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mercredi, avril 24, 2024
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« A Beautiful Day In The Neighborhood » : Un film qui œuvre contre le cynisme ambiant

Etienne Rey
Etienne Rey
Travailler pour une salle de cinéma, comme journaliste pour des médias ou organiser des événements pour le 7e art, ma vie a toujours été organisée autour de ma passion: le cinéma.

Marielle Heller livre une œuvre très enthousiasmante et fort réconfortante sur un sujet complètement banal mais assez casse-gueule à mettre en scène : la bienveillance… On pourrait définir la bienveillance comme une posture souvent suspecte qu’adoptent les uns pour se faire apprécier des autres…


Un peu comme celle qu’aurait pu choisir, pour se faire mousser, Fred Rogers, le célèbre (pas ici, mais outre-Atlantique) présentateur de l’émission éducative « A Beautiful Day In The Neighborhood ».

Ce curieux personnage semble vivre au-dessus des nuages, parle d’une voix perchée et s’est peut-être, comme le suggère l’aspect discrètement mystique du film, déjà envolé, tel un ange, bien loin des vicissitudes du monde moderne…

Dans le film, son attitude face aux encombres de l’univers télévisuel montre d’ailleurs très bien cet apparent détachement. Il n’a par exemple aucun scrupule à garder des prises ratées pour enseigner à son public la dure réalité de l’échec ou se manger des retards de tournage considérables pour le simple plaisir d’offrir une accolade à un jeune admirateur malade. Ce roi de l’audimat, star des petits et surtout des grands ayant gardé leur âme d’enfant, ne semble pas avoir de pensées négatives.

Si bien que le journaliste (Matthew Rhys) chargé d’en tirer le portrait pour une édition du magazine « Esquire » sur les héros modernes n’est pas très enthousiaste à l’idée de s’intéresser à lui. Surtout qu’il considère toutes ses attitudes comme des poses destinées à façonner sa petite légende de « Monsieur Propre ».

La bonne idée de Marielle Heller et de ses scénaristes Noah Harpster et Micah Fitzerman-Blue est d’avoir centré leur récit sur le reporter cynique plutôt que de s’être focalisé sur l’insaisissable « Mister Rogers » (Tom Hanks, dans un rôle primordial pour le film mais secondaire en termes de présence à l’écran). Le spectateur peut ainsi très facilement s’identifier au protagoniste principal et épouser la même trajectoire émotionnelle que celui-ci suit tout au long du film.

En résulte alors une œuvre très étonnante où toute pensée négative paraît interdite. La bienveillance contagieuse du film et son ambiance cotonneuse semblent même exclure la possibilité d’une critique contestataire. Et ce, même si la réalisatrice, dans l’épilogue, rappelle soudain (au détour d’un plan surtout…) ses origines américaines et sa morale héritée des programmes Disney et de leur fâcheuse tendance à afficher à tout bout de champ des bonnets de Père-Noël et des sourires « Kinder-Surprise ». (Ceux qui ont vu le film comprendront !)

Le film est donc une indéniable réussite et une nouvelle preuve irréfutable de l’immense talent de Tom Hanks. Sa prestation est énorme bien qu’étrange au début, tant qu’on ne sait encore rien du sujet du long-métrage, de son héros ou de son contexte. La première apparition de l’acteur en mode pédagogue premier degré est très déconcertante puis, lorsqu’on comprend que son attitude n’est pas si fabriquée et que sa philosophie n’est pas forcément adressée qu’aux téléspectateurs de moins de 10 ans, le personnage et l’interprétation qu’en fait Tom Hanks prennent toute leur ampleur. Et c’est aussi là qu’intervient son génie. En le voyant d’abord chanter ou faire vivre ses marionnettes, sa maîtrise technique et son aptitude à jouer simultanément sur deux registres est impressionnante. Puis ensuite, lorsqu’il quitte le plateau télé et se confronte à l’homme venu l’interviewer à contre-cœur, sa capacité à s’emparer des dialogues, maîtriser les silences, casser le rythme des échanges et finalement autant séduire qu’agacer est proprement géniale. Par certains aspects et aussi incongru que cela puisse paraître, il rappelle parfois le Hannibal Lecter de Anthony Hopkins dans Le Silence des Agneaux. Il est une sorte d’Hannibal, le cas banal qui, en même temps qu’il se dévoile lui-même, étend son emprise sur celui qu’il a pris dans ses serres ou sous son aile. Nommé aux Golden Globes, aux Oscars et aux Bafta 2020 dans la catégorie « Meilleur second rôle », et même si les artistes qui l’entourent ne déméritent pas, Tom Hanks est en vérité au centre de l’œuvre et en est toute son âme, sa colonne vertébrale et son centre de gravité. Tout comme l’était le bon Docteur Lecter dans le film de Jonathan Demme…

Décidément, après « Can You Ever Forgive Me? » (sorti uniquement outre-Sarine), plus cynique mais fort remarquable également, Marielle Haller semble avoir trouvé sa voi(e)x… Le plaisir de dénicher, derrière des personnages réels et extraordinaires, leur part de banalité et réussir à les rendre accessibles à tous tout en offrant d’excellentes partitions à ses interprètes. Qu’elle persiste dans ce sens ou bifurque vers d’autres horizons, son prochain film sera forcément une curiosité à découvrir.

Un ami extraordinaire (A Beautiful Day in the Neighborhood)
USA, CHN – 2019
Drame
De Marielle Heller
Avec Tom Hanks, Enrico Colantoni, Chris Cooper, Matthew Rhys, Wendy Makkena, Tammy Blanchard, Maddie Corman, Susan Kelechi Watson, Sakina Jaffrey, Kitty Crystal
Sony Pictures
17.06.2020 au cinéma

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