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mercredi, avril 17, 2024
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Ken Loach : combattons ensemble !

Jonathan Tholoniat
Jonathan Tholoniat
« Désespoir, amour et liberté. L’amour. L’espoir. La recherche du temps perdu. » Comme Pierrot, j’aime la Littérature. Comme Godard, j’aime le cinéma. Après avoir étudié la Philosophie à l’université de Lyon III, je poursuis mes études en Master de Littérature et français moderne à Genève pour me diriger vers l’enseignement et le journalisme. L’écriture et le cinéma : un univers en perpétuel mouvement que je suis heureux de partager. Godard ne disait-il pas : « Avec le cinéma, on parle de tout, on arrive à tout ». De quoi assouvir mon inlassable curiosité.

Venu présenter son dernier long-métrage, Sorry We Missed You, au Festival Lumière, Ken Loach, ému de revoir le public lyonnais, démontre une nouvelle fois qu’il ne lâchera pas ses combats.


Parler de politique plutôt que de cinéma 

« Le monde d’aujourd’hui est dangereux. Nous le voyons s’écrouler autour de nous ; tous les extrémistes de droite vont en profiter pour prendre le pouvoir. Quand nous avons peur pour notre sécurité, quand nous avons peur pour notre emploi, quand nous avons peur de voir les choses s’écrouler autour de nous, nous cherchons des réponses simples, et l’extrême droite sera toujours présente pour vous les donner. Il est donc plus important que jamais de combattre cette insécurité sur tous les plans. Il est nécessaire de comprendre ce qu’il se passe, car, en étant passif, les fausses solutions viennent inévitablement à vous. Le capitalisme entraine des fermetures, du chômage et de la pauvreté. Nous devons combattre et résister ! Il faut répondre à ce qu’il se passe. Le cinéma peut être un engagement et un acte politique. La force que nous avons est que nous sommes plusieurs et qu’ils sont peu. »

Le cinéma et la vie quotidienne

« Les films doivent respecter la complexité de la vie. Il faut que nous célébrions la vie, l’amitié, l’amour, la joie, l’humour, la tendresse, et même le chagrin. Ils doivent parler d’amour, de tout ce qui nous touche, de la vie quotidienne, pas seulement d’un combat. Nous devons être au plus proches de ce qui fait la complexité de notre vie. C’est essentiel. Cependant, nous ne devons pas la sortir du contexte social dans lequel elle se développe. Il y a une connexion quasi-ombilicale entre notre situation sociale et notre vie privée. Nous ne pouvons pas la couper. »
Sorry we missed you

« Quelques temps après la sortie de I, Daniel Blake, je suis allé dans une foodbank avec le scénariste Paul Laverty. Nous nous sommes aperçus qu’il n’y avait pas que des sans-emploi dans ces endroits, mais des personnes qui n’ont pas suffisamment à manger, ou qui achètent à très bas prix pour leurs enfants et non pour eux. Nous avons découvert que les deux tiers des nouveaux boulots de ces dernières années, soit plus de soixante pour-cents d’entre eux, étaient précaires. Il n’y a plus de garanties d’avoir un CDI. Aujourd’hui, vous pouvez travailler un jour, une semaine ou un week-end sans que l’on vous garantisse plus que cela. Cette situation a pris sa source sous Margaret Thatcher quand elle a commencé à mettre à mal les syndicats et les employés. Elle a donné le signal aux employeurs pour développer la situation actuelle. En prenant connaissance de l’état des choses, nous avons décidé d’en faire un film. Le travail, c’est désormais comme un robinet : soit ils l’ouvrent, soit ils le ferment ; ce sont eux qui décident. »

Le Brexit 

« Mon dieu ! Le Brexit n’est qu’une distraction. Les gros problèmes étaient déjà-là quand nous étions dans l’Union européenne, et serons encore là quand nous la quitterons définitivement. Et, cela sera encore pire si Boris Johnson reste Premier ministre ! Il y a toutefois de l’espoir. Dernièrement, nous projetions le film [ Sorry we missed you ] à l’UGC Normandie à Paris devant neuf-cents personnes. De nombreux groupes d’activistes sont venus sur scène pour raconter comment ils combattent la précarité. Le problème est que les médias essayent de détruire tout ça. Je ne savais par exemple pas qu’il y avait une grève à Paris, tout comme les parisiens ignoraient qu’il y en avait une à Londres. Nous n’entendons jamais parler de ces grèves. Les médias ne relayent pas l’information. Nous devons être meilleurs en communication, car quand nous sommes divisés, nous sommes faibles. L’espoir gonflera davantage quand nous nous entraiderons tous.

Il faut que les choses changent structurellement. Si on veut une presse et une télévision démocratique, nous devons changer la nature même de la société. La BBC est contrôlée par le gouvernement, la presse appartient à des conglomérats internationaux. Le leader du parti travailliste Jeremy Corbyn a été accusé de racisme, alors que c’est un homme d’une intégrité absolue. Or, les médias ont relayé cela. Voilà jusqu’où va la campagne pour empêcher la victoire de la gauche. Si Corbyn gagne, chaque travailleur aura des droits dans ses contrats, et aura droit à la sécurité sociale. De plus, l’argent public sera investi directement dans une énergie verte, tout sera régénéré. »

Le football

« Une équipe de foot peut représenter l’espoir et l’identité d’une communauté. Un club de football est un gros centre d’unification : les gens se rencontrent, regardent un match ou boivent des coups. Je vous recommande d’ailleurs quelque chose : les fans doivent être propriétaires d’un club ! Nous sommes désormais propriétaires du club de Bath, et c’est un super sentiment. Cela ne veut pas dire que l’on gagne plus de matchs… Je trouve en tout cas que c’est une belle métaphore du socialisme. »

Le cinéma aujourd’hui

« Nous grandissons dans des temps différents, et avons tous nos propres influences. Chaque génération doit faire ses propres films et raconter ses propres histoires. À mon avis, les cinéastes ne choisissent pas les films qu’ils veulent faire. Ce sont les investisseurs qui choisissent les films qu’ils veulent produire et les propriétaires de salle qui choisissent ce qu’ils veulent montrer. Bien sûr, les jeunes cinéastes ont tous envie de raconter des histoires engagées qui illustrent notre tissu social. Seulement, ils n’y arrivent pas, car ils ne trouvent pas les investisseurs pour les financer, ni les salles pour les diffuser. Je voulais simplement ajouter que le travail que fait Thierry et les autres organisateurs de festival est très important, car la présence d’un film social dans ce genre d’événement peut le mettre en avant et lui permettre d’exister. C’est un travail extrêmement important ! »

L’origine de son engagement 

« D’abord, je dois dire que j’ai de la chance. D’ailleurs, tous ceux qui sont assis autour d’une table pour parler à un public ont de la chance. Tout a commencé dans les années 60, lorsque je faisais de la fiction à la télévision. Je travaillais avec des scénaristes et des producteurs qui étaient très engagés politiquement. C’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé à lire et à m’intéresser sur l’état du monde. Comme vous le savez, ces années-là étaient extrêmement politiques. Il y avait un côté sexy d’être à gauche. Contrairement à certains, cela n’a pas trop fonctionné pour moi… »
« Les vérités essentielles que nous avons apprises à cette époque sont devenues de plus en plus limpides. Elles sont très simples : la société est divisée en deux classes. L’une des classes exploite l’autre. Et c’est encore plus clair dans les temps que nous vivons aujourd’hui. Quand les grosses sociétés prennent de plus en plus de place, les inégalités s’agrandissent. La différence entre les riches et les pauvres augmentent. Beaucoup de personnes ont faim ! Les Foodbank ont augmenté de dix-huit pour-cents au Royaume-Uni en un an. Il a été donné près de deux millions de livres de nourriture par ces organisations, dont un demi-million pour des enfants. Vous voyez ce que cela veut dire, et à quel point cela augmente le désespoir. Les extrémistes de droite peuvent largement en profiter en mettant notamment la faute sur les immigrés. »

« Agitez-vous, éduquer et organisez-vous ! »

 

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