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Interview de Daniel Schweizer, réalisateur de « Dirty Gold War »

"Dirty Gold War" de Daniel Schweizer
« Dirty Gold War » de Daniel Schweizer –

Présenté en avant-première au FIFDH 2015, le documentaire « Dirty Gold War » de Daniel Schweizer nous propose un voyage de l’extraction d’or en Amérique du Sud, à la vente de bijoux en Europe. Ce documentaire est implacable sur le rôle trouble joué par les états, en particulier la Suisse, dans ce trafic international. Interview réalisé le samedi 8 mars 2015 au FIFDH de Genève.


– Le sujet de votre documentaire est implacable sur le rôle ambigu des états, en particulier de la Suisse, sur le blanchiment d’un or qui n’a pas d’existence légale au départ…
– A l’origine, j’avais réalisé un documentaire, « Dirty Paradise » sur les indiens Wayana en Guyane (nda : une incroyable catastrophe sanitaire et écologique se déroule aujourd’hui au cœur de l’Amazonie sur un territoire européen d’outre-mer, la Guyane Française, et sa zone frontière avec le Surinam. Ce film nous fait partager l’histoire d’un millier d’Indiens qui tentent de survivre face à plus de 10’000 chercheurs d’or clandestins. Le film a reçu le grand Prix du FIFDH en 2010). Quand ils ont été découverts dans les années quarante, cette communauté représentait un paradis sur terre en Amazonie. Je suis allé à leur rencontre et la réalité était toute autre. La ruée vers l’or et l’extraction à base de mercure étaient en train de les décimer. Le gouvernement français connaît la situation et rien n’a été fait jusqu’à présent pour changer cette situation. C’était une chronique sur une mort annoncée. C’était très douloureux. Je suis retourné sur place et j’ai vu les dégâts environnementaux et sociétaux de cette extraction. J’ai décidé de faire un film sur cette matière première, l’or.

L’or est toujours ce mythe du métal des Dieux, symbole de la pureté, du luxe, de l’opulence, de la richesse, voire même de la fidélité. Alors que la réalité est toute autre ! L’or est sale, il tue, il détruit l’environnement et met en péril des populations. A partir de ce constat, j’ai voulu réaliser un film de la mine à la vitrine et qui raconte de manière concrète l’extraction d’un l’or illégal à sa légalisation. J’ai voulu donner la parole à la fois aux victimes qui luttent, qui résistent mais aussi à l’industrie suisse, dont les bijoutiers comme Chopard (qui fabrique la Palme d’Or de Cannes), afin qu’ils s’expriment sur leur responsabilité dans ce trafic international.

"Dirty Gold War" de Daniel Schweizer
« Dirty Gold War » de Daniel Schweizer

– Au niveau du gouvernement fédéral suisse, le sujet est très sensible. Il tolère ce trafic et refuse d’instaurer des règles. Avez-vous subi des pressions lors de la réalisation ?
– Le documentaire inquiétait certains acteurs de l’industrie. Il faut savoir que les raffineurs suisses ont refusé d’être interrogés quand ils ont su le trajet que l’on avait effectué et ce que l’on savait sur ce commerce. Tout à coup, ce travail documenté et ces témoignages semblaient inquiéter. Ce film est avant tout un témoignage implacable, une réalité documentée. Il reste à la fin cette question fondamentale de la responsabilité : en tant que consommateur nous sommes aussi responsables de ce trafic. La filière n’évoluera que si les consommateurs l’exigent. Je crois à une issue positive si les consommateurs prennent conscience et exigent de l’or propre.

– Comment créer de la traçabilité sur un minerai extrait en toute illégalité ?
– La traçabilité de l’or devrait être tout autant possible que pour les roses produites au Kenya. La rose est coupée à 8h00, transportée en avion à 12h00, débarquée en suisse à 15h00 et vendue à 18H00. La traçabilité est donc possible, on connaît toute la filière de la rose. C’est la même chose pour le saumon d’Alaska. Alors, pourquoi ne peut-on obtenir cette traçabilité pour l’or ? Il n’y a pas de volonté politique sous la pression de l’industrie. L’or est extrait des pires endroits de la planète (souvent des pays en guerre) et est sale. La question de la traçabilité est donc fondamentale aujourd’hui : il est urgent d’agir !

– L’extraction d’or est terrible à plusieurs niveaux : les conditions de travail sont souvent proches de l’esclavage, l’utilisation du mercure a des conséquences environnementales catastrophiques et ce trafic s’accompagne souvent de la complicité des gouvernements locaux…
– L’extraction a lieu dans des états à faible gouvernance. Ce n’est pas un hasard si les compagnies osent avoir un tel comportement. Elles savent qu’elles sont à l’abri de toute procédure juridique. Les gouvernements locaux sont soit corrompus, soit trop faibles pour agir. Aujourd’hui, on parle de « malédiction des ressources » car la majorité des pays du sud, riches en minerais, sont très pauvres économiquement. Ces pays sont donc doublement pénalisés : leur richesse est confisquée par les sociétés internationales et elles ne restituent aucun impôt aux états.

"Dirty Gold War" de Daniel Schweizer
« Dirty Gold War » de Daniel Schweizer

– L’extraction d’or par le mercure a des conséquences environnementales catastrophiques. Elle s’accompagne d’une déforestation à grande échelle, en particulier de la forêt amazonienne…
– On cumule les dégâts environnementaux : mercure, cyanure, etc. Nous sommes dans un scénario apocalyptique à l’autre bout du monde. On a trop peu d’images de ce désastre écologique. C’est pour cela que nous sommes allés sur l’Alti Plano péruvien, dans la pampa, afin de filmer cette réalité telle qu’elle est : dure et violente !

Les dégâts sont tout autant environnementaux que sociaux ; les populations locales en subissent aussi les conséquences. Leurs terres sont devenues polluées et incultivables.

Ce message est important à faire passer : l’or est sale, d’où le titre « Dirty Gold War ». On pourrait le produire autrement et changer les règles si la filière le souhaitait. C’est peut-être par le biais du consommateur que le changement peut intervenir. C’est à lui d’exiger, de revendiquer des produits qui soient plus écoresponsables. Ça ne doit pas être que des mots, il est nécessaire de changer notre rapport dans l’extraction du minerai et de protéger l’environnement. C’est aussi une responsabilité pour les générations à venir tant ici que là-bas, car à long terme nous en subirons aussi les conséquences.

– Y’-a-t-il a de l’espoir ?
– L’espoir aujourd’hui est que l’on peut trouver de l’or « fair trade », de l’or moins sale. Il y a quelques mines au Honduras où l’or est extrait de manière artisanale et sans que des enfants soient exploités. Les quantités produites sont plus faibles, mais cet or « vert » respecte un certain nombre de standards. Certains petits bijoutiers français, anglais, suisses en ont pris conscience et travaillent une matière première dont ils connaissent l’origine ainsi que les conditions d’extraction.

Aujourd’hui, il est nécessaire de porter ce débat face aux grandes entreprises, face aux fondeurs suisses qui ont une très grande responsabilité dans ce trafic. Faisons ce bond en avant et essayons d’emmener le marché vers un or traçable. C’est possible ! Certains mineurs auront beaucoup de peine à écouler leur marchandise comme dans la région du Kivu (Congo RDC) où la guerre civile fait rage. En contrepartie, on pourra soutenir des populations qui travaillent d’une autre manière.

www.fifdh.ch

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