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mardi, mars 19, 2024
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Master Class : Marina Foïs

Jonathan Tholoniat
Jonathan Tholoniat
« Désespoir, amour et liberté. L’amour. L’espoir. La recherche du temps perdu. » Comme Pierrot, j’aime la Littérature. Comme Godard, j’aime le cinéma. Après avoir étudié la Philosophie à l’université de Lyon III, je poursuis mes études en Master de Littérature et français moderne à Genève pour me diriger vers l’enseignement et le journalisme. L’écriture et le cinéma : un univers en perpétuel mouvement que je suis heureux de partager. Godard ne disait-il pas : « Avec le cinéma, on parle de tout, on arrive à tout ». De quoi assouvir mon inlassable curiosité.

C’est dans une salle comble de la Maison du Livre, de l’Image et du Son à Villeurbanne que nous avons eu le plaisir de retrouver une habituée du festival Lumière pour partager un moment d’échanges, de confessions et de complicités. Voici quelques extraits choisis.


Festival Lumière
« Je viens tous les ans depuis quatre ou cinq ans. Dès que je le peux… Mais de toute façon, je peux toujours ! J’adore le principe de revoir des films en salle autour de thématiques. Je peux avoir un côté très scolaire, donc j’aime bien revoir les films de grands cinéastes. Je préfère d’ailleurs les voir en salle, car lorsque je suis sur mon ordinateur, je reste moins concentrée. De plus, j’aime être plus petite face à l’écran.

Cette année, je n’ai pas eu le temps de présenter de films. Je suis donc venu uniquement pour vous ! L’année dernière, j’avais présenté Leçon de Piano que j’avais évidemment vu à sa sortie. Je croyais avoir un souvenir bien précis, mais il m’a ému au-delà de ce que je pouvais espérer. J’avais également présenté le Salaire de la peur que je ne connaissais pas. J’ai des grosses lacunes en cinéma, car j’ai été élevée par des parents qui ne regardaient quasiment pas le cinéma français. Nous n’avions pas la TV. Je n’ai par exemple pas vu de Louis de Funès. Il y a tout une partie de la culture française qui m’a échappée. Je le déplore. En même temps, il m’emmenait voir les films de Satyajit Ray à la Pagode, lorsque j’étais enfant. Ce festival est donc l’occasion de voir des films que je ne connais pas. »

Formation
« J’ai commencé le théâtre à 5 ou 6 ans. À l’école, je m’ennuyais beaucoup. Je n’étais pas très disciplinée… J’étais même insolente et peu respectueuse. Pourtant, j’étais assez maligne pour avoir des bonnes notes. Cependant, avoir un regard de mépris de la part d’un professeur, qui te dit qu’on ne fera rien de toi ou que tu es moche, cela peut te détruire, notamment si tu n’es pas soutenue derrière. Je m’en suis tiré, parce que j’avais une famille qui m’aimait.

À l’école, j’ai tout raté. Enfin, ce n’est pas tout à fait vrai. J’ai réussi mon bac à distance avec mention. J’ai ensuite pris une année sympathique durant laquelle j’ai réussi le concours de la classe libre au Cours Florent à Paris. Après, j’ai réussi une audition parmi 1’000 personnes pour faire un stage de tragédie classique, puis une audition pour Pierre Romans, l’ancien assistant de Chéreau. Ensuite, j’ai validé le premier tour du conservatoire de Paris. J’ai pris la grosse tête et j’ai loupé le second tour. C’est à ce moment-là que j’ai tout loupé.

Ma trajectoire se dirigeait vers la Tragédie à l’Odéon. Je ne considérais pas encore que je voulais faire rire. J’ai alors rencontré ceux avec qui nous allions faire les Robins des bois. Nous étions tous fans des Monthy Python et du registre de l’absurde. Le groupe s’est formé au cours Florent, dirigé par Isabelle Nanty. Certains membres du groupe jouaient dans Julie Lescaut, d’autres dans Navarro. Moi, je jouais dans de petites pièces devant trente personnes au fin fond du 18ème. Nous nous sommes rendu compte que ce n’était pas un avenir pour nous et qu’il fallait être un plus entreprenant. Nous avons alors créé une compagnie qui s’appelait The Royal Imperial Green Rabbit Company. C’était une compile de toutes les superstitions. Cela donnera par la suite les Robins des bois. Cela a été formateur d’être constamment dans un groupe. C’est formidable d’apprendre à écouter. Je m’épanouis quand je suis entourée. Toute seule, j’ai un peu plus de mal à trouver un intérêt. »

Le travail d’actrice
« Pour le cinéma, je n’apprends pas toujours le texte. Il y a des metteurs en scène qui n’aiment pas cela. Maïwenn a par exemple des acouphènes quand elle entend un texte appris.

Il y a une mémoire très pratique pour apprendre son texte : la mémoire immédiate. Celle du matin même est assez confortable. Au contraire, je n’aime pas la mémoire intermédiaire, car, deux jours après, il arrive facilement qu’on cherche le texte qu’on avait plus ou moins appris.

Celle que j’aime beaucoup est la mémoire très ancienne, dont je me sers au théâtre. Quand je joue une pièce,

j’apprends toujours très en amont. C’est comme si le texte descendait de la tête pour aller se loger dans le corps. Il nous appartient vraiment. Cela dépend donc des projets. »

Sa place dans le cinéma
« À partir du moment où j’ai compris que je pouvais faire du cinéma, je me suis autorisé à rêver toutes les formes de cinéma. Je suis pour la mixité dans tous les domaines. Je veux que les comédies coexistent avec les films d’auteurs. Je me l’applique donc à moi-même, et je ne me sens pas moins légitime quand je fais Darling ou Papa ou Maman. Les étiquettes ne m’intéressent pas.

J’ai eu beaucoup de chance. En même temps, il m’arrive de traverser des périodes violentes. Je développe alors de la colère, dont j’aimerais me débarrasser. Il ne suffit pas de jouer la comédie. La vie nous rattrape. Je me dis tout de même que j’ai de la chance.. Que font les gens normaux de leurs émotions ? C’est un privilège ultime de pouvoir jouer avec ses émotions. Ce que je suis ou ce que je ressens peut-être utile à un metteur en scène. Mais la caissière dans un magasin… Comment fait-elle pour se libérer de ça ? Je sais que je suis privilégiée et j’en profite. »

Les nominations
« Je suis toujours heureuse d’être nommée. En revanche, je recherche plutôt des rôles. Les prix sont secondaires. La reconnaissance, je l’ai dans la variété des propositions que l’on m’offre. Ce serait mal honnête de demander ce que l’on ne peut pas forcément avoir. C’était déjà un énorme cadeau d’avoir la possibilité d’exercer ce métier. Il serait stupide d’en vouloir plus. »

La tour Montparnasse infernale ( 2001 )
« Ce fut un film important pour moi. On m’en parle encore beaucoup. D’ailleurs, il y a des jeunes qui m’en parlent, alors qu’ils n’étaient pas nés lorsqu’il est sorti. Cela prouve la longévité du film… C’est une histoire marrante et plutôt belle. À l’époque, nous étions au début de notre formation (avec les Robins des bois). Nous étions souvent dans de petits café-théâtres pour soutenir les membres du groupe qui y jouaient. Il y avait également des scènes ouvertes. Un soir, Eric et Ramzy ont fait un sketch hilarant. Ils n’étaient pas connus. Nous sommes allés les voir pour les féliciter. C’est à partir de ce soir que nous nous sommes liés d’amitié. On s’est ensuite toujours suivi. Il y a cinq ou six ans, nous avons fait la suite de la Tour infernale. J’étais tellement heureuse de les retrouver. Il s’est passé quinze ans. Heureusement, nous avons évolué sans se perdre de vue. Ils gardent ce truc de l’absurde. Je les adore ! »

RRRrrrr !!! ( 2003 )
« On s’est fait démonter par la critique. Quand on présentait le film en avant-première, les gens ne riaient pas beaucoup. Je n’ai pas encore la réponse de ce mal entendu, car les gens l’aiment aujourd’hui beaucoup. En ce qui me concerne, je l’adore ! Je sais qu’il est imparfait et un peu bancal, mais il nous ressemble. Nous avons quand même fait un million sept cents entrées… Ce qui est beaucoup ! Par contre, il a été perçu comme un ratage absolu. Nous avions eu envie de faire un film avec un budget. Les costumes et les décors étaient magnifiques. Peut-être que les gens ont voulu retrouver cet approximatif que nous avons toujours mis en avant. Cela a été vu comme quelque chose de prétentieux, alors que ce n’était pas ce que nous avons recherché. Le message a sans doute été mal passé ! Je dois reconnaître que notre manière de le vendre et de le présenter a été maladroite. »

Darling (2007)
« C’est une histoire incroyable. Ce film est une adaptation d’un livre de Jean Teulé qui raconte l’histoire vraie d’une femme qui se trouve être sa cousine germaine. Elle a une vie misérable. Elle est quasiment analphabète, car ses parents ne l’aimaient pas et estimaient que cela ne valait pas la peine de l’envoyer à l’école. Il n’empêche que c’est un être incroyable. À six ans, elle regardait par la fenêtre et voyait des routiers. Elle se disait alors que son rêve serait d’en épouser un, afin de quitter son milieu.

Quand le livre est sortie, je l’ai lu. Je me suis reconnu dans cette femme alors que nous n’avons pas la même vie. Quelques années après, j’ai su que Christine Carrière cherchait des actrices pour son adaptation au cinéma. Malgré la différence physique que j’ai avec Darling, la réalisatrice a tenu à me rencontrer. Je lui ai parlé du livre. Elle a été surprise, car j’étais la première actrice à l’avoir lu. Lorsque j’ai fait les premiers essais, je me suis rendu compte qu’ils étaient merdiques. Sauf que j’avais une telle envie que, même si je jouais mal, le rôle m’a été attribué.

Ce film est magnifique, car cette femme est sur un fil. Elle serait née dans une famille normale, elle aurait été une artiste. Elle ne sait pas lire ou écrire, mais elle créée une sorte de poésie et un humour irrésistible. J’ai rencontré cette personne. Depuis, nous sommes restés en contact, et je peux même dire que nous sommes amies. D’ailleurs, je lui ai récemment écrit pour son anniversaire. Je n’ai pas le droit de ne pas lui écrire pour cette occasion. Nous sommes liées par cette histoire commune. C’est quelqu’un qui me fait beaucoup rire. Elle a le cerveau d’une intellectuelle ou d’une artiste sans en avoir les moyens. C’est très émouvant. C’est un film qui a été très important pour moi. »

Polisse (2011)
« J’ai rencontré Maïwenn par hasard. J’ai fait ses trois premiers films. Un jour, elle m’a appelée alors que je ne la connaissais pas. Je ne sais même pas comment elle a eu mon numéro. Elle me dit : « est-ce que tu peux venir répéter à minuit ce vendredi ? ». Je lui demande si elle a un scénario. Elle me dit que non, mais j’accepte. Et heureusement ! Enfin… Vous connaissez la suite. »

Le Grand Bain (2018)
« Je suis un personnage un peu périphérique. Ce film de Gilles Lellouche incarne une certaine forme de réussite. Je trouve intéressant qu’il porte un regard sur ceux qui ne représentent pas la réussite telle qu’on nous l’impose. Il y a cette phrase : « avoir une Rolex à 50 ans, sinon on a raté sa vie ». Ce film a été fait par des gens qui ont une ou deux Rolex. Je trouve que les personnages du film sont ce que nous aurions pu être si nous n’avions pas eu ces privilèges. Au fond, nous les regardons avec dignité, car, en mettant un peu de rêve dans leur vie, nous les voyons renaître simultanément. J’aime bien le message qu’il véhicule. Je trouve qu’il a été fait avec une grande sincérité. Cela fait longtemps que je n’ai pas vu une comédie à succès qui ne se moque pas des personnes qui n’ont rien avoir avec ceux qui réalisent. Je pense par exemple à Épouse-moi mon pote. C’est un film qui a fait des millions d’entrées. Pourtant, il est homophobe. Il a été fait en 2016 par des gens qui ne sont pas du tout homos, qui ont de l’argent et qui se foutent de la gueule des homos du Marais à travers une imagerie des années 80. Cela n’existe plus. Je n’aime pas ça. Ça me fait chier. Nous avons du temps, du pouvoir, de l’argent et des cerveaux. Cela ne plaît pas qu’on fasse rigoler en se foutant de la gueule des autres. Le film de Gilles, c’est l’inverse. On parle de gens en leur rendant de la dignité tout ayant beaucoup d’humour. Dans tous les cas, nous devons être responsables de ce que nous véhiculons. »

www.festival-lumiere.org

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