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mercredi, avril 24, 2024
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Peeping Tom

Peeping Tom De Michael Powell
Peeping Tom De Michael Powell

L’accueil de « Peeping Tom » lors de sa sortie nationale en Angleterre fut unanime : « La seule manière satisfaisante de disposer de « Peeping Tom » serait de le ramasser à la pelle et de le noyer rapidement dans les égouts les plus proches. Même là, la puanteur demeurerait ». Voilà ce que déclarait The Tribune en avril 1960, à l’unisson des autres critiques. Mais alors, me direz-vous, pourquoi faudrait-il avoir vu « Peeping Tom » (« Le Voyeur », en français) ? Tout simplement parce qu’il s’agit d’une fascinante œuvre en avance sur son temps, réalisée par l’un des meilleurs réalisateurs britanniques.

Né en 1905, Michael Powell tourne ses premiers films dans les années 30. Puis, il fait la connaissance d’Emeric Pressurger, un émigré hongrois qui va devenir son acolyte pendant près de deux décennies.

De cette union cinématographique naissent de nombreuses œuvres majeures, qui auront une énorme influence (il n’y a qu’à voir « Black Swan » pour s’en rendre compte). Parmi ces films, on peut noter « 49th Parallel » (1941), « The Life and Death of Colonel Blimp » (1943), « A Matter of Life and Death » (1946), « Black Narcissus » (1947) et « The Red Shoes » (1948). A la fin des années 50, Powell et Pressubger mettent un terme à The Archers, leur boîte de production, ainsi qu’à leur collaboration ; chacun poursuivant désormais sa propre voie. Powell suivra celle de « Peeping Tom », long-métrage décrié qui détruira sa carrière. Pourtant, avec un autre film sorti la même année, « Peeping Tom » allait changer à jamais la perception du cinéma.

Les mœurs sont différentes, on ne se situe pas encore dans la fascination morbide des tueurs en série. Quelques mois après la sortie de « Peeping Tom », une autre bombe signée Alfred Hitchcock frappe le paysage cinématographique : « Psycho ».

Ensemble, ces deux films refaçonnent l’imagerie du film d’horreur, y apportant psychanalyse et meurtriers empathiques. Renforcés par leur tension et leur violence, « Peeping Tom » et « Psycho » ont tout pour choquer et étayer un malaise constant, ce qui n’est pas forcément au goût de tout le monde. Mais Powell va encore plus loin. Bien avant Michael Haneke et ses « Funny Games », le Britannique mettait en images l’introspection du public dans des situations de meurtre, interrogeant violemment la situation passive du spectateur-voyeur.

Le voyeur du film, c’est Mark Lewis – incarné par Carl Boehm, l’empereur François-Joseph dans « Sissi », aux côtés de Romy Schneider. Mark est un jeune homme timide, qui travaille comme assistant sur des plateaux de tournage. Il se fait un peu d’argent de poche en prenant des photos pornographiques. Il aime observer les femmes dans la rue, guigner sa voisine à travers les rideaux. Mais son plus grand plaisir, c’est de filmer des femmes avec sa caméra 16mm, avant de les poignarder avec une lame cachée dans son trépied… On comprend le malaise des spectateurs à la sortie du film. Les critiques lynchent Powell, et « Peeping Tom » est exploité comme un vulgaire film pornographique, interdit aux moins de 18 ans. Il faudra l’appui de la presse française, puis américaine, mais aussi de réalisateurs (Martin Scorsese, Bertrand Tavernier), pour que le film soit réhabilité.

Ce qui frappe en regardant « Peeping Tom », c’est sa troublante modernité. Loin d’être un simple film d’exploitation, il nous met face à une dérangeante mise en abyme du régime spectatoriel. Sans jamais porter de jugement sur son sujet, Powell livre une vision passive du tueur, pour qui le metteur en scène – et, par jeu de points de vue, le spectateur aussi – semble éprouver une douloureuse empathie. Mark ne peut vivre qu’à travers sa caméra, n’assouvit ses pulsions sexuelles qu’au moment de l’assassinat, lorsqu’il dresse son trépied vers la victime avant de la pénétrer avec sa lame. Powell joue des imageries métaphoriques, ne cessant d’interroger le regard, son regard, au point de troubler. Lui qui affirmait « I am cinema », il se filme dans « Peeping Tom », avec son fils, s’identifiant comme la raison de la psychose de Mark. Troublant.

Au-delà de ses éléments sulfureux et psychanalysants, « Peeping Tom » affiche aussi une maîtrise technique et formelle, qui adhère avec perfection aux propos du film. Entre ses jeux de photographie (fabuleux Eastmancolor) et ses plans en caméra subjective, Powell utilise tout ce qu’il a pour livrer une œuvre unique. Au point de marquer à jamais les esprits, et de ruiner sa carrière… Encore aujourd’hui, « Peeping Tom » choque. Non par ses excès graphiques, mais par son travail réflexif et troublant sur l’essence du 7ème Art. Les pôles s’inversent; sujet et objet se confondent, voyeur et spectateur s’imbriquent. Si Mark filme la peur et la mort de ses victimes, Powell, lui, filme la vie. Létale, intimidante, transcendante. Et le cinéma, c’est tout ça à la fois.

Peeping Tom
De Michael Powell
Avec Carl Boehm, Anna Massey, Moira Shearer

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