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mardi, mars 19, 2024
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Fermeture générale des salles : « Il est impossible de mettre en suspens toute la programmation qui était prévue »

Lauren von Beust
Lauren von Beust
Amoureux du film «American Gigolo», ses parents la prénomme en hommage à l'actrice américaine Lauren Hutton. Ainsi marquée dans le berceau, comment aurait-elle pu, en grandissant, rester indifférente au 7ème art ? S'enivrant des classiques comme des films d'auteur, cette inconditionnelle de Meryl Streep a prolongé sa culture en menant des études universitaires en théories et histoire du cinéma. Omniprésent dans sa vie, c'est encore et toujours le cinéma qui l'a guidée vers le journalisme, dont elle a fait son métier. Celle qui se rend dans les salles pour s'évader et prolonger ses rêves, ne passe pas un jour sans glisser une réplique de film dans les conversations. Une preuve indélébile de sa passion. Et à tous ceux qui n'épellent pas son prénom correctement ou qui le prononcent au masculin, la Vaudoise leur répond fièrement, non sans une pointe de revanche : «L-A-U-R-E-N, comme Lauren Bacall !». Ça fait classe !

Ces temps de confinement ont forcé la fermeture de toutes les salles de cinéma du pays, et ce, jusqu’au 30 avril. Ils sont toutefois nombreux à penser que la mesure s’étendra sur quelques semaines supplémentaires. Mais à la réouverture des salles, qu’adviendra-t-il des films qui ont subi de plein fouet cette période creuse ? Les distributeurs nous répondent. 


Salles de cinéma fermées. Festivals annulés. On pourrait croire au scénario d’un film apocalyptique. Pourtant, cette fois, la réalité dépasse la fiction. Il y a quelques semaines, au vu de l’immense vague de pandémie qui allait frapper de plein fouet le monde entier et provoquer un impact sur tous les secteurs y compris celui de la culture, des films à gros budget ont annoncé, au début du mois de mars, repousser leur sortie en salles. « Miss » ou « Mourir peut attendre », ces derniers ont eu raison de le faire. Daniel Craig n’aurait pu faire don de ces exploits d’agent secret sur grand écran comme prévu en cette période. 

Certains passeront à la trappe 
« La programmation après la réouverture doit être réorganisée entre les distributeurs et les cinémas », annonce René Gerber, secrétaire général de ProCinema, association suisse des exploitants et distributeurs de films. Diana Bollonzelo, attachée de presse auprès de plusieurs d’entre eux, développe : « La grande majorité des sorties ont été repoussées entre juin et novembre. Et il est fort probable que quelques films qui devaient être à l’affiche au début du mois de mai soient également repoussés. Mais il est impossible de mettre en suspens toute la programmation et simplement tout décaler d’un mois et demi. C’est une question de disponibilité des salles, de dates de sortie internationales, etc. », assure-t-elle. Tous les films n’auront donc pas la chance de James Bond. Nombreuses sont les productions cinématographiques qui ne connaîtront finalement jamais de sortie en salles. 

« C’est au distributeur d’estimer pour chaque film, quelle est la stratégie qui lui permettra d’avoir le plus de visibilité. »

« Certains distributeurs ont déjà décidé d’annuler la sortie de certains films et de les proposer directement en VoD (à la demande). C’est au distributeur d’estimer pour chaque film, quelle est la stratégie qui lui permettra d’avoir le plus de visibilité. La décision sera donc prise au cas par cas », explique Laurent Dutoit, directeur d’Agora Films. « Tout n’est pas encore clair », confirme Diana Bollonzelo. Les réponses à ces questions, pour l’instant en suspens, dépendront également de la durée du confinement partiel que l’on connaît en Suisse. 

La fin du confinement, « une date hypothétique »
L’incertitude guette et menace tout le secteur cinématographique. Les temps sont encore trop incertains pour décider quoi que ce soit. Si le Conseil fédéral a invoqué une « situation extraordinaire » jusqu’au 30 avril prochain au moins, au vu de la propagation de la pandémie, beaucoup de facteurs indiquent que cette période hors du commun pourrait s’étendre bien au-delà de cette date butoir. Et c’est ce que craignent également les distributeurs : « Pour le moment, Agora Films espère pouvoir assurer la programmation agendée. Cependant, la date du 1er mai n’étant qu’hypothétique et malheureusement peu crédible à ce jour, nous ne savons pas quand les salles pourront réouvrir. Il est malheureusement probable que la fermeture soit bien plus longue… », regrette Laurent Dutoit. 

« Certains distributeurs ont déjà décidé d’annuler la sortie de certains films et de les proposer directement en VoD (à la demande). »

Et qu’adviendra-t-il des films qui étaient à l’affiche au moment de cette fermeture générale ? « L’idée est de reprendre quelques-uns d’entre eux lorsque les cinémas ré-ouvriront, mais il est difficile à ce jour de dire lesquels. Cela dépendra des possibilités…», annonce l’attachée de presse Diana Bollonzelo. « La Bonne Epouse », « Dark Waters », « Scandale », si tous ne connaîtront pas le même destin, il est bon de croire qu’il existera quelques rescapés du naufrage, qui pourront leur rencontre avec le public dans un futur proche. « Nous espérons notamment pouvoir remettre en salles « Citoyen Nobel ». Celui-ci est sorti de quelques jours à peine avant l’annonce du Conseil fédéral », confie le directeur d’Agora Films. 

Une perte titanesque
Puisque certaines productions ne connaîtront jamais les salles, pourquoi ne pas imaginer une mise à disposition de celles-ci sur une plateforme en ligne ? Certains y ont déjà pensé. C’est le cas de myfilm.ch qui propose un catalogue à base de films qui étaient encore à l’affiche jusqu’à récemment. Les cinéphiles peuvent alors les acheter à un prix allant de 8 à 18 CHF. 

Si le procédé est possible, l’enjeu est de taille des distributeurs : « Il ne suffit pas qu’un film soit disponible en ligne pour que les gens se précipitent dessus, regrette Laurent Dutoit. Ce qui fonctionne actuellement en VoD et sur les grandes plateformes, ce sont principalement les films populaires ou à gros budget. Il n’est donc financièrement pas rentable pour un distributeur de se passer de la case cinéma, sauf peut-être pour les petits films qui n’auraient pas enregistré plus de quelques centaines ou milliers de spectateurs en temps normal. » Encore une fois, tout dépend de chaque film et de son organe de distribution. Et le temps des décisions paraît encore trop loin. 

« Il n’est financièrement pas rentable pour un distributeur de se passer de la case cinéma »

L’esquisse de la perte économique, quant à elle, fait froidement face à l’industrie du film. Et cette perte pourrait bien se creuser davantage : « Pour le moment, elle a été estimée à 30 millions pour les salles de cinéma et les distributeurs, mais ceci en ne tenant compte que d’une fermeture jusqu’au 19 avril. Il est malheureusement probable que la somme soit infiniment plus grande », déplore Laurent Dutoit. Mais pour le secrétaire général de ProCinema, il est encore trop tôt pour articuler un chiffre exact. Toute l’industrie du film étant encore en train d’analyser les effets de la grande fermeture des salles. René Gerber confirme toutefois qu’il s’agira de « plusieurs millions de francs suisses ». Et les pertes ne se mesurent pas uniquement à l’échelle économique. La grande fermeture aura également un impact non-négligeable sur le comportement des adeptes des salles. « Il ne suffira pas que ces dernières rouvrent pour que les clients reviennent au cinéma comme avant. Nous devrons subir les conséquences de cette fermeture pendant de longs mois encore après la réouverture…», regrette le directeur d’Agora Films, bien conscient de la situation. Les prochains jours nous permettront sans doute d’y voir plus clair quant à l’issue de cette spirale infernale.

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