Le cinéma indien est la nouvelle valeur sûre du cinéma grand spectacle. Jawan démontre un véritable savoir-faire à tous les niveaux. Un projet ambitieux porté par les traits immuables de l’acteur iconique Sharukh Khan.
Une prise d’otages dans un métro de Mumbai. Elle est menée par un groupe de six femmes et leur chef, l’énigmatique Azad (Sharukh Khan). Le groupe exige une rançon à un puissant trafiquant d’armes (Vijay Sethupathi) et sera rapidement pris en chasse par l’officier Narmada (Nayanthara). Sur cette entrée en matière, nous sommes entraînés dans un enchaînement de scènes d’action, de rebondissements et de chansons délicieusement kitchs.
Le premier constat qui saute aux yeux dès la première scène, c’est que le cinéma de grand spectacle indien a pris la relève du blockbuster américain. Loin de le rejeter, Jawan multiplie les références de ses influences, et elles sont nombreuses ! Matrix, Mission Impossible, Le Roi Lion, Batman et même Shining sont mêlées à des références au cinéma indien comme Sholay. Cela pourrait sembler indigeste sur papier et pourtant, sur plus de deux heures quarante, tout cela est magnifiquement orchestré.
Tout cet édifice est construit pour et tenu par Shahrukh Khan, l’acteur vedette qui, s’il a connu des périodes creuses, a toujours su conserver son statut d’icône. Dans les traces d’un Tom Cruise, il refuse de vieillir, ou seulement si cela lui permet d’incarner un vieux motard sans attaches et au long cigare, plus iconique encore. C’est ainsi que le film fait de l’âge de son acteur (57 ans) un thème central destiné à nous souligner qu’à tout âge, dans ses hauts comme dans ses bas, Shahrukh Khan restera toujours l’icône que le cinéma indien a su construire.
Ainsi, l’acteur multiplie les rôles et les pauses tout au long de scènes rendues constamment épiques par une réalisation toujours en mouvement et surtout, un montage en oxymore qui n’hésite pas à ponctuer ses scènes de rapides ralentis. Mais l’acteur porte tout de même son âge et cela se remarque dès les scènes de combat rapprochées où il est à visage découvert. D’un seul coup, les plans se raccourcissent et la lisibilité des actions en prend un coup. Heureusement, ces moments restent rares, mieux exécutés et jouissifs que ce que le cinéma américain nous a habitué à voir.
C’est la grande différence qui réside dans l’approche des icônes. Le blockbuster américain s’est lassé des épopées épiques et quand le public a commencé à en rire, il a choisi d’en rire avec lui. Il devient ainsi une sorte d’auto-parodie qui cherche souvent à se ridiculiser en espérant être mieux accepté. Résultat, aujourd’hui, il peine à retrouver sa capacité d’émouvoir le public à travers ses aventures.
Jawan fait partie des films indiens à l’opposé de cette démarche. Il se prend très au sérieux et évite de rire de lui-même. Quand il le fait, c’est sur des sujets sans conséquences, comme la teinture de Shahrukh Khan ou le style « Santa Claus » de Vijay Sethupathi. Ainsi, son spectacle n’est jamais désamorcé, lui permettant d’être toujours grandiose. Il troque la vraisemblance pour la jouissance et quand le spectateur rit de ses excès, c’est toujours avec la reconnaissance de se voir offrir ce qu’il ne peut voir ailleurs.
Jawan est-il le signe que le cinéma indien s’apprête à supplanter le cinéma américain ? Rappelons tout de même que Jawan est un des rares films qui parvient à bénéficier d’une distribution internationale alors que le pays en produit presque 2000 chaque année, se plaçant devant les les États-Unis. L’Inde est constituée d’une myriade de productions, proposant des films aux langues différentes, destinés à des publics locaux, avec des thèmes très différents. Vouloir rassembler toutes ces productions aux thèmes, aux méthodes et aux dialectes différents sous la seule dénomination de « cinéma indien » est une vision occidentale biaisée.
Ceci dit, l’industrie cinématographique indienne souffre du coût moyen du ticket de cinéma, très bas, mais aussi du manque de salles. Bien que le pays en compte plus de 9000 et se situe au niveau mondial en troisième position, derrière les États-Unis et la Chine, cela ne correspond même pas à 1 écran pour 100’000 habitants. Dès lors, il y a une solution intéressante pour le développement de cette industrie : l’exportation. Une exportation à travers les plateformes de streaming (d’ailleurs les droits de diffusion de Jawan viennent d’être rachetés par Netflix) mais aussi une exportation dans les salles occidentales.
Jawan est d’autant plus intéressant à voir sous cet angle. Le film met au centre de sa promotion l’iconique Shahrukh Khan, connu au-delà de ses frontières. Il multiplie les références américaines, en les citant explicitement, ou s’inspirant de ses figures elles aussi iconiques comme Rambo. Il fait du détournement de la démocratie un thème central, en écho avec des problématiques occidentales, et en particulier les États-Unis.
Jawan s’adresse évidemment au public indien avant tout et propose un discours frontal sur les problèmes de son pays. Il met en avant le taux de suicide élevé de ses agriculteurs, les problèmes de corruption, ou encore le manque de matériel dans les hôpitaux. Mais en parallèle, il ne manque pas de porter un discours universel, et de faire de grands appels du bras à travers ses nombreuses références au public occidental.
Jawan est ainsi un film qui parvient à s’exporter sans se trahir. Il conserve ses moments de danses, ses références à l’histoire de l’Inde et surtout, sa capacité à présenter un spectacle capable de vendre ses icônes sans sombrer dans l’ironie. Il digère magnifiquement bien ses références américaines sans jamais perdre son identité. Le cinéma indien a des leçons à nous donner sur cet équilibre et son indéniable qualité.
Jawan
IND – 2023
Action, Suspens
Durée: 2h45 min
Réalisateur: Atlee Kumar
Avec: Shah Rukh Khan, Nayanthara, Vijay Sethupathi, Deepika Padukone, Sanjay Dutt, Riddhi Dogra
ABC Distribution
08.09.2023 au cinéma