fantaisie, mais lui est plus adepte de la Hard Science Fiction. C’est une science fiction plus proche de ce qui pourrait être possible, mais, en même temps, il y a cette poésie dans 2001 ou Rencontre du troisième type. C’est d’ailleurs, je pense, ce qui fait la signature Trumbull : le mélange de procédés techniques révolutionnaires avec des images colorées qui créent un certain univers poétique.

Pour l’élaboration de la séquence Stargate, s’est-il inspiré des théories physiques de son temps ou a-t-il seulement suivi les désirs de Kubrick en voulant plonger le spectateur dans l’abstraction ?
C’était une époque où il y avait beaucoup de drogue. Ils n’en ont pas pris. C’était la période « psychédélique » avec le LSD, etc. Il ne le dit pas dans le documentaire, mais il m’a raconté qu’ils allaient voir des concerts avec beaucoup de lumières et des motifs psychédéliques. C’est plutôt cela qui les a inspirés.

Evoquons brièvement Brainstorm, film dans lequel il expérimente une nouvelle technique : le Showscan. Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit ?
Douglas voulait et veut révolutionner le cinéma. C’est un grand inventeur, et cette technique fait partie de ses inventions. Comme pour 2001, le procédé showscan utilisait une pellicule 70mm. C’est une pellicule plus large. L’image est donc plus large sur l’écran. Il y a également un temps de défilement plus rapide – 60 images par seconde -, ce qui permet d’avoir des mouvements plus fluide à l’écran. Son but est que l’image du cinéma se rapproche de la réalité. Pour lui, le spectateur doit avoir l’impression d’être devant une fenêtre plutôt qu’un écran de cinéma.

Après l’incident tragique qui est arrivé à Nathalie Wood durant le tournage de ce film, Douglas Trumbull décida de ne plus réaliser. Or, nous apprenons dans votre documentaire qu’il a récemment décidé de retourner derrière la caméra. Est-il en train de réaliser un film ?
Oui. C’est un film avec une résolution 4k, 120 images par seconde, mais cette fois-ci en digital. Il aime les effets spéciaux organiques, mais ne rejette pas complètement le digital. Il pense que pour la prise de vue, à l’heure actuelle, le digital dépasse largement la pellicule, même la pellicule 70 mm. Il a également inventé un nouveau dispositif de prise de vue et de projection qui s’appelle le Magi. Pour ce faire, il a mis au point un écran pour la 3D qui réfléchit davantage la lumière. Dans les cinémas actuels, c’est un problème. Les films qui sont tournés en 3D ont une image beaucoup plus sombre. Je ne vais pas rentrer dans les détails, mais c’est seulement pour montrer que c’est une sorte de savant fou pour le cinéma.

Est-il trop en avance sur son temps ?
C’est ce que je pense. Beaucoup de ses inventions ont été rejetées par l’industrie cinématographique, notamment hollywoodienne. Il le dit lui-même, ce n’est pas forcément bien d’être le premier. Il vaut certainement mieux arriver en deuxième pour développer réellement la chose et en récolter les bénéfices. Être le pionnier signifie d’être incompris, parfois rejeté.. Je pense que pour certaines choses il est vraiment en avance sur son temps.

Au début et à la fin du documentaire, il met et enlève un casque qui ressemble fortement à ceux que l’on trouve dans Brainstorm. Etait-ce un hommage ?
Tout à fait. C’était également une petite citation pour ceux qui connaissent le film. Cela fait partie de l’imagerie trumbullienne. Dans Brainstorm, le casque permet de visionner des souvenirs. Nous rentrons dans les souvenirs de Trumbull grâce à ce casque.

Quels sont vos projets ?
À la base, je suis enseignement-chercheur et suis rattaché à l’université de Rennes. C’est d’ailleurs pour cela que je connais bien l’immersion du spectateur et que cela a bien fonctionné avec Douglas. Mon travail est chercheur. Je m’intéresse beaucoup à la perception et la cognition des images en mouvement de manière globale. J’ai beaucoup travaillé sur la réalité virtuelle. Mais, depuis ce documentaire, je désire poursuivre mes recherches à travers un travail de création.

Pour finir, pouvez-nous dire quelques mots sur le Festival Lumière ?
C’est ma première fois au festival. Je suis ravi de pouvoir présenter ce film dans ce cadre prestigieux. C’est une belle mise en avant. Cela me permet de rencontrer des gens très intéressants et de découvrir d’autres beaux documentaires sur le cinéma. Je passe un très beau séjour à Lyon.

Trumbull Land / documentaire / 1 x 50’ / 2018
Un film écrit et réalisé par Grégory Wallet
produit par Jean-François Le Corre & Sabine Jaffrennou
Image : Guillaume Kozakiewiez
Son : Francisco Latorr & James Nolan
Montage image : Sandra Ach
Infographie et banc titre : Cédric Tromeur
Montage son : Kevin Feildel
Mixage : Christelle Louet

www.festival-lumiere.org

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