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mardi, mars 19, 2024
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Anne-Dauphine Julliand : « Plutôt qu’un hommage, j’ai réalisé un hymne à la vie »

Lauren von Beust
Lauren von Beust
Amoureux du film «American Gigolo», ses parents la prénomme en hommage à l'actrice américaine Lauren Hutton. Ainsi marquée dans le berceau, comment aurait-elle pu, en grandissant, rester indifférente au 7ème art ? S'enivrant des classiques comme des films d'auteur, cette inconditionnelle de Meryl Streep a prolongé sa culture en menant des études universitaires en théories et histoire du cinéma. Omniprésent dans sa vie, c'est encore et toujours le cinéma qui l'a guidée vers le journalisme, dont elle a fait son métier. Celle qui se rend dans les salles pour s'évader et prolonger ses rêves, ne passe pas un jour sans glisser une réplique de film dans les conversations. Une preuve indélébile de sa passion. Et à tous ceux qui n'épellent pas son prénom correctement ou qui le prononcent au masculin, la Vaudoise leur répond fièrement, non sans une pointe de revanche : «L-A-U-R-E-N, comme Lauren Bacall !». Ça fait classe !

Daily Movies est allé à la rencontre d’Anne-Dauphine Julliand à l’occasion de la sortie de son premier film « Et les mistrals gagnants ». La femme de lettres française y dresse le portrait de cinq enfants atteints de maladie grave. Ces derniers nous prennent par la main, nous font découvrir leur conception de la vie avec une lucidité déconcertante et une sagesse propre à l’enfance.


Anne-Dauphine Julliand

À quand remonte ce projet de documentaire ?
L’idée à germé il y a quatre ans à peu près et s’est concrétisée avec la rencontre d’un producteur qui a tout de suite eu envie de faire le film. Il a eu confiance en ce projet et c’est lui, qui heureusement, s’est chargé du financement. Chacun son domaine ! (rires)

Avez-trouvé facilement trouver les fonds pour un tel film ?
Je pense qu’il n’a pas été évident pour le producteur de convaincre. Les gens étaient intéressés, mais ils craignaient aussi le pathos que peut amener un documentaire sur la maladie. À partir du moment où il a réussi à convaincre du monde de se lancer, il n’y a plus eu de souci. Ce film a donc eu un financement classique. C’était important pour le producteur de passer par des schémas traditionnels de financement. Et le reste du budget a pu être clôturé grâce à un financement participatif. Je trouvais, pour ma part, intéressant d’interroger les gens sur la légitimité du film et surtout de leur proposer d’y adhérer. Nous nous sommes engagés à mettre le nom de chaque donateur au générique de fin sans imaginer que cela représenterait un effectif de 1’758 personnes. C’est pourquoi le générique est aussi long. Mais je l’adore, justement parce qu’il montre que ce projet est avant tout un projet collectif. D’ailleurs, ce dernier a dépassé les frontières puisque Suisses comme Belges y ont adhéré. C’est grâce à tous ces gens que le film a pu exister.

Pensez-vous que les livres que vous avez écrits, voire la notoriété  que vous avez pu acquérir avec ceux-ci, ont facilité le financement et encouragé la participation des gens à ce documentaire ?
Peut-être, en effet, que la notoriété que j’ai acquise avec mon premier livre (« Deux petits pas sur le sable mouillé ») a pu rassurer d’une certaine façon. Dans un certain sens, il montrait la ligne de conduite que j’allais adopter pour aborder ce film. Mais d’un autre côté, je n’avais jamais rien réalisé auparavant et puis c’était une découverte aussi pour moi.

Comment avez-vous rencontré ces cinq enfants ? Les connaissiez-vous déjà avant de faire le film ?
En fait, je n’ai pas fait de casting, ni rencontré des centaines d’enfants. Disons que j’ai effectué un travail de fourmi auprès des associations et des équipes de soignants, car j’estime que ce sont eux qui connaissent le mieux ces enfants. Je leur ai donc confié cette tâche. J’avais des critères précis concernant les profils et parcours de vie. Tout d’abord, je recherchais des enfants qui soient loquaces et bavards, des enfants qui aient déjà conscience de leur maladie, qui aient un quotidien installé et que les familles aient retrouvé une forme d’équilibre quelles que soient les étapes qu’elles avaient dû traverser. Je n’avais pas plus de consignes que cela, car je voulais surtout faire marcher mon intuition. Après cela, j’ai rencontré six enfants. Pour un petit garçon, le tournage n’a pas été possible, et les cinq autres, ce sont Ambre, Camille, Imad, Tugdual et Charles, qui eux, ont tout de suite accepté de faire partie du film.

« Être malade n’empêche pas d’être heureux »

En ce qui concerne le tournage, était-il difficile pour les enfants de s’adresser à la caméra ? Les intimidait-elle au début ?
Je dois dire que les enfants se sont tout de suite adaptés au dispositif. Nous n’étions que trois à pénétrer dans leur univers, le caméraman, l’ingénieur du son et moi-même. Dès le début, nous leur avons clairement dit qu’ils décidaient de la cadence. S’ils souhaitaient que nous arrêtions de tourner ou s’ils voulaient que l’on continue, nous nous adaptions à leurs envies. Il était très important qu’il n’y ait pas de barrières entre nous, car il fallait qu’ils soient tout à fait naturels devant la caméra et qu’ils nous invitent dans leur quotidien.

Pour ce film, vous avez choisi de filmer à hauteur d’enfant et de n’ajouter aucune voix off. Il était important pour vous de laisser la parole aux enfants uniquement ?
En effet, il ne fallait surtout pas de voix off parce que s’il y en avait eu une, les enfants se seraient adressés à moi et pas aux spectateurs. Pendant le tournage, ils avaient conscience que derrière la caméra, il y avait pleins de spectateurs. Je n’ai pas non plus mis de voix off pour la simple raison que je ne voulais pas de commentaire expliquant en détail les maladies. Je souhaitais en effet laisser la parole aux enfants et m’en tenir à ce qu’ils avaient envie de m’en dire. Filmer à la hauteur d’enfant, caméra sous le bras, je l’ai fait pour eux, mais je l’ai surtout fait pour nous adultes, pour que nous retrouvions notre perspective d’enfant. Nous avons tous eu cette hauteur, nous sommes tous passé par l’enfance. Pourquoi avec notre maturité, nous ne pourrions pas retrouver des yeux d’enfant ?.

Le tournage en hôpital est-il compliqué ? Dans quels hôpitaux avez-vous filmé les scènes ?
Alors j’ai filmé dans des hôpitaux qui se trouvent aux quatre coins de la France. Certains enfants restent cinq jours par semaine dans un institut qui prend en charge les soins. Même si certains des parents ne peuvent pas être tous les jours avec leur enfant, ils sont extrêmement présents et ces instituts ne se trouvent jamais très loin du domicile familial. Il est vrai que le fait de filmer à l’hôpital est quelque chose d’assez compliqué, car il faut se plier aux règles médicolégales, de sécurité et de respect de l’identité. Mais finalement, vous savez, on ne filme pas plus la maladie à l’hôpital qu’à un autre endroit. On filme un enfant avant tout, un enfant dans toutes les composantes de sa vie. Et dans les vies de ces enfants-là, il y a l’hôpital.

Combien de temps a duré le tournage ?
Nous avons filmé environ une dizaine de jours par enfant. Il fallait que les scènes soient relativement rapprochées dans le temps, car je ne souhaitais filmer les enfants que sur une année complète. On y aurait vu des évolutions dans leur manière d’être et ce n’était pas mon but premier.

Dans le film, Camille nous dit avec une lucidité déconcertante : « Être malade n’empêche pas d’être heureux ». Pensez-vous que les enfants ont une manière différente d’appréhender la maladie et d’y faire face, comparés à leurs parents ?
Cette manière optimiste d’appréhender la maladie est, en effet, propre à l’enfant. Cette sagesse instinctive et cette conception de la vie sont inscrites dans la nature humaine. Ce n’est pas qu’ils ignorent être malades. Ils ont une lucidité avec laquelle ils sont capables de parler de la vie et de ses enjeux, de la finalité et de la réalité, qui est magnifique. Ils sont tout à fait conscients de leur maladie puisqu’ils vivent avec cela au quotidien. La force d’un enfant est de se dire que la maladie ne définit jamais la vie. Nous sommes tous appelés à retrouver cette force grâce à ce film. Même malades, ils restent des enfants comme les autres, qui aiment le théâtre, le foot, le ski et jouer avec leurs amis. La maladie n’est qu’une composante de leur vie parmi tant d’autres. En tant qu’adultes, lorsque nous devons faire face à une épreuve, nous avons malheureusement tendance à limiter notre vie à cette simple épreuve. Cette dernière va donc contaminer tous les aspects de notre vie, alors qu’il reste plein d’autres belles choses à faire. Les enfants, eux, parviennent à faire la différence, car ils vivent un instant après l’autre. Ils se souviennent de ce qu’ils ont vécu la veille et imaginent ce qu’il peut se passer le lendemain, mais ils s’intéressent par-dessus tout à ce qu’il se passe dans le moment présent. Comme tous, ils font face des moments difficiles où ils montrent leur chagrin, mais une fois ce moment passé, eux ne s’apitoient pas sur leur sort et repartent jouer aussitôt. Autant, je suis sûre que leur sagesse est instinctive, de même que cette façon de concevoir la vie, mais ces enfants, de par leur maladie, ont quelque chose de plus que la vie leur a appris : l’empathie. Ils pourraient très bien être auto-centrés et ne penser qu’à leurs malheurs, mais au lieu de ça, ils prennent soin les uns des autres.

En effet, ces cinq enfants sont admirables par la facilité avec laquelle ils s’expriment. L’avez-vous aussi ressentie au moment du tournage ?
Je pense que tous les enfants ont cette lucidité. La grande chance que j’ai eue avec ces cinq-là, c’est qu’ils avaient la capacité de s’exprimer. Imad par exemple partage beaucoup cette lucidité avec le spectateur et il est comique en plus. Je le vois bien en futur président. Bon bien sûr pas celui qui sera élu à la fin de la semaine (rires) mais je suis sûre qu’Imad nous surprendra. Peut-être qu’il a une telle facilité à s’exprimer aussi parce qu’il est plus petit que les autres. D’ailleurs, je savais que pour ce film, il fallait que je me limite à une tranche d’âge précise. Au-delà de dix ans, les enfants changent parce que l’adolescence pointe le bout de son nez et leur vision de la vie se modifie, ce qui est normal. Ambre, par exemple, elle avait neuf ans au moment du tournage et je me rendais compte qu’il était déjà moins facile pour elle de transmettre cette lucidité. Cependant, cela n’enlève rien au fait que les mots qu’elle utilise nous scotchent. Quand on lui demande « Comment fait-elle pour être heureuse ? » , elle nous répond : « Je vis avec la maladie en sachant qu’il y a tellement de gens qui m’aime autour de moi. Si l’on est aimé, alors on est heureux ». La voilà la clé du bonheur !.

Le documentaire est filmé avec beaucoup de pudeur et de bienveillance. Avez-vous toutefois été confrontée à des moments difficiles sur le tournage ?
Oui, il y a en a eu. Par exemple, la scène que vous voyez dans le film où Imad doit changer la petite sonde qu’il a dans le nez. Pour nous, ces soins sont quelque chose à laquelle nous n’avons pas l’habitude d’assister, mais c’est un geste quotidien pour Imad. Il le fait régulièrement. Seulement, le jour du tournage, il a craqué et s’est mis à pleurer dans les bras de sa maman qui le console. L’équipe du tournage était un peu secouée et moi-même, je me sentais mal pour lui. Et puis la minute suivante, après avoir fait son soin, ses larmes déjà séchées, il s’est mis à table pour l’heure du repas en faisant une remarque tout à fait banale à sa maman qui avait mis trop de sel dans son plat. Alors que nous en tant qu’adultes et spectateurs, nous sommes toujours sous le choc de la scène de laquelle nous venons d’être témoins, Imad a déjà passé à autre chose. L’enfant a ce don qui lui est propre. Il peut être confronté à des choses terribles et parvenir l’instant d’après à faire abstraction de cette épreuve et passer à autre chose.

Ces cinq enfants aux cinq destins différents sont conscients de leur maladie et ont tous ce même courage à chaque épreuve, comment expliquez-vous cela ?
Les enfants n’ont peut-être pas la poésie de William Henley lorsque ce dernier parle d’être “capitaine de son âme”, mais pourtant, ils la racontent à leur manière. Nous ne choisissons pas la vie ni ses épreuves, mais nous pouvons décider de la manière dont nous la vivons. Nous menons chacun notre barque et ainsi, nous sommes tous le capitaine de notre vie.

Dans sa globalité, votre projet s’est-il modifié entre votre idée de départ et le film tel qu’on peut le découvrir sur les écrans ? Avez-vous rencontré des obstacles ?
Non, ça n’a pas été le cas. L’avantage, c’est que je n’avais pas de scénario de départ. J’avais une idée très précise du fond du film et j’étais à la fois ouverte à toutes propositions. Je voulais que ce soit les enfants qui nous guident en nous prenant par la main. Si j’avais enfermé le projet dans une volonté très déterminée, je pense que j’aurai été déçue parce que j’aurai essayé de l’obtenir à tout prix. Je voulais simplement rencontrer des enfants, qu’ils nous parlent de la vie. Au bout du compte, ce film a même dépassé tout ce que j’avais pu imaginé.

Comment s’est passé la première projection avec toute l’équipe du film ?
Comme les enfants ne se connaissaient pas avant le tournage, mais ils se sont donc tous rencontrés au moment de la projection que nous avons organisé avec toute l’équipe. L’atmosphère était géniale et rassemblait à celle que dans laquelle nous avons fait le film. Tous les enfants étaient présents avec leur famille respective. C’est un moment que j’ai trouvé beau, émouvant, joyeux et qui m’a beaucoup marqué. Il y a eu quelques larmes aussi, mais c’était un moment authentique, vrai. Les enfants étaient très fiers d’eux.

Est-ce que vous avez gardé contact avec eux depuis la fin du tournage ?
Oui, bien sûr. Les relations que nous avons tissées sont fortes. Les enfants et leur famille font partie de ma vie maintenant. D’ailleurs, j’ai eu la maman de Charles au téléphone pas plus tard que lundi dernier. Nous nous donnons des nouvelles régulièrement. Je sais donc ce que deviennent les enfants. Je connais leurs joies et leurs peines. Nous avons vécu une relation basée sur la confiance, il n’y a rien de plus fort. Entre eux, les parents ont également tissé des liens très forts. Ces enfants sont en lien les uns avec les autres.

Sachant que deux de vos enfants ont été directement confrontés à la maladie, que représente ce film pour vous ? A-t-il servi d’exutoire ou est-ce un hommage que vous rendez aux enfants malades, à leurs parents ?
Non, ce film n’a pas été un exutoire pour nous, car cette étape, je l’ai franchie autrement, à ma façon. Ce film est pour moi un hymne à la vie. Il parle de la vie à travers tous ses aspects et toutes ses composantes. Les épreuves font partie de la vie et aucune vie n’en est exempte. Ces cinq enfants nous rappellent que face à n’importe quelle épreuve, nous pouvons pleurer, nous énerver, rire et aimer. C’est cela la vie. Ils nous apprennent que ce qui compte, c’est de vivre l’instant présent. En pensant à demain bien sûr, mais sans trop se projeter. Pour ma part, j’ai donc voulu réaliser un hymne à la vie et partager cet hymne. On peut y voir des hommages, rendre hommage à son enfant ou à l’enfant que l’on était. En tous les cas, ce film m’a fait grandir humainement. Je l’ai tourné avec un esprit de femme et un cœur de maman. Il y a des phrases qu’ont dites les enfants que je n’oublierai jamais parce qu’elles m’aident au quotidien.

Avez-vous des projets cinématographiques ou littéraires pour la suite ?
Aujourd’hui, j’ai envie de vivre avec le film, de le promouvoir pour sa sortie en salle. Pour l’instant, je vis pleinement avec ce film et j’aurai bien le temps de penser à mes projets plus tard. Ce film m’a donné pleins d’envies, mais il m’a surtout fait prendre conscience qu’il faut vivre ce que l’on a à vivre et qu’il ne faut pas tout de suite se lancer dans un nouveau projet. Mais je me sens toutefois très inspirée.

Et les Mistrals gagnants
FR – 2016 – 80 Min. – Documentary
Réalisateur: Anne-Dauphine Julliand
Pathé Films
03.05.2017 au cinéma

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